Chavou’oth – l’histoire d’un retour à la Tora

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À Cracovie en 1939, les nuages de la guerre assombrissaient le ciel de la Pologne, et dans la célèbre communauté juive, régnaient la terreur et l’anxiété. Même dans la maison de Rabbi Hirsch, on ressentait la peur de la mort et on redoutait des mauvais jours à venir. Lorsque son voisin non-juif lui proposa « d’adopter » sa fille de 12 ans et de la garder jusqu’à ce que la menace soit passée, rav Hirsch comprit qu’il n’avait pas le choix : il décida immédiatement qu’il essaierait de s’échapper et confia sa fille entre les mains de son voisin, qui avait promis de la protéger comme la prunelle de ses yeux, sachant qu’il serait largement récompensé, puisque la jeune fille le servirait fidèlement.

Rav Hirsch essaya bien de s’enfuir, mais les nazis mirent la main sur lui et sa famille, et les envoyèrent à Auschwitz. Le Créateur du monde vengera le sang versé de ses serviteurs. Rav Hirsch et sa famille sont montés au ciel en sanctifiant Hachem. Le dernier vestige de cette grande famille était la jeune fille qui était restée dans la maison du non-Juif, mais lorsqu’il comprit que rav Hirsch ne reviendrait plus, il changea complètement de comportement envers elle.

Lui et sa famille, qui étaient en vérité des ennemis d’Israël, mais qui avaient caché leur haine jusqu’à ce moment-là, commencèrent à maltraiter la jeune fille, jusqu’au jour où, au milieu de la nuit, elle rangea ses affaires dans sa valise et s’enfuit de leur maison. Alors qu’elle s’enfuyait sans direction claire, les soldats SS l’arrêtèrent et l’envoyèrent dans le célèbre camp de la mort d’Auschwitz. Comme elle était une jeune fille relativement robuste, les meurtriers choisirent de l’utiliser pour travailler à leur service, et ainsi, sa vie fut épargnée : elle était contrainte de réaliser un travail acharné au service de la brutale machine de guerre nazie.

Pendant plusieurs années, la malheureuse fille servit les nazis et grâce à cela, elle réussit à rester en vie. Ils la torturèrent sans pitié, abusant d’elle et de son âme en permanence. Sa force s’éroda, son âme était détruite et l’éducation religieuse qu’elle avait reçue dans sa jeunesse fut également altérée par les atrocités de la guerre. À la fin de celle-ci, alors qu’elle était totalement démunie et complètement détruite, elle découvrit dans les archives que toute sa famille avait péri durant la guerre, que Hachem venge leur sang.

Alors qu’elle n’avait plus rien dans son monde, et après avoir terriblement souffert, elle décida de tourner le dos à l’éducation juive qu’elle avait reçue dans sa jeunesse. Les sages nous ont expliqué qu’il est impossible de comprendre ce qui se passa dans les âmes malheureuses des rescapés des camps de la mort, dont elle faisait partie. Elle décida de commencer une vie nouvelle, déconnectée du judaïsme ; elle se rendit en Belgique où elle rencontra un jeune homme, qui avait, lui aussi, coupé les liens avec le judaïsme. Avec lui, elle édifia un foyer et ils eurent deux garçons.

Malheureusement, ils envoyèrent leurs fils étudier dans une école non-juive, car ils cherchaient à rompre tout lien avec le peuple juif, avec l’éducation juive, avec la foi dans le Créateur du monde, Sa Tora et Ses commandements. Une nouvelle vie sans l’influence du passé, sans mention du Nom du Ciel, que Hachem nous en préserve. C’est ainsi qu’ils commencèrent leur vie après la guerre, en effaçant toute trace du judaïsme de leur esprit.

Plus d’une décennie s’écoula, jusqu’à ce qu’un beau jour, elle décida, avec son mari, de voyager dans son pays natal. Ils arrivèrent à Cracovie, séjournèrent dans un hôtel et le jour du marché, ils sortirent se promener au marché aux puces. Lorsqu’ils s’approchèrent de l’un des étalages, la femme cria de peur, elle devint très pâle et faillit tomber à terre ; son mari, gêné, ne comprenait pas ce qui se passait.

Elle se tenait là, tremblante d’émotion, essayant de ne pas trébucher. Elle était au bord des larmes et risquait d’exploser en pleurs. Tandis que son mari essayait de comprendre le sens de l’anxiété qui l’avait saisie, elle montra du doigt l’étalage qui se trouvait devant elle et dit : « Tu ne vois pas ? La table sur laquelle le colporteur vend ses marchandises est construite avec des volumes de Guémara ! »

« Eh bien, alors quoi ? demanda son mari, dont toute émotion juive était enfouie trop profondément dans son cœur.  Nous avons déjà décidé que tout cela est derrière nous. Quel rapport entre toi et ces Guemaroth ? »

«Mais, répondit-elle en larmes, ce sont les Guemaroth de mon père ! Je reconnais la table du colporteur, qui est faite à partir des volumes de Guémara de mon père. Je ne peux pas voir cela ! », dit-elle, alors que son cœur se serrait d’émotion, et elle se tourna vers le vendeur : « Puis-je l’acheter ? » demanda-t-elle en montrant la table.

Celui-ci comprit que quelque chose se cachait derrière cette demande et, en un clin d’œil, il décida de lui répondre : « C’est ma table, je ne le vends pas. Si tu veux l’acheter, tu dois d’abord acheter tout ce qui se trouve dessus, et seulement après, je pourrais aussi te vendre la table ! »

La femme accepta, car son âme turbulente ne trouvait pas de repos. Privée de choix, elle transporta, avec son mari, la table, faite des livres de Guémara, avec toutes les marchandises du colporteur qui se trouvaient dessus, jusqu’à l’hôtel où ils séjournaient. Là, avec une grande ferveur, elle étreignit les vieilles Guemaroth, pleura à leurs côtés sans s’arrêter, et alluma une bougie à la mémoire de son père.

Son mari, observant son mal-être, ne comprenait pas ce qui se jouait sous ses yeux. En effet, ils avaient décidé ensemble d’abandonner leur passé, décidé dans leur cœur que le passé n’existait plus, que leur lien avec le judaïsme était à jamais coupé, que la tradition de leurs parents ne les concernait plus, que Hachem nous en préserve. Comment quelques volumes de Guémara avaient-ils subitement rallumé l’étincelle ? Comment ces volumes anciens avaient-ils entraîné un tel réveil émotionnel incontrôlable ? Quel est le secret de ces volumes de Guémara, qui provoquèrent chez son épouse un tel bouleversement ?

La femme remarqua les regards perplexes de son mari, et après une longue heure à essayer de se calmer et de retrouver son sang-froid, elle s’expliqua : « Sache que ce n’était pas simple pour mes parents de m’élever. Mon père travaillait durement pour gagner sa vie en tant qu’ouvrier, il travaillait avec acharnement et épuisait son corps. Pourtant, la pauvreté avait pris le dessus dans notre maison : il n’y avait jamais de choses superflues, nous vivions des années très difficiles dans la tristesse et la pauvreté…

Mais je n’oublierai jamais cette scène, continua-t-elle à raconter : quand mon père rentrait à la maison, fatigué et épuisé par son travail, il avait l’air sans vie, son corps n’était pas avec lui. Et pourtant, je me souviens très bien, même si tous les jours, à cette heure, je me couchais pour dormir, la première chose qu’il faisait en rentrant était de saisir ses Guémarot, et de s’asseoir pour les étudier… »

Et elle ajouta, les yeux remplis de larmes : « Je ne peux pas oublier cette scène agréable… Oh, cette mélodie agréable : Tanou Rabanan, Rabbi Chimon omer, Rabbi Meir omer, pligué Abayé veRava… Pendant ces moments d’étude, il oubliait tous ses malheurs, ses dettes, ses soucis. Comme si, subitement, il n’avait plus de pression financière, plus de fatigue, plus de difficultés dans la vie. Tout s’éclairait en un seul instant grâce au mérite de ces volumes de Guemaroth. Si tu avais vu cela… », ajouta-t-elle d’un ton décisif, « toi aussi tu aurais été enflammé… »

Ainsi, jusqu’à la tombée de la nuit, la femme resta occupée à contempler ces volumes bien-aimés de Guémara. Elle s’assit à côté d’eux, les caressa, les mouilla de ses larmes. Et le lendemain, lorsque son mari remarqua qu’elle ne se calmait pas, elle lui dit : « J’ai très peu dormi la nuit dernière, je n’ai presque pas réussi à m’endormir, à part une petite sieste d’un quart d’heure par-ci par-là… je n’arrive pas à me calmer…je suis obligée de faire quelque chose, pour me venger de ces hommes cruels qui ont séparé mon père de ses Guemaroth bien-aimées, qui ont transformé ses livres, qui avaient apporté de la lumière et de la vie dans notre maison, en une table de colporteur… Ma vengeance sera…. »

Puis elle lança une bombe : « Que mes enfants étudient aussi dans ces Guemaroth. Que ma descendance illumine aussi sa vie entre ces pages de Guemara. Que mon père ait une génération qui continue dans son chemin, qui aura le mérite d’étudier dans la même Guémara, avec la même douceur, avec la même mélodie ! »

Son mari pensait qu’elle avait des hallucinations. Il n’en croyait pas ses oreilles. Mais sa femme était déterminée et elle s’empressa de l’informer qu’à leur retour en Belgique, les garçons seraient transférés à l’école juive locale et qu’ils commenceraient à étudier la Tora depuis l’Alef Beth. Elle ne céderait pas, elle devait absolument voir sa prochaine génération étudier dans les mêmes Guemaroth, se réjouir et recevoir la vie par ces mêmes lignes…

Son mari avait compris que, du point de vue de sa femme, l’affaire était réglée et il lui demanda une nuit de réflexion. Le lendemain, il lui annonça qu’il était d’accord et, dès leur retour en Belgique, les garçons furent transférés dans une école juive et le père commença à étudier avec eux ce qui leur était enseigné à l’école. Lui-même commença également à se renforcer et à progresser dans les vertus de la Tora. L’étincelle juive qui s’était rallumée s’était transformée en une torche de feu. Tous deux se sont entièrement repentis et sont revenus vers leur Père Céleste avec un amour sans bornes !

Cette histoire vibrante a été racontée par le célèbre Maguid, rabbi Avraham Mordekhaï Mala’h chlita, au nom du Gaon Rabbi Aaron Schiff chlita, chef spirituel du Beth Din d’Anvers qui connaît toute l’histoire de première main. Il témoigna que cette femme, qui avait maintenant un âge très avancé, était toujours en vie et avait vécu une belle vie fructueuse. Il connaissait également ses fils, ses petits-fils et même ses arrière-petits-fils ! Tous ont, grâce à D’, une descendance d’érudits qui étudient la Tora !

Incroyable ! Après tout, à cette époque, lorsque le père revenait de sa journée de travail et qu’il étudiait dans ses vieilles Guemaroth, il n’imaginait pas qu’un jour viendrait où ses volumes jaunis par le temps ramèneraient une génération perdue et les transformeraient en une génération de serviteurs d’Hachem. Il n’imaginait pas que pendant ces moments, où il prenait l’habitude d’étudier la Torah, alors que ses enfants étaient déjà à moitié endormis, il gravait dans l’âme de sa fille une expérience spirituelle très significative, qui, des années plus tard sauverait une génération entière d’une éradication spirituelle !

Il avait « seulement » fixé des heures pour étudier la Tora, et cela n’avait certainement pas été facile. Et, depuis sa place dans le Gan Eden, il est reconnaissant du privilège qu’il a reçu et est satisfait de ses descendants, sachant que leur retour à leur Créateur est dû à ses efforts et à son acharnement pour fixer un temps d’étude pour la Torah !

Chers frères, nous nous tenons à la veille de Matan Tora, le jour du don de la Torah. Beaucoup de jours sont importants dans l’année, mais aucun n’est plus déterminant pour nos vies que celui où il sera déterminé combien de Tora nous recevrons, jusqu’où nous parviendrons dans l’acquisition de la Torah. Et cette Tora est fondamentale, car elle a un impact sur les générations à venir, elle illumine tous les chemins de notre vie et la lumière qu’elle contient ramène chaque cœur perdu dans le bon chemin.

De même que cette femme, au marché de Cracovie, avait été ébranlée par ce qu’elle avait vu, qui lui avait fait accepter la Tora à nouveau, nous aussi pouvons vivre un tel moment, où nous nous prenons en main et décidons d’accepter la Torah à nouveau, comme le jour où nos ancêtres ont entendu les Dix Commandements le matin de la fête, le moment palpitant du don de la Tora ; c’est le moment de décider que nous recevons la Tora avec amour !

Venons accepter la Tora, décidons d’y investir toutes nos forces, tout notre être. Il ne nous reste plus que cette Tora, prenons-la avec joie, engageons-nous à nous renforcer dans l’étude de la Tora, prions le Créateur du monde qu’Il éclaire nos yeux pour la comprendre, faisons tout pour ajouter plus d’ardeur et de persévérance dans l’étude de la Tora, dans son approfondissement, dans la fixation de temps précis pour l’étudier.

« Car ces moments d’étude conditionnent notre existence et la durée de nos jours, et en eux, nous nous fatiguerons jour et nuit ». La Tora est le meilleur des cadeaux, acceptons-la avec joie et laissons-la illuminer nos vies de sa lumière exaltée !

Extrait de « Les perles de la Tora », du rav Acher Kovalski

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