Daesh ou la métastase terroriste

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Par BAZAK – Benillouche

          L’attaque turque contre les Kurdes a libéré des camps de prisonniers des centaines de djihadistes de Daesh qui se sont évaporés dans la nature. Dans le chaos et le tumulte des événements dramatiques qui se succèdent au Moyen-Orient, Daesh reste une énigme. Son fonctionnement, sa croissance et ses méthodes de financement suscitent la curiosité. L’analyse de cette organisation terroriste s’étend sur plusieurs années. À l’origine, le groupe s’était organisé pour passer de la clandestinité à une organisation étatique, celle du Califat avec toutes les obligations vis à vis des populations et des territoires qu’il a occupés pendant plusieurs années.

            Son organisation se voulait une bureaucratie verticale. Sa structure, inspirée de celle d’Al Qaeda, a été décentralisée en structures locales, permettant ainsi un meilleur contrôle territorial local. En 2008, le groupe a organisé des subdivisions locales en Irak. Il a géré rationnellement son capital humain, notamment en ce qui concerne le choix des candidats au suicide, très largement des étrangers, considérés idéologiquement beaucoup plus fanatiques que les Irakiens eux-mêmes. Pour autant, les étrangers n’étaient pas en majorité des kamikazes. En revanche, les domaines du renseignement et de la sécurité, étaient tenus majoritairement par des responsables irakiens. Pour permettre de fidéliser les cadres et les membres ils percevaient un salaire convenable.

            Sur le plan pratique, le groupe s’était inspiré d’un management moderne en pratiquant le reporting systématique et la remontée des informations au chef suprême, Abu Bakr El Baghdadi.

            Malgré ses défaites militaires et la perte de territoires, l’organisation demeure aussi destructrice qu’avant, voire même plus du fait de l’éclatement de ses structures. En termes modernes, on évoquerait un système décentralisé. De janvier 2018 à octobre 2018, elle a effectué 294 attaques et causé 2.154 victimes recensées, tous pays confondus.

            Daesh a organisé de longue date son financement. À son apogée en 2015, après avoir envahi une large partie de l’Irak et de la Syrie, saccagé et pillé Mossoul, il s’est approprié 500 millions de dollars dans les caisses de la Banque Centrale. Pour constituer son trésor de guerre, il a d’abord acquis 400 millions de dollars puis a réussi à encaisser près de 6 milliards de dollars grâce à des opérations criminelles dans les territoires occupés.

            Pendant toute cette période jusqu’à ses défaites annoncées en Irak et en Syrie récemment, Daesh a été contraint de passer d’une organisation à forme étatique, avec toutes les responsabilités que cela implique vis à vis des populations sous son contrôle, à une organisation clandestine en revenant à ses origines. D’une véritable guerre militaire, il s’est orienté par obligation vers des opérations de guérillas urbaines et rurales. Il agit surtout dans les territoires où le contrôle de l’Etat central irakien, voire syrien, est très faible ou absent. Dans certaines régions d’Irak, Daesh pratique le kidnapping contre rançon, la taxation des villages et la mise en place de check-points obligatoires avec droit de passage.

            Mais ses obligations financières ont très largement diminué avec la perte de territoires. En revanche son expertise financière s’est considérablement améliorée, est devenue extrêmement sophistiquée en utilisant toutes les ressources et faiblesses que le marché lui offre.

            Daesh utilise diverses institutions financières ainsi que des organisations de charité comme prête-nom, à l’instar des banques Kuwait Finance House à Kuwait city, Kuveyt-Turk participation Ban Inc, pour ses mouvements de fonds. On dénombre divers donateurs «privés» dans les Émirats, au Qatar et en Arabie Saoudite. Les États concernés affirment qu’ils ne peuvent empêcher leurs donateurs de s’intéresser à des œuvres charitables puisque c’est l’obligation de chaque bon musulman. Les montants restent relativement modestes par rapport aux revenus criminels. Malgré les multiples contrôles, sanctions, vérifications, ces flux se poursuivent. On a parlé d’une Task force internationale ayant pour mission de mettre un terme à ces mouvements, mais pour l’instant tout reste à faire. Les profits réalisés par les divers instituts financiers sont tels qu’ils ne sont pas trop regardants à ces flux et surtout qu’ils ne souhaitent pas voir leurs noms associés aux terroristes.

            Ce groupe terroriste ainsi que d’autres, ont également commencé à utiliser avec prudence les crypto-monnaies qui ne sont pas encore soumises aux mêmes réglementations que les devises connues. On estime que le flux est encore modeste vu les risques financiers de ces échanges.

            L’origine des fonds est la question qui taraude car il paraît incompréhensible qu’après ses défaites annoncées tant en Irak qu’en Syrie, les flux ne se tarissent pas. Le groupe agit comme la mafia européenne, en organisation criminelle : menaces, extorsion de fonds, taxation obligatoire sous peine de mort, trafics de toutes natures, pétrole vendu sur le marché noir, puis trafic humain, drogue, kidnappings. Le groupe crée également des rivalités et des dissensions parmi les populations entre Arabes et Kurdes, Chiites et Sunnites, entre le gouvernement central et le Kurdistan. La région de Kirkuk compte ses victimes tous les jours !

            Daesh pratique allègrement la corruption des fonctionnaires, ce qui lui facilite ses manœuvres et lui procure des renseignements utiles à ses actions. Par construction, les terroristes ont tendance à s’appuyer sur les populations sunnites. Le groupe fort de ses moyens énormes, a également investi depuis des années dans des activités légales dont il tire des revenus substantiels à travers les zones qu’il a occupées et ailleurs dans le monde oriental et occidental mais en utilisant des prête-noms, ce qui rend leur identification très complexe.

            Malgré son retrait physique, il demeure actif dans ces mêmes territoires grâce à ses structures managériales mises en place. Une nouvelle source de revenues est s’est offerte à l’organisation, dans le cadre de la reconstruction des pays concernées. En effet, de nombreux projets immobiliers voient le jour dans le cadre en vue de la reconstruction des villes libérées où tout est à faire. Daesh a réussit dans de nombreux cas à imposer sa taxation contre «une protection» de type mafieuse. Peu nombreuses sont les entreprises qui résistent aux arguments du groupe, vu les risques encourus.

            Les opérations en cours conduiront malheureusement à une recrudescence des attentats. Ce qui est déjà le cas dans toute la zone Irak-Syrie, où des victimes succombent quotidiennement, Le chaos actuel entraînera une dispersion d’autant plus grande des djihadistes libérés qui comptent parmi les plus fanatiques adeptes du groupe. Le crime continue à payer et les innocents paient de leur sang !

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