Erdogan veut se réconcilier avec Israël

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Par Jacques BENILLOUCHE – Temps et Contretemps

Illustration : gaz israélien

Le président turc Recep Erdogan fait les premiers pas pour renouer des relations normales avec Israël à la suite de la décision des États-Unis de ne plus soutenir le projet de gazoduc EastMed. Washington a informé Athènes qu’il changeait de cap par rapport à l’administration Trump car les combustibles fossiles seront obsolètes et les institutions financières internationales refusent d’investir dans ce type de matières. Les Américains ont aussi émis des réserves quant à la justification de ce gazoduc et surtout quant à sa viabilité économique. EastMed, basé sur un accord signé entre Israël, la Grèce et les Chypriotes grecs en janvier 2020, envisageait un pipeline de 1.900 kilomètres, allant d’Israël à Chypre puis à la Grèce et à l’Italie, d’une capacité de 10 milliards de mètres cubes par an. Il s’agissait de réduire la dépendance gazière de l’Union européenne vis-à-vis de la Russie.

Mais le projet s’est avéré trop coûteux par rapport à sa capacité relativement faible. Par comparaison, le gazoduc Nord Stream-2 reliant la Russie à l’Allemagne a une capacité de 55 milliards de mètres cubes par an et a été construit pour un coût d’environ 10 milliards de dollars. Or, des accords avaient été signés pour achever, d’ici 2025, le projet EastMed évalué à 6 milliards d’euros, sans qu’un financement ne soit obtenu. Les États-Unis préconisent l’interconnexion EuroAsia reliant les réseaux électriques israélien, chypriote et européen, «permettant de futures exportations d’électricité produite par des sources d’énergie renouvelables, au profit des nations de la région».

Erdogan a alors réagi : «Si le gaz israélien était amené en Europe, cela ne pourrait se faire que par la Turquie. Y a-t-il un espoir pour l’instant ? Nous pouvons nous asseoir et parler des conditions». Cela lui a donné l’occasion de se réconcilier avec Israël et de briser surtout son isolement dans le cadre d’une rivalité énergétique en Méditerranée. Il est même prêt à une solution de rechange à EastMed. : «Ce travail ne peut se faire sans la Turquie. Parce que si le gaz doit aller en Europe à partir d’ici, cela ne passera que par la Turquie».

La Turquie cherche aussi à normaliser les relations avec ses rivaux régionaux. Elle a déjà pris langue avec le Caire en mai, et renouvelé le dialogue avec les Émirats arabes unis grâce à une visite de réconciliation du prince héritier d’Abu Dhabi en novembre. Il est aussi question qu’Erdogan se rende en Arabie saoudite le mois prochain.

Des signes de dégel avec Israël sont apparus depuis l’effondrement des relations en 2010 et l’absence d’ambassadeurs depuis 2018. L’arrestation de deux touristes pour espionnage aurait pu envenimer la situation mais le président Herzog est intervenu pour obtenir leur libération en faisant miroiter le retour à la normale entre les deux pays. Le gaz israélien est un alibi pour trouver une solution aux divergences liées à la cause palestinienne, entre autres le conflit avec le Hamas.

Tous les efforts laborieux visant à réparer les relations turco-israéliennes risquent de s’effondrer avec le rejet du projet EastMed. À l’heure actuelle, la Turquie dispose de peu de grandes sources de gaz, la Russie fournissant environ 56 % de ses besoins globaux mais Erdogan voit d’un mauvais œil sa trop grande dépendance vis-à-vis des Russes. De son côté Israël est à la recherche de partenaires énergétiques pour développer ses gisements de gaz naturel et les rendre économiquement viables.

Par ailleurs Israël doit oublier la condamnation de ses actions par Erdogan qui avait qualifié Israël «d’État terroriste qui massacre des enfants innocents» et accusé «le gouvernement israélien de maintenir l’esprit d’Hitler en vie». Le soutien de la Turquie à la cause palestinienne, et au Hamas en particulier, pourrait également s’avérer problématique. Dans les années 1990, les relations israélo-turques étaient fondées sur la coopération militaire entre les généraux des deux armées mais la mise à l’écart de l’armée turque a poussé les hommes d’affaires à prendre le relais.

Mais même si les relations diplomatiques étaient gelées, les échanges commerciaux s’étaient maintenus et même amplifiés car le pragmatisme a toujours été l’élément fondamental des relations bilatérales. Les ports israéliens n’ont jamais connu autant activité avec la Turquie. Cependant la reprise doit être gérée avec intelligence car selon le principe des vases communicants, le rapprochement avec la Turquie risque d’affecter les relations avec la Grèce et les Chypriotes grecs. La Turquie ne se résout pas à renoncer à un pipeline. Elle pourrait en proposer un qui évite le passage par Chypre à l’image des pipelines qui alimentent la Turquie depuis l’Azerbaïdjan, l’Iran et la Russie. Mais le coût serait excessif, donc dissuasif. Elle souhaite que son exclusion du Forum du gaz de la Méditerranée soit levée. L’organisation basée au Caire rassemble Chypre, la Grèce, l’Égypte, la France, l’Italie, Israël, la Jordanie et les Palestiniens, avec la participation des Etats-Unis et de l’UE en tant qu’observateurs.

Mais il est à présent certain que les Turcs multiplient les contacts avec Israël. Au cours de l’entretien téléphoné Erdogan-Herzog, le président turc a affirmé à son homologue israélien, Isaac Herzog, que «Les relations Turquie-Israël sont essentielles pour la sécurité du Moyen-Orient. Il est vital d’instaurer à nouveau la paix, la tolérance et le vivre ensemble dans la région». De son côté, le ministre turc des Affaires étrangères Mevlüt Çavuşoğlu a eu un entretien téléphonique avec Yaïr Lapid le 20 janvier.

Par ailleurs, il semble que Erdogan, devant les nombreuses oppositions arabes, ait renoncé à prendre le leadership du monde sunnite. Il avait rompu avec Israël car ses relations étaient mal vues par les pays arabes et il pouvait difficilement obtenir sa consécration. À présent, les accords d’Abraham ne justifient plus la mise à l’écart d’Israël. Donc Erdogan ne craint plus les récriminations de certains pays arabes qui voyaient mal les relations de la Turquie avec «l’entité sioniste».

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