”La France: pays du déni” Entretien avec Georges Bensoussan

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74%: c’est le taux d’augmentation des actes antisémites en France en 2018. Le moins que l’on puisse dire c’est que 2019 ne s’annonce pas meilleure… En quelques jours à peine, des croix gammées ont été dessinées sur des portraits de Simone Veil, des arbres plantés à la mémoire d’Ilan Halimi ont été retrouvés sciés et Alain Finkielkraut est violemment pris à partie aux cris de ”sale sioniste de m…”, “Retourne à Tel Aviv”, “Dieu te punira”…

Le tout se déroule dans une atmosphère confuse qui règne en France depuis le début du mouvement des Gilets Jaunes et le lot de violences que véhicule chaque manifestation du samedi.

Afin d’y voir plus clair et de comprendre les sursauts qui traversent la société française, nous nous sommes entretenus avec Georges Bensoussan, historien et coordonnateur du livre Les Territoires perdus de la République (2002) dont les analyses résonnent aujourd’hui particulièrement.

Le P’tit Hebdo: Vous n’avez pas été manifesté lors du grand rassemblement contre l’antisémitisme du 19/02. Pourquoi?

Georges Bensoussan: Ce rassemblement avait l’allure d’une tartufferie quand le PS et le pouvoir, et tout ce que compte la France de conservatisme bourgeois se sont mis à s’étrangler devant l’antisémitisme (eux demeurés pourtant longtemps si silencieux), pour discréditer le mouvement des Gilets Jaunes en voulant nous faire croire que l’antisémitisme en était le cœur.

On ne leur avait guère connu tant de vertu quand des enfants juifs avaient été assassinés à Toulouse, quand Sarah Halimi avait été torturée et défenestrée et qu’il fallut une année à la justice pour reconnaître la dimension antisémite de ce crime. A la mi-avril 2017, combien étions-nous donc à manifester dans le quartier de Sarah Halimi ? 500 à peine. Et juifs dans l’immense majorité.

Lph: Justement, ne pourrait-on pas se féliciter qu’aujourd’hui tout ce monde se réveille et décide de manifester?

G.B.: Il n’y aura pas de « réveil» tant que les antisémites ne seront pas désignés. Et pas seulement l’antisémitisme. De l’antisémitisme parmi les Gilets Jaunes ? Probablement. Au cœur de ce mouvement ? Certainement pas. La question essentielle, pourtant, est ailleurs : qui a libéré la parole antisémite ces dernières années en France, sinon ce que l’on nomme pudiquement les «quartiers », relayés ensuite par Soral et Dieudonné ?  C’est pourquoi la manifestation du 19 février était vaine. Les agressions continueront. Pire peut-être, cette hystérie médiatique risque d’encourager les violents à passer à l’acte.

Lph: Les Gilets Jaunes n’ont-ils pas aussi leur part de responsabilité dans cette montée de l’antisémitisme? Les condamnations de ces actes sont rares au sein du mouvement.

G.B.: Oui, il y a au sein des Gilets Jaunes une part d’antisémites. Comment pourrait-il en être autrement ? Par surcroît, les Juifs sont une cible prioritaire dès qu’un mouvement populaire émerge, qui mobilise une population faiblement dotée culturellement (et donc perméable aux théories du complot). Mais il reste difficile de définir ce mouvement marqué par une forte absence de culture politique, sans leaders et sans programme. Sans structures. C’est là un boulevard ouvert aux démagogues et aux violents comme on a semblé le constater les derniers samedis.

Lph: Emmanuel Macron mais aussi les présidents de l’Assemblée nationale et du Sénat se sont recueillis au Mémorial de la Shoah, le jour de la manifestation. Comment interpréter ce geste?

G.B.: Il est commode pour ces gens là de faire croire que l’antisémitisme vient de la seule extrême-droite. C’est pourquoi ils se plaisent à dire que le mouvement des Gilets Jaunes charrie la haine du Juif.  Mais les agressions quotidiennes à Sarcelles, Créteil et dans les quartiers populaires ne sont pas le fait des Gilets jaunes. Pas plus que les 16 Juifs assassinés par des Musulmans français depuis 2003. Et ce ne sont pas des Gilets Jaunes qui ont fini par faire partir les enfants juifs des écoles publiques, ni poussé tant de Juifs à cacher leur kippa et à rentrer la mezzouza à l’intérieur de leur domicile. Toute une bourgeoisie israélite (je dis bien : israélite), au nom de ses intérêts de classe, est complice de cette confusion qui vise à discréditer une révolte sociale qui lui fait peur.

Lph: Peut-on estimer qu’aujourd’hui l’antisémitisme en France est d’abord un antisionisme?

G.B.: Le poison antisémite se nourrit à plusieurs sources: une partie des enfants de l’immigration arabe, une partie de l’extrême-droite et de l’extrême-gauche, et surtout, opérant la jonction, les milieux soraliens qui, eux, sont intégralement antisémites.

A force de diaboliser Israël, on a fait du sionisme une insulte et du Juif un ennemi absolu. Le masque de l’antisionisme touche tous les milieux, il contourne l’obstacle de la Shoah pour rendre l’antisémitisme, à nouveau « présentable ».

Lph: La proposition de loi visant à condamner l’antisionisme est-elle un pas dans la bonne direction?

G.B.: Emmanuel Macron a fait preuve d’un courage certain lors de la cérémonie de commémoration de la Rafle du Vel d’Hiv en 2017 en affirmant clairement que l’antisionisme était de l’antisémitisme. Faut-il pour autant légiférer? Je ne le pense pas, cela participerait à l’hystérie collective autour de ce sujet. La France possède un arsenal juridique suffisant pour punir les auteurs de tels actes.

La responsabilité incombe aujourd’hui à d’autres acteurs, en premier lieu les médias appelés à être davantage responsables, à réfléchir à l’hystérisation d’un discours qui diabolise l’État d’Israël, ou au moins le noircit, et qui, chacun le sait, est aux antipodes de la plus élémentaire vérité.

Lph: Parallèlement à ces actes antisémites, plusieurs églises ont été profanées en France. Faut-il voir un lien entre ces deux phénomènes?

G.B.: Ces deux phénomènes sont liés. La plupart des médias relaient le sujet au second plan alors que violences antisémites et profanations d’églises appartiennent au même registre, celui de la haine de la France et de l’Occident.

Lph: Le mouvement des Gilets Jaunes aurait-il débouché sur le pire?

G.B.: Ce mouvement aura eu le mérite de mettre en lumière ces Français de la périphérie qui se sentent dépossédés de leur pays et ont le sentiment parfois d’y devenir des étrangers de l’intérieur. Ce mouvement aura montré aussi combien la représentation nationale est si peu à l’image de la population française.

Mais aujourd’hui, le drame de ce mouvement en délitement est que les hommes et les femmes de novembre 2018 ne sont pas seulement dépossédés de leur vie. Voici qu’ils le sont aussi de leur révolte. Car ce mouvement s’enlise et risque de pourrir sans avoir pu se structurer.

Lph: Le sentiment général quand on observe la violence qui traverse la France aujourd’hui est plutôt celui de l’impuissance. Est-il possible de sortir de cette situation?

G.B.: L’appareil d’Etat français reste puissant. Il peut contenir les violences du samedi. En réalité, c’est l’ensemble du système qui est mis en cause.  Prendre telle ou telle mesure isolée n’y suffira pas tant la situation présente est le fruit d’une politique vieille de plus de 40 ans.

L’issue parait difficile. Le débat intellectuel est devenu quasi impossible sauf entre gens du même avis. La France s’est muée en pays du déni où l’on guette le moindre « dérapage verbal » pour vous trainer au pilori, voire en justice. Pour avoir voix au chapitre, il est de bon ton de porter une parole aseptisée. Toute réflexion qui sort d’un certain schéma de pensée n’est pas la bienvenue dans les médias. On se contente d’inviter des « experts » dont la spécialité est de parler pour ne pas dire. Surtout ne pas dire.

Lph: Alain Finkielkraut n’a pas une parole aseptisée et il est amené à la porter dans les médias aussi. Est-ce cette liberté qu’il paie aujourd’hui?

G.B.: Alain Finkielkraut est un intellectuel courageux, l’un des plus courageux que compte la France. Depuis Les Territoires perdus de la République en 2002, il fut un soutien constant. Au-delà même puisque je rappelle qu’il est venu témoigner en ma faveur lors du procès en première instance.

On cherche à le faire taire, comme on en a fait taire d’autres, et cette entreprise d’intimidation permanente rencontre un certain succès. Certains se taisent. D’autres émigrent. D’autres tentent encore d’écrire et de parler mais ils le paient cher.

Et d’abord par le silence dont on les entoure. On fera en sorte de ne plus leur donner la parole, on les enfermera peu à peu dans une sorte d’exil intérieur.  La détérioration de la vie intellectuelle en France est patente. Et, en regard, le mouvement des Gilets Jaunes a renforcé un anti-élitisme qui constitue  une tendance inquiétante.

Lph: La France est-elle en danger?

G.B.: Le pays est en crise et la majorité des Français en sont conscients. Ce qui rend la situation dramatique, c’est la puissance du déni et le manque de courage. Mais aussi l’autocensure qui alimente un climat déprimant qui affecte une bonne majorité de la population.

Lph: Avez-vous la tentation de l’exil?G.B.: Nombre de mes proches, membres de la communauté juive, partent pour Israël. Mais aussi beaucoup de Français non juifs quittent le pays, diplômes en poche, c’est là autant d’appauvrissement pour la nation. Pour ma part, si ce climat d’oppression perdurait, si l’atmosphère devenait vraiment irrespirable, alors il faudra se décider au départ.

Propos recueillis par Guitel Ben-Ishay

Source lphinfo.com

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