Le Liban tombe de Karish en Scylla

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Par Albert NACCACHE – Temps et contretemps

Illustration : une vidéo sur Karish diffusée par le Hezbollah

Les négociations sur la frontière maritime entre Israël et le Liban démontrent – si besoin est – que le Liban est sous le contrôle du Hezbollah, mouvement islamiste chiite fondé par l’Iran et disposant d’une armée qui lui permet de prendre le pays en otage.

Annonce du raccordement de Karish au réseau

Le vendredi 16 septembre, la ministre de l’Énergie Karine Elharrar informe se préparer au raccordement du réservoir de Karish au système israélien. Les tests du système de livraison comprennent l’acheminement de gaz naturel du rivage vers la plateforme de forage sans extraction de gaz. Le forage proprement dit est censé commencer en octobre.

Nasrallah : « Nos yeux et missiles sont braqués sur Karish »

Cette déclaration a entrainé une violente réaction du Hezbollah. Lors d’une cérémonie organisée samedi matin à Baalbeck, Nasrallah a abordé le dossier de la délimitation des frontières maritimes avec Israël ; il a notamment souligné que le Hezbollah suit de près les négociations indirectes menées à ce propos. Il déclare que c’est l’État libanais qui a la charge de la question, mais se dément immédiatement après en proclamant : «Nos yeux et nos missiles sont braqués sur Karish».

Le Hezbollah a aussi publié une vidéo qui révèle les coordonnées de l’emplacement de la plateforme gazière de Karish, assortie de menaces contre Israël. Un haut responsable du Hezbollah y annonce l’utilisation d’une «arme stratégique» – sans en préciser la nature – pour bombarder Karish.

Le parti de D’ est prêt à utiliser son arsenal militaire pour empêcher Israël d’extraire du pétrole et du gaz de la Méditerranée. Il avait menacé à plusieurs reprises de se livrer à des attaques si le travail d’extraction devait aller de l’avant. Son chef a explicitement menacé d’une guerre si Israël commençait l’extraction du gaz du champ de Karish, sans accord préalable sur le tracé de la frontière maritime entre les deux pays. Dans un discours prononcé le 13 juillet 2022 le leader chiite avait assuré que son parti disposait des capacités militaires terrestres, aériennes et maritimes nécessaires pour empêcher Israël d’exploiter ses ressources en hydrocarbure.

«Tous les champs (pétrolifères et gaziers), tous les puits de pétrole, toutes les plateformes maritimes, nous en connaissons les noms, l’activité, l’état opérationnel ou non, ceux qui sont encore en phase de prospection… Tous ces détails sont en notre possession. Si vous voulez continuer à étouffer le Liban, je ne parle plus seulement de l’équation de Karish : la question est beaucoup plus vaste pour nous. Si vous voulez continuer à imposer l’équation selon laquelle il est interdit au Liban de se sauver en exploitant ses ressources naturelles en gaz et en pétrole, personne ne pourra extraire de gaz ou de pétrole, et personne ne pourra vendre de gaz ou de pétrole. D’accord ? Vous avez compris ou je dois me répéter, comme on dit ? Et ce quelles que soient les conséquences. S’il n’y avait pas la guerre entre la Russie et l’Ukraine, il n’y aurait pas ce besoin (urgent) de l’Europe et des Etats-Unis pour le gaz et le pétrole. Je ne veux pas dire qu’ils vont importer le gaz et le pétrole du Liban, car pour installer des plateformes maritimes, extraire les hydrocarbures et les vendre, il faut des années. Mais la force du Liban est qu’il peut constituer un problème, un obstacle face à l’ennemi israélien, à l’entité israélienne, et créer un problème dans toute la région qui empêchera l’extraction du gaz et du pétrole (par Israël), et empêchera la vente du gaz et du pétrole à l’Europe».

Autres menaces

Hassan Nasrallah a averti que toutes les «cibles» terrestres et maritimes israéliennes sont à la portée de ses missiles. Dans un article paru dans le quotidien libanais pro-Hezbollah Al-Akhbar, le rédacteur en chef du quotidien, Ibrahim Al-Amin, présente les déclarations d’un «haut commandant du jihad» du Hezbollah. Al-Amin décrit ce commandant comme un membre de la génération fondatrice de l’organisation qui a travaillé avec tous les dirigeants du Hezbollah depuis sa création et est une figure clé dans la réalisation d’évaluations et la préparation de la prochaine guerre avec Israël. Dans l’article, le commandant fait de nombreuses menaces concernant le sort d’Israël dans la prochaine guerre avec le Hezbollah, déclarant que cette guerre sera dévastatrice pour Israël, puisque le Hezbollah détruira ses infrastructures et transformera la vie des Israéliens en un enfer intolérable. Dans cette guerre, dit-il, «les Israéliens retireront des corps de dessous les ruines. De plus, ils ne pourront pas défendre leurs eaux territoriales, leur frontière terrestre, leurs installations vitales ou même leur front intérieur, et pour la première fois de son histoire, Israël se trouvera sur la défensive ». [1]

Le Hezbollah peut mener une bataille terrestre et triompher, déclare aussi le chef des gardiens de la révolution Hossein Salami. «Le parti chiite peut cibler tous les points de l’entité sioniste», affirme Hossein Salami. «Le Hezbollah est à même de gérer entièrement une bataille terrestre et de remporter la victoire» et affirmé que le parti chiite «peut cibler tous les points de l’entité sioniste. Il est aujourd’hui capable de gérer entièrement une bataille terrestre et de remporter la victoire ».  [2]

Israël répond qu’il est prêt à tout scenario

Le conseiller israélien à la sécurité nationale Eyal Hulata a répondu que l’Etat hébreu «actionnerait Karish» au moment souhaité et continuerait à agir selon «ses intérêts énergétiques. Nous ne nous laisserons pas dissuader par les menaces de Nasrallah». Cette affirmation est illustrée dans cet article par une corvette Saar et le Dôme de fer.

Le chef d’État-major de l’armée israélienne, Aviv Kochavi, met en garde le gouvernement libanais et le Hezbollah, affirmant qu’ils «subiront les conséquences de toute atteinte à la souveraineté d’Israël, à ses intérêts et à sa population». Le Premier ministre israélien Yaïr Lapid et le ministre de la Défense Benny Gantz préviennent que toute action militaire du Hezbollah déclencherait une guerre.

Pourquoi toutes ces menaces ?

Nasrallah est un personnage théâtral, qui a le sens de la mise en scène. Spécialiste de la douche écossaise dans ses déclarations, il souffle sans vergogne le chaud puis le froid, puis à nouveau le chaud et s’est rendu célèbre par sa rhétorique. Sur le fond, Il est difficile d’analyser ses opinions et de connaitre ses intentions réelles. Pour Shimon Shapira, chercheur au Centre des affaires publiques de Jérusalem, Nasrallah cherche à faire monter les enchères à chaque fois, afin d’obtenir la une des journaux. On peut rapprocher le dossier de la délimitation de la frontière maritime entre Israël et le Liban de celui du nucléaire iranien. Nasrallah roule pour Téhéran qui répond à la demande russe empêcher l’extraction du gaz et son exportation vers l’Europe,

L’ancien secrétaire d’État adjoint américain pour le Moyen-Orient David Schenker affirme que le dossier relatif à la délimitation de la frontière maritime n’est pas entre les mains de l’État libanais, mais du Hezbollah. «J’ignore quelle est la relation entre l’accord nucléaire et le dossier de la délimitation des frontières», a-t-il déclaré dans une interview accordée à la chaîne télévisée MTV, «Je pense qu’en définitive, c’est le Hezbollah qui décidera si cet accord lui convient, ou pas. C’est cette organisation illégale qui décidera pour le pays».

Et pour conclure ces deux anecdotes : Fayad et Hajjar jettent des pierres vers Israël

Walid Fayad est l’interlocuteur d’Amos Hochstein pour le dossier sur la frontière maritime ! Le ministre sortant de l’Énergie et de l’Eau, Walid Fayad, et son collègue des Affaires sociales, Hector Hajjar, ont jeté des pierres, en direction d’Israël dans le cadre d’une visite de long de la frontière sud du Liban, dans les environs du village de Adaisseh le 30 aout 2022. Ces images des ministres de l’Energie et des Affaires sociales font le tour des réseaux sociaux, suscitant souvent des commentaires ironiques.

Ainsi pour le journaliste libanais Khairallah  : 

«Le geste farfelu des ministres libanais de lancer des pierres vers Israël reflète la tragédie du Liban, qui est contrôlé par le Hezbollah et l’Iran. Lors d’une tournée effectuée le 30 août 2022 par plusieurs ministres libanais le long de la frontière libano-israélienne, deux d’entre eux, le ministre de l’Énergie Walid Fayad et le ministre des Affaires sociales Hector Hajjar, ont lancé des pierres vers le territoire israélien en signe d’hostilité à son égard et de soutien au Hezbollah. Les deux ministres, tous deux chrétiens, appartiennent au Courant patriotique libre, fondé par le président libanais Michel Aoun, partisan notoire du Hezbollah, et actuellement dirigé par son gendre, Gebran Bassil. Des images de l’incident, qui ont été diffusées sur les réseaux sociaux, ont suscité le ridicule des citoyens libanais, qui se sont demandé si les ministres pensaient que c’était un moyen d’effrayer Israël ou de libérer la Palestine, et les ont appelés à résoudre les problèmes urgents du Liban, tels que la crise énergétique, au lieu de lancer des pierres. Parmi ceux qui ont répondu dans ce sens, le journaliste libanais Khairallah, chroniqueur au quotidien londonien Al-Arab. Critiquant vivement l’action des ministres, il a déclaré qu’ils devraient s’attaquer aux graves troubles et crises qui affligent le Liban au lieu de faire des gestes « insensés » et « idiots ». Il a ajouté que ce geste des deux membres du Courant patriotique libre d’Aoun visait à plaire au Hezbollah et à lui signaler leur loyauté et leur volonté de le servir. L’incident, a-t-il conclu, reflète la profondeur de la tragédie du Liban en tant que pays désormais entièrement contrôlé par le Hezbollah et l’Iran ». [3]

 Le tweet de Michel Aoun

Dans un tweet du 19 septembre, le président libanais, Michel Aoun, a affirmé avec un humour involontaire que les pourparlers indirects avec Israël pour mettre fin au différend frontalier maritime en étaient à leur «phase finale».

 [1] Al-Akhbar 26 août 2022

[2] OLJ / le 20 août 2022

[3] MEMRI Dépêche spéciale n° 10199 12 septembre 2022

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