Les derniers témoins…

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Celui qui était considéré comme le dernier des rescapés de Treblinka est décédé à l’âge de 93 ans. Chemouel Wilenberg zal a participé en son temps à la révolte contre les gardiens du camp, s’est échappé, et a rejoint les partisans. Avec sa disparition, nul ne peut plus parler à la première personne de ce camp, de ses souvenirs terrifiants de mort et d’incinération, de souffrances et de supplices.
Dans les media israéliens en particulier, ce triste événement a été souligné avec force : la Shoah forme un élément constituant de la conscience commune dans le pays, et la disparition de ce témoin a été ressentie comme marquante.
Curieusement, ce décès a eu lieu quasiment en même temps que celui du rabbi de Erlau. Rabbi Yo’hanan Sofer zatsal a, lui, connu Auschwitz, où il a perdu pratiquement toute sa famille.
08Pourtant, leurs vies au lendemain de la guerre ont peu d’éléments communs, dans leur démarche personnelle : Wilenberg a heureusement reconstruit son monde. Il s’est marié et a su reprendre la vie de manière normale. En plus il est devenu une icône de cette terrible période.
Le rabbi de Erlau a fait de même. Il a fondé un foyer. Il n’a pas « simplement » rappelé le passé : il a construit l’avenir. Un avenir basé sur l’extraordinaire piédestal de sa famille, celle du ‘Hatham Sofer et de toute sa descendance, celle d’un judaïsme des plus fidèles – le judaïsme de Hongrie. Il a su transmettre la vie à la remarquable tradition de sa famille et de sa communauté et, en vérité, celle de la transmission de la Tora elle-même, de génération en génération.
S’il fallait construire un sanctuaire de la mémoire, n’est-ce pas exactement dans l’enceinte de la Yechiva qu’il a fondée que l’on aurait dû le localiser – tout autant que dans celle de Poniewezh, Mir, Brisk, Porat Yossef, Kissé Ra’hamim, Or Baroukh ou autre ?!
C’est là que se trouve la vraie mémoire du peuple juif, à cela près qu’elle reste vivante, que la pensée de Rachi et de ses descendants, les Tossafistes, du Ramban et de tous les maîtres du peuple juif, trouvent là leur digne suite, avec ces dizaines de milliers de jeunes qui consacrent toute leur énergie à les étudier et à les comprendre, tout comme l’ensemble des étudiants de Tora, à tout âge.
Cette analyse se concentre sur les enseignements de nos Sages de la Michna et de la Guemara, qui ne font que reprendre et expliquer les versets de la Tora et des Prophètes – sans oublier la Tora orale, qui accompagne depuis le départ leur message.

Curieusement, tout ceci se passe à un moment où le Premier ministre israélien est parvenu à s’attirer la colère du public religieux : il n’a pas hésité à se rapprocher des groupes réformistes et libéraux américains, qui ne font que perpétuer la conception de leurs « anciens », datant du XIXème siècle, et qui ont mené le judaïsme européen à sa perte la plus totale. En effet, ils ont dénaturé la Tora, et donné une dimension toute relative à ses enseignements. S’il faut parler de mémoire, ce n’est certainement pas chez eux qu’on pourra trouver des éléments pour la perpétuer. Au contraire, les leurs ne pourront que la déformer, et même la perdre…
Et, tout aussi étonnamment, un tout autre problème est apparu ces temps-ci sur la place publique dans le pays : peut-on laisser les soldats se faire pousser la barbe ? Problème existentiel, s’il en est : l’argument avancé contre cette opposition est que, dans ce cas, on aura bientôt une armée peuplée de soldats, tous barbus…
Cet état des choses prouve une crise identitaire intéressante : serait-ce à dire que de plus en plus de jeunes pratiquants ou revenants à la pratique s’engagent sous les drapeaux ?
Et également, que la question de l’image que veut se donner le peuple juif de nos jours est posée avec une grande acuité – celle émanant de jeunes qui tendent à rejoindre la pratique ancestrale et à la poursuivre, en particulier dans ce domaine ? Ou bien, est-ce que la face de notre génération doit à tout prix rester glabre ?
Nous avions déjà consacré un dossier à cette question, indiquant que la conduite du peuple juif semble avoir été de ne pas toucher à la barbe.
Nous vivons à un moment intéressant : plus que jamais, nos valeurs sont interpellées, et nous sommes amenés à faire nos choix. Toute une génération a vécu dans le respect du souvenir du passé, sans toutefois parvenir à pénétrer le système ; tout au plus se souvenait-on de la musique d’alors, mais les paroles échappaient. Cela leur suffisait toutefois sur le plan sentimental. La génération d’après, qui n’a pas connu par elle-même ce monde passé, doit se reconstruire, si elle ne veut pas lâcher prise : ceci explique pourquoi tellement de jeunes, de nos jours, se tournent justement vers les Yechivoth et les centres d’étude les plus engagés, au détriment de temples du souvenir vides et abandonnés, ou de formations qui ne font que perpétuer le rejet et la trahison.

Ne sommes-nous pas arrivés au moment déjà évoqué par le prophète (Yechayahou/Isaïe 49,18-21), présentant le peuple d’Israël comme une femme triste et abandonnée ? Ledit prophète l’invite à lever les yeux : « Vois autour de toi, tous sont venus ! » Qu’elle s’habille comme une fiancée, et remette ses bijoux. Tant de personnes reviendront, de sorte qu’on en arrivera à ce que les uns demandent aux autres de se pousser, pour faire de la place. L’étonnement est grand pour cette femme – le peuple d’Israël : « Ne suis-je pas sans enfants et seule ? Mais qui a-t-il bien pu élever ces jeunes ? »

Un grand retour aux sources se dessine. Sans nul doute, des personnes telles que le rabbi de Erlau, et tant d’autres rabbanim, en sont les grands et seuls auteurs.
Remarquable !●

(Kountrass numéro 195)

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