L’extrême droite est aux portes du pouvoir en Autriche, mais cette fois, personne ne s’indigne

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Après les législatives de ce week-end, le FPÖ est courtisé de toutes parts.

Comme en 2000, l’extrême droite pourrait bien intégrer le gouvernement en Autriche. Sauf que cette fois, personne ne semble s’en alarmer. Comme si c’était devenu normal en Europe. Les conservateurs menés par le jeune Sebastian Kurz ont gagné les élections législatives du dimanche 15 octobre. Il leur faut pourtant se trouver des alliés pour avoir la majorité au Parlement et ses alliés se trouvent probablement sur leur droite. Les socialistes et le FPÖ, le parti libéral qui n’a de libéral que le nom, se disputent la deuxième place.

Sebastian Kurz a fait voler en éclats la grande coalition des socialistes et des conservateurs qui gouvernait l’Autriche depuis dix ans. Pour accéder à la chancellerie, il peut être tenté de la reconduire sous sa direction. Les thèmes de sa campagne électorale le rapprochent plutôt de la droite populiste. Le paysage politique autrichien est tel qu’il n’est pas le seul à la courtiser. Les socialistes aussi sont prêts à s’allier avec elle si le pouvoir est à ce prix.

Au tournant des années 2000, la percée Haider

Le FPÖ et son chef, Heinz-Christian Strache, n’ont pas retrouvé le score de leur candidat au premier tour de la présidentielle de 2016 (35%) mais avec 26% des voix ils sont les faiseurs de roi. Pour la troisième fois dans l’histoire de la deuxième république autrichienne, la droite extrême va, selon toute vraisemblance, participer au gouvernement. La première fois, c’était dans les années 1980 sous un chancelier socialiste Fred Sinowatz; la deuxième, en 2000, avec le conservateur Wolfgang Schüssel. Le FPÖ a une histoire compliquée. Repaire d’anticléricaux mais aussi refuge d’anciens nazis qui voulent se refaire une virginité démocratique, il a reçu l’absolution du chancelier socialiste et ancien résistant Bruno Kreisky qui a dominé la vie politique autrichienne pendant des décennies. Il a sombré dans l’insignifiance jusqu’à ce que, dans les années 1990, un nouveau leader, jeune, dynamique, charismatique, lui donne un second souffle.

Né dans une famille qui n’avait pas caché ses sympathies pour le national-socialisme, Jörg Haider, s’est rendu tristement célèbre par des formules douteuses, vantant un jour «la politique de plein emploi du IIIe Reich», ou qualifiant l’Autriche de «fausse couche de l’Histoire» pour justifier ses penchants pan-germanistes. Aux élections de 1999, Haider porte son parti à la deuxième place derrière les socialistes et de justesse devant les conservateurs. Avec 27% des voix, le FPÖ obtient le meilleur résultat de son histoire et s’impose comme un allié des conservateurs qui veulent mettre fin au règne des socialistes.

Une Europe alors réactive

Chancelier conservateur, Wolfgang Schüssel se targue de vouloir agir avec les libéraux comme Mitterrand avec les communistes en 1981: les embrasser pour mieux les étouffer. Il y parvient en partie. Quant à Haider, il met en pratique le vieil adage des Anciens au temps des rivalités entre les cités grecques, selon lequel «il vaut mieux être le premier à Sparte que le deuxième à Athènes». Il préfère rester gouverneur de son Land de Carinthie plutôt que de courir le risque de l’impopularité en devenant vice-chancelier fédéral. À l’épreuve du pouvoir réalistes et extrémistes se divisent. Haider fonde le BZÖ –Alliance pour l’avenir de l’Autriche– pour continuer la coalition avec les conservateurs.

Les dirigeants européens ont averti Wolfgang Schüssel sur les conséquences d’une alliance avec les populistes. Le Premier ministre portugais Guterres (socialiste) mène l’offensive. Pour ne pas se laisser déborder par Lionel Jospin – nous sommes au temps de la cohabitation–, Jacques Chirac se joint aux protestations. L’Europe décide de boycotter l’Autriche et les Autrichiens. Même les échanges entre jeunes européens sont supprimés pendant quelques mois. À Vienne aussi, les protestations se multiplient contre le nouveau gouvernement. Des intellectuels menacent de s’exiler. Jusqu’à ce qu’à l’automne 2000, une commission bruxelloise chargée d’expertiser la politique du gouvernement Schüssel ne constate aucune infraction aux libertés fondamentales ni aucune dérive anti-européenne.

Une image polie

En 2005, Heinz-Christian Strache reprend le flambeau de son maître Jörg Haider – qui mourra en 2008 dans un accident de la route. En douze ans, il refait du FPÖ une force égale à celle des conservateurs et des socialistes. Lors de l’élection présidentielle de l’année dernière, il se voit même un avenir de chancelier. À 48 ans, Heinz-Christian Strache a un passé plus lourd que celui de son mentor. Bien qu’il se défende d’avoir jamais été un néonazi – il appelle sa  fréquentation des milieux extrémistes, fin des années 1980-début des années 1990, «sa période d’apprentissage» –, il a participé en Autriche et en Allemagne à des manifestations interdites de groupuscules d’extrême-droite.

Il a été arrêté plusieurs fois. Il a suivi des camps d’entraînement paramilitaires avec des néonazis allemands du NPD dans les forêts de Carinthie. En 1988, il fait partie des protestataires qui veulent empêcher le Burgtheater, à Vienne, de programmer la pièce de Thomas Bernhard La Place des héros, sur la compromission de l’Autriche avec l’Allemagne hitlérienne.

À la veille des élections, le journal de Munich Süddeutsche Zeitung (centre-gauche) a publié un dossier très complet sur Heinz-Christian Strache. Notamment une photo où l‘on voit le chef du FPÖ coiffé de la casquette de la corporation étudiante Vandalia de Vienne –un groupe pangermaniste favorable à la fusion de l’Autriche avec l’Allemagne– faisant avec trois doigts levés le «salut Kühnen», en allemand «Kühnen Gruss» (interdit en Allemagne mais pas en Autriche), sorte de «quenelle»à la Dieudonné, pour tenir lieu de salut hitlérien. Heinz-Christian Strache minimise: il commandait simplement trois bières.

Depuis, il a poli son image, visité deux fois Israël pour écarter tout reproche d’antisémitisme, concentré ses attaques contre l’islam politique et contre «l’islamisation de la patrie autrichienne». Il se veut le porte-parole des sans voix, des «vrais Autrichiens» qui profitent d’une économie florissante mais redoutent le «grand remplacement». Il reproche à Sebastian Kurz de lui avoir «volé» ses idées mais il est prêt à gouverner avec lui. Le vieil écologiste Alexander van der Bellen, élu président en 2016 contre le candidat du FPÖ Norbert Hofer, a posé une seule limite: pas de remise en la politique pro-européenne de l’Autriche.

Source www.slate.fr

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