Ma’ayené haYechou’a : un hôpital pas comme les autres à Bené Brak

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« Mettons-nous d’accord tout d’abord il s’agit de parler de Ma’ayené haYechou’a, de notre hôpital, et non du docteur Rothschild. » C’est sur ces paroles que le Dr Rothschild nous a accueillis, dans l’hôpital qu’il a érigé au cœur de Bené Brak. En tant que petit-fils du Grand rabbin Ernest Weill de Colmar, le Dr Rothschild parle bien le français. Mais que faire, si au fur et à mesure de notre entretien, puis de la visite des lieux, nous avons eu la nette impression qu’on ne peut séparer l’homme de l’institution : l’ambiance si particulière de cet hôpital est tout de même marquée par la personnalité du Dr Rothschild. Un phénomène sans doute unique au monde : un hôpital administré par son directeur comme une pension de famille… Seule Bené Brak y a eu droit.

Il y a plus de vingt ans, abandonnant Zurich et l’aisance d’une pratique médicale suisse, le Dr Rothschild montait en Erets Israël. Arrivé à Bné Brak, il devient rapidement le familier des grandes autorités rabbiniques, y compris BabaSalé, qui suivra par la suite pas à pas l’évolution du projet de l’hôpital. A ses débuts dans le pays, le Dr Rothschild doit sa réputation tant à ses connaissances en matière médicale qu’à ses talents de Mohel : toute famille qui se respecte tient à l’avoir pour un Brith, plutôt qu’un autre Mohel. Plus tard, l’idée d’un hôpital local germe dans son esprit, projet grandiose qui finira par être réalisé.

Il ne manque pourtant guère d’hôpitaux et de centres hospitaliers dans la région de Tel Aviv, qui regroupe plus d’un million d’habitants : Ikhilov, Bellinson, Tel haChomer, etc. Mais aucun d’entre eux ne peut offrir aux habitants de la ville de Bené Brak un respect de l’ambiance religieuse qui est la leur. Pourquoi ne pas créer une telle institution dans notre propre ville ?

Une dizaine d’années d’acharnement, de quêtes, de sollicitations, et en 1990 enfin la boucle est bouclée : Ma’ayené haYechou’a, « les Sources de délivrance », ouvre ses portes.

« Je ne manquais de rien en Suisse, mais une fois arrivé ici, je me suis rendu compte de ce qui m’avait fait défaut. J’avais bien sûr des contacts avec le monde de la Tora, mais pas de cette manière…

« Auparavant, j’avais l’habitude de me rendre chaque année aux Yar’hé Kala organisés par Ponévezh et lors de ces séjours d’étude, je fus encouragé par le rav Kahaneman zatsal., tout d’abord à quitter la Suisse, puis à prendre du service à Bené Brak…

« Me rendant compte qu’un hôpital local pouvait sauver des vies humaines, je me suis lancé dans ce projet : à l’époque, il n’y avait même pas un poste de Maguen David Adom, de premier secours, pour les 120 000 habitants de notre ville…

«Toutes les grandes autorités religieuses de la ville ont soutenu et encouragé la réalisation de mon projet, m’accompagnant dans mes efforts pas après pas : le Machguia’h de Ponévezh, rav Ye’hezqel Lewenstein zatsal, le Steipeler zatsal, et tant d’autres. On a demandé une fois à ce grand entrepreneur devant l’Éternel qu’était le rav de Ponévezh : comment a-t-il pu accomplir tant de choses dans sa vie ? Sa réponse fut : je ne dormais pas la nuit… Pour ma part aussi, j’ai voyagé dans le monde entier, négligeant sommeil et repos, car la construction d’un hôpital exige des ressources financières très importantes. Après avoir rassemblé plus ou moins les fonds nécessaires, j’ai pu jeter les fondations, sur 20 000 m². Ayant visité au cours de mes voyages à travers le monde près de 250 hôpitaux, j’avais acquis une certaine expérience : je savais précisément ce qu’il ne fallait surtout pas faire, mais j’ai aussi pu me servir des solutions ingénieuses dont j’avais vu l’application réussie dans divers endroits.»

De temps à autre, un coup de fil interrompt notre conversation. On sollicite un conseil médical, on le consulte pour avoir son avis sur l’intérêt de telle ou telle analyse dans tel ou tel cas ; il est évident que malgré ses responsabilités administratives en qualité de directeur d’hôpital, il continue à être l’un des docteurs de la ville.

L’hôpital Ma’ayené haYechou’a offre en premier lieu une maternité équipée d’une grande salle d’accouchement et complétée par une salle d’opération pour les cas d’urgence ; un service de néonatologie pour les prématurés ; un service de petite chirurgie pour opérations simples, les cas plus complexes étant adressés aux grands hôpitaux. Pour l’avenir, le directeur prévoit l’ouverture d’un service de médecine interne ainsi qu’une unité de soins intensifs, un service de dialyses et un service pédiatrique.

Toujours plus grand ? « Non, déclare le docteur Rothschild. La Michna dans les Maximes de nos pères ne nous apprend-elle pas que l’un des moyens d’acquérir la Tora est de connaître sa place ? Pour ma part, je ne recherche qu’à être opérationnel pour 80 % des problèmes. Le reste nous échappe, et nous échappera toujours, sauf si nous investissons des sommes et des forces au-delà de nos possibilités. Et ce serait dommage.»

Dans sa brochure de présentation, Ma’ayené haYechou’a refuse le terme de Beth ‘Holim, « maison pour malades », mais s’arroge le nom de Beth Refoua, « maison de soins ». Nuance. Qui signifie, selon le prospectus publié par l’hôpital, que la vocation de Ma’ayené haYechou’a est avant tout de donner des soins, et non pas de traiter la maladie : ici le patient ne perd pas ses droits d’être humain, il est intéressé aux décisions prises à son propos et pour toute intervention une autorité rabbinique est consultée d’office…

Il y a aussi le Kollel sur place : il permet aux personnes hospitalisées de continuer à… étudier malgré les circonstances défavorables.

«On me questionne souvent : pourquoi avoir construit un tel hôpital ?

«En ce qui concerne le respect du Chabbath, n’est-il pas permis de tout faire pour un malade qui a déjà besoin d’une hospitalisation ? Et en fait, ce jour-là travaillent dans l’hôpital de nombreux non-Juifs. J’ai introduit divers gadgets permettant d’éviter la profanation du Chabbath, en particulier un système d’appel à l’aide qui permet au malade d’appeler l’infirmière sans utiliser l’électricité, grâce à une lampe allumée en permanence et un système à air comprimé dégageant un cache devant l’ampoule…

«J’ai également fait construire un ascenseur spécial, qui permet de transporter un mort par l’extérieur de l’hôpital vers la chambre mortuaire, évitant ainsi des problèmes aux Kohanim qui se trouveraient dans l’hôpital. Les questions relatives au fonctionnement de l’hôpital, ajoutons-le, sont soumises à un comité de Halakha, formé par rav Wozner, rav Nissim Karélits et un gendre de rav Elyachiv, le rav Yits’haq Zilberstein, avec lequel j’ai publié un ouvrage sur les questions halakhiques relatives aux accouchements, Torath haYolédeth.

«Au plan cacherouth, notre hôpital aspire bien sûr à l’excellence : nous utilisons uniquement la che’hita du Badats de Jérusalem, sous le contrôle optimal du rav Bransdorfer, tout en sachant pertinemment qu’une personne en danger a le droit de consommer ce qu’on lui présente, si toutefois elle n’a pas d’autre choix…

«Mais une de mes motivations principales à construire cet hôpital était ailleurs en fait : il s’agissait pour nous de montrer l’importance du respect de la vie. Même dans le cas d’un nouveau-né dont nous savons qu’il n’a sans doute que quelques semaines à vivre, nous faisons le maximum d’efforts pour lui donner sa chance ; dans la même optique de respect de la vie, nous tenons à développer une certaine idée aussi des relations entre infirmières et malades, entre les infirmières elles-mêmes, entre elles et les médecins.

«Et le public y est sensible. Voyez : en décembre dernier, nous avons procédé entre ces murs à 465 naissances, chiffre qui nous place à la troisième ou quatrième place en Israël. Et il faut noter que 70 % des mères seulement étaient originaires de Bené Brak, les autres étant venues accoucher chez nous de diverses villes du pays, certaines même de l’étranger…

«Cette originalité se fait sentir également parmi le corps médical : certains de nos médecins sont religieux, d’autres pas du tout. Pour ces derniers, tout comme pour certains malades, le séjour à l’hôpital représente souvent leur premier contact avec le judaïsme traditionnel et leur permet, de leurs propres aveux, de découvrir à travers cet univers une harmonie qu’ils ignoraient totalement. Quelques uns commencent par la suite à observer les mitsvoth, chacun à sa manière. Bien des femmes non religieuses qui choisissent d’accoucher chez nous le font tout en sachant qu’elles n’auront pas de télévision et qu’elles devront se conformer à une conduite vestimentaire adaptée aux exigences de Ma’ayené haYechou’a

L’ambiance spéciale qui particularise l’hôpital a ses répercussions également dans le domaine de l’éducation et les paroles du directeur concernant cet aspect inattendu de son projet n’ont pas manqué de nous frapper : «Un père, responsable d’une institution éducative, m’a déclaré un jour qu’amener un enfant pour quelques jours dans un hôpital laïque signifie parfois pour un éducateur la perte d’une année entière de travail. La rencontre avec la télévision, la violence, et toute cette « culture » peut bouleverser un enfant. Pour nous, permettre aux jeunes malades de vivre une hospitalisation – ce qui en soi est déjà un traumatisme – sans heurts inutiles et sans effets désastreux pour leur âme tendre, représente donc une mission de toute haute importance.» Directeur d’hôpital, éducateur et pédagogue en plus ! Mais n’est-ce pas en effet le rôle de chaque père juif ?

En ces temps où nous assistons plutôt à une radicalisation de la laïcité en Erets Israël, est-il aisé de mener une telle politique ?

«Nous sommes bien sûr reconnus comme ensemble hospitalier : ceci signifie que notre institution a droit aux inspections du ministère de la Santé et qu’elle obéit à ses instructions. Nous recevons également de nombreuses félicitations de leur part. Mais de subventions, point. Et ce, bien que Ma’ayené haYechou’a soit un hôpital à part entière, qui reçoit tout patient, sans distinction d’engagement religieux. Pourquoi ? Je n’ai pas de réponse, mais il faut s’y faire.

«Nous accordons une grande attention à l’hygiène dans l’hôpital. Figurez-vous que lors de l’inauguration, une des personnalités rabbiniques actuelles nous a envoyé une lettre : « Très cher ami, je te demande une faveur personnelle : fais nettoyer trois fois par jour ton hôpital ! » Consigne que nous appliquons à la lettre. La propreté, le silence, le calme, tout cela est à vrai dire remarquable chez nous ; même dans la salle d’accouchement vous n’entendrez pas de cris… Les infirmières qui viennent d’autres établissements nous disent souvent qu’elles n’ont jamais vu cela ailleurs.»

Dans un tel établissement, ajoute encore le Dr Rothschild, nous assistons parfois à des épisodes remarquables dans le domaine médical. Et de citer le cas d’un enfant né avec un pouls très faible, pratiquement impalpable ; par hasard un conseiller de la banque du sang se trouve sur place. En entendant le nom de la mère, il affirme que celle-ci souffre d’une maladie du sang, et qu’on a dû sans doute lui faire une transfusion avec du sang d’un mauvais type. Il court apporter le type de sang approprié et sauve ainsi l’enfant. «Il était là au bon moment, alors qu’il n’avait strictement aucune raison d’y être…», conclut le Dr Rothschild.

Quant aux problèmes de Halakha rencontrés dans le cadre de l’hôpital, le Dr Rothschild cite le cas d’une femme enceinte de sept fœtus : une telle grossesse ne pouvant aboutir, les autorités rabbiniques de l’hôpital ont permis que quatre fœtus soient sacrifiés pour permettre aux trois autres de survivre. Ceci conformément à la Halakha qui autorise cet acte dans de telles circonstances. La naissance doit avoir lieu dans quelques semaines, et tout va bien.

Entre-temps, l’heure de la fin de la visite est arrivée : c’est le directeur en personne qui annonce aux visiteurs qu’il faut quitter l’enceinte de l’hôpital, par l’intermédiaire de son téléphone, relié directement aux haut-parleurs de l’établissement. Originalité : le Dr Rothschild annonce l’heure du coucher du soleil, la cheqi’a, et c’est la raison pour laquelle il tient à accomplir cette tâche lui-même (conséquences : les heures de prière, la date de naissances selon l’heure de l’accouchement, etc.). L’ayant ensuite accompagné dans les divers services, nous avons pu l’entendre signifier avec une rigueur toute suisse aux visiteurs attardés qu’il était temps de partir… Des vœux de Mazal Tov à une femme qui vient d’accoucher, un mot aux infirmières, une visite aux nouveau-nés, le tout avec l’amour d’un père de famille.

L’hôpital May’ané haYechou’a

May’ané haYechou’a, c’est un hôpital qui règle sa démarche sur les préceptes de la Tora. Certains seront peut-être surpris d’apprendre que les décisions appliquées ne vont pas toujours dans le sens astreignant ! Par exemple, il est de notoriété publique que certains « groupes de recherche » en Halakha préconisent de contourner les problèmes du Chabbath en utilisant les principes de gramma. Il s’agit en l’occurrence d’éviter un acte qui transgresse de manière directe l’une des règles du Chabbath en ayant recours à l’ingéniosité de la technique pour procéder de manière indirecte. Ainsi, l’acte ne sera plus frappé d’un interdit de la Tora, mais uniquement d’un interdit imposé par nos Sages, ce qui est moins grave. On a donc créé des téléphones-grama, des sonnettes indirectes et d’autres appareils ingénieux afin d’éviter l’interdit toranique.

Nous savions que, parmi d’autres encore, le Steipeler zatsal, rav Israël Ya’aqov Kaniewsky, auteur du Kehiloth Ya’aqov et l’une des dernières grandes personnalités rabbiniques contemporaines, s’opposait à cette démarche : si une profanation du Chabbath est autorisée dans un cas précis, rapporte-t-on en son nom, il vaut mieux transgresser dans le cadre permis par la Tora sans chercher à diminuer l’acte ! Il craignait, semble-t-il, que la création de ces solutions techniques n’amène le public à en faire usage même sans justification.

A May’ané haYechou’a, on n’utilise aucune de ces techniques ! Sauf, bien sûr, des systèmes incontestés, comme ces lampes allumées mais recouvertes, citées dans l’interview, qui permettent d’éviter toute profanation de la sainteté du jour. Pour la même raison, nous a fait remarquer le Dr Rothschild, aucun ascenseur de Chabbath n’a été installé dans l’hôpital, où l’on préfère utiliser les services d’un non-juif en cas de besoin.

Par Nathan Catz

Kountrass Magazine nº 39 – Adar 5753 / Mars 1993

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