Pessa’h chéni

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Par le rav Michel Kottek (extrait Kountrass n° 72)

 

La Tora a prévu une sorte de «session de rattrapage» pour ceux qui n’auront pas pu apporter à temps leur sacrifice de Pessa’h, une sorte de demi-fête dont l’essence reste à définir.

Ce même jour 14 Iyar est traditionnellement la date anniversaire du décès de rabbi Méïr, le Maître de la Michna (voir note en fin d’article) : est-ce là pure coïncidence ?

Le présent article est consacré à l’examen de ces questions.

 

« C’est au deuxième mois, le quatorzième jour, vers le soir, qu’ils le feront [le sacrifice pascal].., ils le mangeront avec des azymes et des herbes amères… Si un converti habite avec toi, il apportera le sacrifice de Pessa’h en se conformant aux lois de ce sacrifice et à ses institutions une même loi vous régira, tant l’étranger que l’indigène » (Bamidbar/Nombres 9,11 à 14).

 

Le Sifri pose ici une question intéressante, rapportée par Rachi ad loc.: se pourrait-il que tout converti doive apporter de suite [c’est-à-dire dès le moment de sa conversion, à n’importe quel moment de l’année] un sacrifice de Pessa’h ? Le verset répond « Une même loi vous régira », ce qui signifie « Si un étranger vient résider avec toi et veut apporter un sacrifice de Pessa’h avec les autres Juifs, il devra suivre ses lois et ses préceptes », et donc il n’apportera pas de sacrifice de Pessa’h immédiatement, mais il attendra la fête comme tout le monde.

Il ressort de cette question du Sifri qu’on aurait pu penser qu’un converti fût tenu d’apporter ce sacrifice spécifique au moment de sa conversion, ce qui aurait démontré qu’il luimanquait un élément qu’il n’aurait été possible d’acquérir qu’à l’aide de ce sacrifice. La chose demande évidemment à être éclaircie.

 

A priori, cette mitsva de la Tora vient marquer le passage d’une identité à une autre en parallèle à la transformation de la maison d’Israël en nation au moment de la sortie d’Egypte, tout homme, assumant lui aussi un changement de son être, affirme son adhésion au peuple juif d’une manière plus intense en apportant ce sacrifice.

De fait, cette idée est exprimée en filigrane dans le mot Pessa’h lui-même. Le verset (Chemoth/Exode 12,27) dit en effet : « C’est le sacrifice de Pessa’h en l’honneur de l’Eternel, qui a délaissé [passa’h] les demeures des fils d’Israël en Egypte, lorsqu’Il a frappé les Egyptiens et a voulu préserver nos maisons ». La différence est essentielle entre celui qui a accompli cette obligation et celui qui ne l’a pas fait. Et au même moment, s’établit une profonde séparation entre Israël et l’Egypte, du fait que les Juifs ont apporté comme sacrifice l’animal qui était intouchable aux yeux des Egyptiens. C’est dans cette optique qu’on aurait pu penser effectivement qu’une personne qui effectue la démarche de s’écarter des peuples du monde et de pénétrer dans la nation juive doive lui aussi apporter un tel sacrifice – idée que, donc, la Tora repousse.

En fait, deux obligations de la Tora, tout à fait différentes l’une de l’autre, sont nommées « signe » dans le Texte : la circoncision et le sacrifice de Pessa’h (id. 12,13 – Pessa’h – Beréchith 17,11 – Mila). La non-exécution délibérée de toutes les deux est sanctionnée du même châtiment, le retranchement du peuple juif [Kareth].

Néanmoins, sur un autre plan, les deux obligations diffèrent : il n’est pas exigé de la part d’un converti d’apporter le sacrifice de Pessa’h immédiatement, alors que la circoncision est incontournable pour que la conversion soit valable. Il y a lieu d’établir une distinction entre la circoncision qui correspond à une alliance entre Hachem et chaque individu, et le sacrifice de Pessa’h, qui contracte une alliance entre D’ et l’ensemble de Son peuple.

Des preuves à l’appui de cette dernière idée peuvent être apportées dans le fait que le sacrifice de Pessa’h n’est apporté qu’en groupe, qu’il est nommé « sacrifice public », et qu’un incirconcis ne peut en manger, justement parce que ce dernier ne fait pas partie à part entière du peuple juif. Le Sifri rapporté plus haut permet de constater la même idée, puisque ce texte ajoute de manière surprenante : « Si un étranger vient résider avec toi et veut apporter un sacrifice de Pessa’h « avec les autres Juifs », il devra suivre ses lois… », ce qui montre bien que cette obligation doit être exécutée en compagnie des autres Juifs, et non tout seul.

Il est possible de trouver une autre explication à la différence entre la circoncision et le sacrifice de Pessa’h dans ce qu’explique le Sefath Emeth (Parachath Bo, p. 55).

A propos du verset : « Ce mois-ci est pour vous… » (Chemoth/Exode 12,3), il écrit ce qui suit :  « Ceci, parce qu’en sortant d’Egypte les Juifs ont reçu une identité neuve [beria ‘hadacha], quand ils ont été choisis pour le service divin. Et leurs âmes ont également reçu une nouvelle individualité, comme disent nos Sages à propos d’un converti, ressemblant à un enfant qui vient de naître. Et c’est pourquoi le verset parle de : « Je suis l’Eternel ton D’ Qui t’ai fait sortir d’Egypte », plutôt que « Qui t’ai créé », car ce temps est plus important que la Création elle-même. Et ceci, depuis toujours, correspond à la nature du Juif qui est prêt à se sacrifier pour Hachem en sachant que c’est même le but de la Création : il est arrivé à cette capacité lors de la sortie d’Egypte… Et le verset (Yecha’yahou/Isaïe 43,21) énonce : « Ce peuple, Je l’ai « créé »…  ce qui signifie que les enfants d’Israël ont reçu une identité particulière, dont l’essence dépend des efforts qu’applique chacun… En fonction du travail personnel, chaque personne a droit à ce que l’âme et l’esprit qu’il a en lui se dévoilent toujours plus, et, selon la qualité de l’acceptation qu’il proclame du joug divin, cet esprit doit se renouveller en son sein [selon l’expression du verset de Tehilim/Psaumes 51,12]. Ainsi les enfants d’Israël peuvent-ils toujours arriver à ce renouvellement, comme le dit le verset : « Ce mois-ci est « pour vous »… » [N. D. L. R. : Le Sefath Emeth semble ici jouer sur le mot ‘hodech (« mois »), qui fait appel à une notion de renouvellement, et qui peut-être lu ‘hadach, « nouveau »].

On peut donc en tirer plusieurs conclusions :

– les enfants d’Israël ont reçu une nouvelle identité lors de la sortie d’Egypte.

– c’est grâce à cet exode qu’ils ont été capables plus tard de recevoir la Tora.

– ils ont hérité alors d’une capacité de se lancer avec abnégation totale dans le service divin.

– le dévoilement de la présence de l’âme et de l’esprit que l’homme a en soi est fonction de la qualité du service divin de chacun.

– et en conséquence, besoin est chaque année d’arriver à un certain renouvellement, par le biais des obligations de la fête.

 

Ces idées permettent une meilleure compréhension de la différence entre l’alliance perpétuée par la circoncision et celle consacrée par la sortie d’Egypte : par la première, chaque Juif a droit à l’âme et à l’esprit spécifiques à son identité, alors que l’accomplissement de l’obligation du sacrifice de Pessa’h permet à chacun de mieux dévoiler ces éléments qui sont en lui.

En conclusion, il est possible de résumer les deux réponses données ici : la circoncision est une alliance avec chacun, alors que celle du sacrifice de Pessa’h a une résonance au niveau de la nation ; la première assure l’obtention de forces potentielles, alors que le sacrifice de Pessa’h correspond à leur dévoilement. Cela explique que la circoncision n’a lieu qu’une seule fois, alors que Pessa’h doit être apporté chaque année, permettant à chaque reprise une nouvelle révélation des forces enfouies.

L’auteur du ‘Hinoukh (Mitswa 16) écrit :

 

En conséquence, à l’époque où nous avons commencé à former la partie la plus précieuse parmi les peuples, un royaume de prêtres et une nation sainte, nous devons, chaque année à la même époque, accomplir des actes qui démontrent le haut niveau auquel nous avons accédé à ce moment là. Et par les actes et le souvenir que nous donnons à cela, la chose sera inscrite dans notre âme à tout jamais… car les cœurs sont influencés par les actes …

Ces considérations nous permettent également de mieux comprendre l’argument des Juifs qui ne purent apporter le sacrifice de Pessa’h à temps. Ils disaient (Bamidbar/Nombres 9,7) : « Pourquoi serions-nous privés d’offrir le sacrifice de Hachem en son temps, seuls entre les enfants d’Israël « ?

Ils avaient compris que cet acte avait une signification particulière, et qu’en l’absence du sacrifice, ils allaient être rejetés hors du peuple juif. Voilà la raison pour laquelle ils se sont levés et ont demandé qu’une solution soit trouvée.

Le Ba’al haTourim (ad loc. 10) explique le choix du 14 Iyar comme date du Pessa’h Chéni : « Parce que, lorsque l’année précédente est embolismique, Iyar remplace Nissan ». Il faut comprendre sans doute que, lorsque l’on ajoute un mois à l’année, la fête de Pessa’h tombe à sa vraie date, le 14 Iyar, ce qui fait que cette date-là est également associée à l’offrande du sacrifice de Pessa’h, et que c’est donc là le moment le plus approprié pour que ces personnes, qui étaient empêchés de l’amener en temps prescrit, puissent profiter encore des qualités exceptionnelles de cette mitsva.

Notre auteur ajoute : «Et parce qu’au 15 Iyar la manne a commencé à tomber, c’est la raison pour laquelle on y fait le Pessa’h qu’un jour ». Il semble bien que le problème qui préoccupait le Ba’al haTourim était de savoir pourquoi la seconde session au cours de laquelle il est possible d’apporter ce sacrifice n’est pas suivie d’une fête durant sept jours, question à laquelle il répond en soulignant que c’est ce jour-là que la manne a commencé à tomber.

Cette idée peut être explicitée par ce qu’a écrit rabbi Ya’aqov Emden : la première année, ils ont consommé jusqu’au 15 Iyar les galettes de matsa qu’ils avaient emportées d’Egypte, ce qui tendrait à prouver que la matsa et le pessa’h ont effet jusqu’à cette date, et pas ultérieurement et que les miracles ont continué jusqu’à ce soir-là. En conséquence, les journées qui suivent cette date n’ont plus rien à voir avec Pessa’h et un jour suffit, idée qui peut correspondre parfaitement à celle exprimée plus haut par le Ba’al haTourim.

 

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