Rabbi Chim’on bar Yo’hai, le « ben ‘alyia »

0
578

Lag Ba’omer est un moment de liesse à la gloire du Tana rabbi Chim’on bar Yo’hai. Les gens voyagent de tout Israël pour se recueillir sur la sépulture de l’auteur du Zohar. Certains disent qu’il s’agit du jour de son décès, d’autres affirment qu’il y reçut l’ordination rabbinique. Quoi qu’il en soit, la date de Lag Ba’omer nous invite à méditer sur ce grand personnage de notre peuple.

Il est écrit dans le traité Maccoth du Talmud de Babylone (17b) : « Rava dit : « Celui dont la mère enfante qu’elle donne naissance à un enfant comme rabbi Chim’on bar Yo’hai, sinon qu’elle n’est pas d’enfant ! » En d’autres termes : qu’il prie pour qu’elle donne naissance à un enfant dont le niveau spirituel sera égale à celui de l’illustre Tana, sinon cette naissance est vaine et inutile. C’est là une sentence des plus étranges. Certes, rabbi Chim’on était un grand maître de la Michna et un véritable tsadik, mais tous les hommes d’un niveau inférieur sont-ils à jeter à la poubelle ? Est-ce insignifiant d’être un bon Juif ? Que signifie ce mystérieux enseignement.

La Guemara ‘Erouvin (13b) rapporte un débat entre Beth Hillel et Beth Chammaï : est-il bien pour l’homme qu’il vienne au monde ?

Les sages de la Michna ont voté et déclaré qu’il eut été préférable qu’il ne vienne pas au monde en raison de sa propension à la faute. Les Tossafistes expliquent que cela ne s’applique pas aux tsadikim. Car les tsadikkim enrichissent leur génération. On peut appliquer cette explication à la sentence de Rava. Cela revient à dire : celui dont la mère enfante, qu’elle donne naissance à un Tsadik, sinon il eut été préférable qu’il ne vienne pas au monde. Selon cette interprétation, la prière de Rav prendrait rabbi Chim’on comme un tsadik parmi d’autres. En cela, elle s’éloigne du sens littéral. On lui préféra donc une autre interprétation.

On trouve dans la Guemara Souca (45b) une sentence très particulière de rabbi Chim’on bar Yo’hai. Il dit : « J’ai vu les bené ‘alyia, ils sont peu nombreux […]. s’ils ne sont que deux, c’est mon fils et moi ». Une lecture superficielle de ce texte amènerait à la conclusion que la déclaration du fameux Tana pèche par son manque d’humilité. Et, puis en quoi cela nous concerne. Qu’est que cette sentence talmudique enseigne aux Juifs du XXIème siècle ?

Le Rambam écrit dans les lois relatives à la conduite morale (6,1) : « Il est naturel d’être influencé, dans son caractère et sa conduite, par ses voisins et amis, et de suivre les habitudes des habitants de sa ville. Aussi convient-il de s’associer aux justes, et de toujours fréquenter la compagnie des sages, afin d’apprendre de leur conduite, et de fuir les méchants qui marchent dans l’obscurité, afin de ne pas être influencé par leurs pratiques.»

À la fin de la Seconde Guerre mondiale, les atrocités révélées du régime nazi posent de nombreuses questions aux politiques, psychologues et sociologues, à commencer par le mécanisme du consentement, qui a permis des crimes d’une intensité jamais égalée jusqu’alors, par des personnes qui se défaussent en expliquant n’avoir fait qu’«obéir aux ordres». Des recherches, en ce sens, débutent.

En 1951, le psychologue américain Salomon E. Asch propose ainsi à des étudiants de participer à une soi-disant expérience de perception oculaire. Chaque participant était invité à prendre place dans une salle afin de participer, avait-il été informé, à une expérience de perception visuelle. Dans la salle se trouvaient déjà sept autres personnes qui étaient des complices de l’expérimentateur. Le participant était placé de façon à ce qu’il soit le dernier à répondre aux questions posées. Deux images étaient présentées aux participants : une première avec une seule ligne, et une deuxième avec 3 lignes. Ils devaient indiquer laquelle des 3 lignes était de même longueur que la première. Les bonnes réponses étaient faciles et évidentes à donner. Au début de l’expérience, les complices donnaient la bonne réponse, et les participants donnaient aussi la bonne réponse dans plus de 99 % des cas. Au bout d’un moment, les complices donnaient parfois unanimement une mauvaise réponse. Dans ces cas, le taux de mauvaises réponses de la part des participants était d’environ 30 %. Ainsi, sans qu’il y ait de contrainte, de récompense ou de punition, les gens ont une tendance à se « conformer » à une majorité malgré qu’ils aient personnellement une opinion différente, ce qui a été appelé l’« effet Asch ».

Lors d’un colloque de Sages à Oucha, alors que son collègue Rabbi Yehouda vante les vertus technologiques et civilisatrices de Rome, Rabbi Yossi garde le silence tandis que Rabbi Chim’on lui rétorque que leurs marchés sont des places de prostitution, leurs bains ont été créés pour leur propre plaisir et leurs ponts sont un prétexte à levée de taxes. Ses paroles parviennent aux oreilles du pouvoir romain qui décide de son exécution.

Rabbi Chim’on bar Yo’hai se distingue par son anticonformisme à toutes épreuves. Il n’a pas peur d’affirmer la vérité. Il vit, et agit comme un veritable ben ‘alyia, même si cela le marginalise, ou le met en danger.  C’est là tout son apprentissage : être un ben ‘alyia eu égard au politiquement correct. Cet enseignement est tout à fait actuel. Il nous parle dans notre réalité quotidienne. Lorsqu’on cède au conformisme, on n’existe plus. On étouffe son âme pour faire comme les autres.  On peut donc comprendre la prière de Rava à la lumière de cet enseignement. Il faut prier pour que nos enfants vivent la vérité sans céder sous le poids de la pression de la société, des amis, des modes, etc.

Aucun commentaire

Laisser un commentaire