Rescapée d’Auschwitz, elle vit sous protection policière

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« En moi, je suis toujours cette petite fille de 8 ans qui a été expulsée de l’école, parce qu’elle était juive. » Liliana Segre commence souvent ses interventions publiques ainsi, par le récit de cette rentrée des classes à laquelle elle n’aura jamais droit dans son école publique de Milan, victime des lois raciales proclamées en septembre 1938 par le régime fasciste de Mussolini.

Chevelure blanche soignée, collier et boucles d’oreilles en perles : à 89 ans, Liliana Segre porte avec vigueur et dignité le lourd devoir de mémoire. Depuis trente ans, la survivante des camps témoigne de son terrible destin devant des parterres d’étudiants et écoliers de sa région.

« Une espèce en voie d’extinction »

Et malgré l’habitude, la gorge de la rescapée d’Auschwitz-Birkenau se serre encore quand arrive le moment de raconter sa déportation, à l’hiver 1944. Elle n’avait que 13 ans quand elle est envoyée en camp de concentration.  Tu comprends très vite ce que veut dire « le camp » : la mort, la faim, le froid, les humiliations, les tortures, les expérimentations.  Sauvée  par hasard », dit-elle, l’adolescente au matricule nazi 75190, tatoué sur le bras gauche, reviendra vivante en Italie en août 1945.

Après quarante-cinq ans de mutisme, Liliana Segre s’est décidée à parler, consciente de sa responsabilité :  J’appartiens à une espèce en voie d’extinction.  Témoigner, pas seulement pour raconter l’histoire et la Shoah, mais aussi pour mettre en alerte la jeunesse d’aujourd’hui.  La transmission de la tolérance et de la lutte contre la haine est une leçon utile pour les enfants et pour tous, car cette atmosphère fondée sur l’ignorance et l’indifférence, qui régissait le monde à l’époque, est malheureusement de retour aujourd’hui.  Elle veut  enseigner aux jeunes comment se comporter et combattre  les phénomènes racistes.

Car, elle en est la preuve : la haine antisémite est encore vive dans la Péninsule. Juive, témoin rescapée de l’enfer de l’Holocauste, presque nonagénaire, elle est la cible de menaces quotidiennes. Elle aurait dû crever avec ses parentsHitler a mal fait son travailJuive de merde… Des messages de ce type, Liliana Segre en reçoit plusieurs centaines chaque jour sur les réseaux sociaux. Injures racistes et banderoles néo-fascistes lors de ses sorties publiques : les attaques à son encontre se sont intensifiées ces dernières semaines.

À tel point que sa sécurité est devenue une priorité du gouvernement italien. Sur ordre de la préfecture de Milan où elle réside, une escorte policière lui a été assignée début novembre. Désormais, la survivante des camps ne peut se déplacer que sous la protection de deux carabiniers.

D’où vient cette recrudescence de discours haineux ? De son idée de créer une commission de lutte contre le racisme et l’antisémitisme en Italie. Une initiative noble censée faire l’unanimité, espérait Liliana Segre, qui pourtant a provoqué la division. Fin octobre, lors du vote de la mention présentée au Parlement, les groupes de droite, extrême droite et post-fascistes ont préféré s’abstenir, disant craindre que cet outil de contrôle des incitations à la haine n’entrave la liberté d’expression des Italiens.

Sénatrice à vie et citoyenne d’honneur

La commission verra tout de même le jour, validée par une majorité de gauche. Mais la réticence des droites à soutenir cette proposition a un goût amer pour la pourfendeuse de l’intolérance. D’autant qu’il s’agit de son premier acte en tant que nouvelle sénatrice. Car pour honorer son parcours, début 2018, le président de la République italienne Sergio Mattarella a  ouvert grand les portes du Sénat  à Liliana Segre, lui offrant un des cinq sièges honorifiques de  Sénateur à vie  de l’hémicycle.

 La petite fille juive encore blessée par les portes fermées de l’école est appelée quatre-vingts ans plus tard, dans cette même Italie, pour être sénatrice à vie », avait-elle réagi, bouleversée. Une récompense encourageante pour la Milanaise, apolitique, qui ne prétend transmettre rien d’autre que sa tragique expérience de la haine anti-juive.

Son message et les menaces de mort dont elle fait l’objet ont d’ailleurs touché de nombreux citoyens. Du nord au sud de l’Italie, plusieurs communes ont déjà annoncé qu’il lui donnerait le titre de citoyenne d’honneur. Le 11 novembre, 5 000 Milanais se sont rassemblés en son nom. Symboliquement, la manifestation de soutien  pour faire escorte  à la sénatrice a commencé voie 21 de la gare centrale de Milan. C’est de ce quai qu’elle est partie pour Auschwitz (Pologne) il y a soixante-quinze ans.

Aujourd’hui, Liliana Segre espère que le témoin est passé, consciente qu’ il est de plus en plus difficile de se faire comprendre des nouvelles générations, mais que la mémoire est un devoir incontournable tant que le dernier témoin vivra .

Intervenant à nouveau devant des étudiants ce mois-ci, elle résume son combat d’une vie contre l’oubli et la haine en quelques mots, empruntés à son  très cher ami  survivant d’Auschwitz, Primo Levi :  Je ne pardonne pas, je n’oublie pas, mais je ne hais pas. 

Source www.ouest-france.fr

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