S’endormir dans l’avion, et éveiller des âmes

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Le rav Chalom Chakhna Zahn zatsal était un disciple de rav Baroukh Ber Leibovitz, et du ‘Hafets ‘Hayim. Il est décédé voici trois ans à Jérusalem, à l’âge de 101 ans. Il est né en Pologne, mais ses parents ont émigré aux Etats-Unis quand il avait sept ans. Là, il est parti étudier dans les Yechivoth – ce qui était fort rare en ces temps-là.
Il est revenu en Europe centrale et a fréquenté la Yechiva de Kaménitz, puis est reparti aux Etats-Unis pour devenir l’un des dirigeants de la Yechiva Tora Veda’ath durant une trentaine d’années, avant de se rendre en Erets Israël où il a dirigé un Kollel destiné aux Kohanim et visant à préparer le travail au Beth haMiqdach…
Et voici que sa famille apprend par hasard qu’il a fêté l’un des jours de Roch haChana de sa longue vie à Bangkok, en Thaïlande…

A l’occasion, plusieurs jeunes se sont invités chez les Zahn, qui étaient connus pour leur hospitalité. Quand la rabbanith leur demanda pourquoi ils avaient voulu passer le vendredi soir chez eux, ils lui ont répondu qu’ils avaient connu le rav à Bangkok. La rabbanith fut surprise : « Mais jamais de la vie mon époux n’y a mis les pieds… » Elle demanda à son mari, qui lui confirma l’information :
il y avait passé un Roch haChana…

Son fils, rav El’hanan Tswi, rapporte les détails assez édifiants qu’il est parvenu à obtenir de son père à cet égard :
« Je desservais une communauté excentrée à Queens, New York. Nombre de Juifs y vivant ne respectaient pas les mitswoth. Aux grandes fêtes, la question que je me suis posée était de savoir comment m’adresser à ce genre de personnes, qui, comme c’est souvent le cas, se sentent portées à venir à la synagogue pour y prier : d’un côté, j’avais l’habitude des thèmes liés au jour du jugement, au fait que tous les hommes passent devant Lui comme des brebis, mais d’un autre côté je craignais qu’un tel public ne puisse entendre un discours pareil tant il est éloigné de toute leur réalité. J’ai posé la question à mon père. Contrairement à son habitude, il m’a raconté qu’il s’était posé cette question lui aussi quand il s’était retrouvé à l’occasion pour Roch haChana à Bangkok. Le public lui était totalement inconnu. “J’ai décidé de me conduire sans rien changer, selon ce que j’avais l’habitude de dire en ces moments-là, sans tenir compte de l’identité des gens auxquels je m’adressais. Cela a eu grand effet” avait-il conclu.
J’étais très étonné : mon père avait passé un Roch haChana au loin, et nous n’en savions rien à la maison ! Il me raconta alors une histoire qui nous laissa tous pantois.
Un an auparavant – on est en 1976 –, la famille s’était rendue en Erets Israël pour les Grandes Fêtes, mais notre père dut rester plus longtemps à New York, du fait de ses obligations envers la Yechiva. Pour nous rejoindre, il prit un avion avec escale à Londres, où il devait changer et prendre un vol pour Tel Aviv. Comme il était quasiment sourd du fait de son âge déjà respectable, il s’était endormi et n’entendit pas l’appel de l’équipage invitant les gens en direction de Tel Aviv à descendre pour prendre un autre vol. De la sorte, il se retrouva sur un avion se dirigeant vers Bangkok, mais effectuant entre-temps une escale dans un aéroport d’un pays arabe dangereux pour un Juif, où l’équipe le couvrit d’une couverture afin que nul policier ne le découvre, tant cela aurait pu être risqué.
Il arriva à la veille de Roch haChana en Thaïlande. Il était bien sûr affolé à l’idée de devoir passer des journées saintes en un tel lieu, mais son calme habituel lui dit que si la Providence en avait voulu ainsi, c’est qu’il avait là un rôle à jouer. Il sortit de l’aéroport, sans trop savoir vers où se diriger. En ces années-là, on ne pouvait pas encore trouver des délégués ‘habad ou autres en ces lieux éloignés. Grâce à des passants juifs, il fut dirigé vers la maison du président de la communauté. Une rapide conversation avec celui-ci lui permit de comprendre que les prières dans ce lieu étaient effectuées hommes et femmes mélangés, sans la moindre séparation. Il décida de ne pas se rendre le premier jour à la synagogue, lequel était Chabbath. Le lendemain, il voulu tout de même entendre les sonneries du chofar, mais uniquement de l’extérieur, puisqu’ il ne voulait pas pénétrer en un tel lieu – la communauté n’était pas réformiste, mais c’était uniquement par laisser-aller qu’une telle conduite avait été adoptée. Le président le supplia de ne pas lui faire honte, et d’entrer dans la synagogue. Il accepta, mais bien entendu son apparence était fort insolite aux yeux des personnes présentes. On le pria de dire quelques mots. Là aussi, il finit par accepter. Il leur expliqua pourquoi il n’était venu les rejoindre pour la prière que le second jour de Roch haChana, en leur présentant l’importance de la sainteté d’un lieu de prière. Il parla du Temple de Jérusalem, le centre de la sainteté du peuple juif, et du fait que l’un des éléments de ce lieu était la séparation entre hommes et femmes. La synagogue, conclut-il, prend la place, de nos jours, de cette enceinte sacrée, et c’est pourquoi il est indispensable que la mixité en soit exclue. Il ajouta une demande personnelle : “Si vous voulez faire plaisir à un vieil homme arrivé ici par hasard, veuillez respecter cette séparation afin que je puisse prier avec vous.” Mais alors se leva un des notables de ces lieux, visiblement le rabbin en fonction, qui prit le contre-pied : les temps avaient changé, la nouvelle génération voit à présent les choses différemment, etc.

Le président se leva et dit : “Je ne veux pas intervenir dans un débat entre les rabbanim, mais comme cette personne est mon invité personnel, je vous demande de répondre favorablement à sa demande, et de séparer les hommes des femmes.” En vérité, cela n’était pas suffisant selon la Halakha, et mon père ne pria pas avec eux, mais il fit semblant, et ne pria que plus tard.
Après la fête, un groupe de trente-cinq femmes vint rendre visite au président, et demanda à parler avec mon père. Il accepta. Elles voulaient savoir comment s’y prendre pour arriver à ce dont il avait parlé, à savoir fonder une famille juive dans les règles de l’art. Ce n’était pas évident, dans les conditions dans lesquelles elles vivaient. Mon père le leur dit, et leur proposa de rédiger un texte d’engagement sur lequel elles apposeraient leur signature, s’engageant à le respecter sans faute. Un long débat se déclencha entre elles, et finalement dix-neuf femmes acceptèrent de s’engager, les autres souhaitant en parler avec leur conjoint.
“Voilà donc comment j’ai agi dans de telles conditions”. Ainsi, conserver une ligne totalement engagée, même dans un environnement se situant aux antipodes. »
Le fils du rav Zahn ajouta quelques autres détails, qui lui furent connus par la suite.
L’un d’entre eux fit suite à l’invitation qu’il reçue à l’occasion, dans le cadre de son travail à la ‘hévra qadicha, de se rendre à Bangkok pour l’inauguration d’un nouveau cimetière orthodoxe de la communauté. La personne lui demandant de venir était une dame orthodoxe. Quand il accepta en précisant qu’il le faisait à la suite de la visite de son père en ces lieux, il fut assez surpris d’apprendre que ce court passage à Bangkok avait entraîné une grande révolution ! A l’époque, on ne pouvait trouver dans la ville de miqwé, de che’hita, de synagogue dirigée selon la Halakha, ni bien entendu d’école pour garçons ou filles s’inscrivant dans la voie de la Tora. Mais un an plus tard, son intervention courageuse durant Roch haChana avait déjà fait tout changer, et plusieurs familles de la ville avaient décidé de fonder une vraie communauté selon la Halakha.
« Mais de quoi a-t-il pu parler ? » demandai-je à cette dame. Elle hésita assez longuement, et finit par dire qu’ils avaient tous senti qu’il s’adressait à eux comme un père, qui s’inquiète de la situation de ses enfants, et c’est là l’élément qui a permis ce bouleversement.
Puis elle raconta une autre histoire. A cette période, un jeune d’une famille ‘hassidique vivait à Bangkok, et avait abandonné tout lien avec le judaïsme. Il travaillait alors pour les services diplomatiques américains. Il devait devenir le relais du F. B. I. à Bangkok. Il savait que c’était Roch haChana, et en voyant le rav dans les rues de la ville, il se dit qu’on lui envoyait du Ciel un message pour le rappeler à l’ordre. Il se dirigea vers le rav, qui lui dit : « Tu n’es certainement pas juif, mais peut-être peux-tu me dire où se trouve la synagogue ? »
Le jeune, interloqué, demanda à mon père d’où il tirait cette certitude : « Dans la Tora que le Saint béni soit-Il,a donnée à Son peuple élu, l’une des mitswoth importantes est celle du Chabbath. Or je te vois avec une cigarette à la bouche. C’est donc que tu n’es pas juif… » Le jeune, raconta cette dame, éprouva alors une honte comme il n’en avait jamais ressentie, il jeta sa cigarette et prit sur lui de ne plus jamais fumer en ce saint jour. Par la suite, il revint à la Tora, et se rapprocha de la communauté pour apprendre, lui aussi, comment fonder un foyer juif authentique.

« Par la suite, ajouta encore rav El’hanan Tswi Zahn, d’autres familles se sont présentées chez nous, à Jérusalem, lesquelles sont revenues à la pratique grâce à la visite impromptue de notre père à Bangkok, et à son intervention sincère et directe en ce jour-là face à une communauté tellement éloignée de la Tora. »

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