Sur le terrain

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Il se peut que l’image de la douce France, vue de haut, se soit un peu adoucie , en particulier du fait des prises de positions fermes de la part du pouvoir, avec Hollande en premier. Toutefois, divers témoignages pris sur le terrain ne sont pas sans apporter de grandes inquiétudes.

Nous avons choisi le texte suivant, pris d’un blog www.facebook.com/mohamed.kacimi.9/posts/10205650057991726, signé par Mohamed Kacimi, un auteur connu, originaire d’Algérie, vivant en France.

LES TRIBULATIONS D’UN AUTEUR DANS UN LYCÉE DE BANLIEUE AU LENDEMAIN DE LA MANIFESTATION

 

Je suis parti tôt de chez moi. Comme tous les auteurs dramatiques je n’ai pas de permis : j’ai donc pris un RER puis deux bus pour rejoindre un lycée professionnel dans le Val-de-Marne où je devais rencontrer deux classes de terminale pour leur parler de théâtre. Comme à chaque fois je me suis perdu, et bien sûr comme à chaque fois, les rues étaient désertes au moment de mon égarement. J’ai fini par trouver l’établissement en question, planté dans une zone pavillonnaire plutôt jolie. J’ai poireauté un moment devant le portail cadenassé en raison du plan Vigipirate avant d’être reçu par le proviseur. Celui-ci était habillé comme tous les proviseurs, avec un costume bleu pétrole et une cravate rouge. C’est à croire que tous les proviseurs se fournissent dans le même magasin. Il m’a introduit dans son bureau qui ressemble à tous les bureaux de tous les proviseurs : une table Conforama en agglo et une cafetière Moulinex. L’ambiance était tendue mais mon hôte était affable :

« Vous savez, c’est un peu tendu en ce moment, mais moi je m’en suis bien sorti. On a fait la minute de silence, j’ai baissé la tête, certains ont rigolé, mais tout le monde a applaudi. Je respire. A Bondy, il y a des profs qui ont refusé d’observer la minute de silence… Vous allez rencontrer nos classe, ils sont très gentils, vous verrez, je crois qu’ils vont parler de ce qui s’est passé, des… évènements… Il faut juste faire attention au mot, il faut bien choisir les mots, ils sont gentils les élèves, mais il faut faire attention…

jeunes– C’est-à-dire ?

– N’utilisez pas les mots « terroristes, terrorisme », ils ne comprennent pas…

– Pourquoi ?

– C’est des ados, pour eux « terroriste », c’est positif, c’est guerrier, dites plutôt « attaquants »….

– Je vois…

– Oui, il y a un autre mot qu’il ne faut pas utiliser : c’est « attentat ».

– Ah bon ?

– Oui, c’est la même chose, c’est un acte héroïque, il vaut mieux dire « opération »…

– Je comprends.

– Une dernière chose, monsieur Kacimi, j’ai lu ce que vous écrivez, ne parlez pas d’Islam, d’islamistes, ils trouvent ça stigmatisant…

– Qu’est ce que je dois dire?

– Religieux, fondamentaliste, et si vous parlez d’Islam n’oubliez pas de citer les deux autres religions, c’est ce que je fais à chaque fois, quand je parle de l’Islam je cite obligatoirement les deux autres religions, le christianisme et le judaïsme. »

Je m’installe alors au CDI où je suis reçu par la prof de français qui ressemble à toutes les profs de français du public, car elle a des cernes qui tombent jusqu’aux chevilles.

Entre la première classe de terminale qui ressemble à toutes les classes de terminale des lycées professionnels, dans la mesure où elle compte 22 blacks et 2 blancs que l’on dirait égarés. Les 22 blacks sont habillés comme tous les blacks, Nike, jeans et doudoune avec capuche. Et les deux blancs égarés sont habillés comme les blacks sauf qu’ils portent de lourdes chaînes en argent.

Entre la deuxième classe de filles, pareille à toutes les classes de lycées professionnels de France, car elle compte 16 blacks et 6 arabes, toutes habillées en Gap. La prof se lance dans de grandes questions sur Beckett, le théâtre de l’absurde et l’incarnation. Les garçons regardent leurs baskets et les filles leurs ongles. Comme dans tous les lycées de ce genre il n’y a aucun contact entre les deux sexes et les deux « races ». Les filles d’un côté, les garçons de l’autre ; les arabes d’un côté, les blacks de l’autre. Il y a une thèse à rédiger sur ce phénomène « Ce que cachent aux adultes les ongles des jeunes filles ». Il faudrait que je revende ce titre à Yasmina Khadra.

Sentant mon auditoire peu passionné par la dramaturgie, je décide de mettre les pieds dans le plat :

« Bon, je vois que le théâtre ne vous passionne pas beaucoup, pouvez-vous me dire comment vous avez vécu les… évènements du journal… satirique… ?

Un frisson parcourt les deux classes:

– Vous parlez de Charlie ?

– Oui, c’est ça.

– Vous l’avez vécu comment, vous, Monsieur ?

– Je dois vous avouer que j’ai eu beaucoup de peine.

– Ah, s’esclaffent certains, pas nous.

– Pourquoi ?

– Ils l’ont bien cherché.

– Ils l’ont voulu.

– Ils ont eu ce qu’ils voulaient.

– On n’insulte pas les gens comme ça.

– Surtout notre prophète, personne ne l’a vu, personne ne lui a serré la main, comment peuvent-ils le dessiner ?

J’essaye de calmer le jeu :

– Croyez-vous que l’assassinat soit la meilleure réponse ? Ne vaut-il pas mieux répondre à la critique par la critique… ?

– Vous rigolez, si on critique, ils risquent de recommencer.

– Comme ça, on n’en parle plus.

Je calme un peu le brouhaha :

– Vous rendez-vous compte que vous vivez dans un pays démocratique et qui a une longue tradition anticléricale qu’il faut connaître et respecter ?

Le propos, loin d’apaiser les élèves, jette de l’huile sur le feu :

– Oui, démocratique pour les uns, pas pour les autres.

– Tu fais une quenelle tu te retrouves en garde à vue.

– Tu dis Allah Akbar tu te reçois une balle dans la tête.

– Et Dieudonné, lui, n’a pas le droit de déconner comme vous dites.

– Y que les Juifs qui ont droit à l’humour ?

– Oui, nous comme on n’a pas le droit de rigoler, on tire dans le tas.

– On se marre comme on peut.

Au fond de la salle un grand black lève la main :

– Monsieur, il faut que je vous dise une chose : c’est la guerre, ça va être la guerre nous les musulmans et les autres, les juifs et les chrétiens, la guerre à mort.

– Tu es musulman ?

– Non, je suis chrétien.

– Pourquoi tu dis que tu es musulman ?

– Je dis ça parce que j’aime Anelka, il est musulman, tout le monde le déteste, lui déteste tout le monde, et nous on l’aime… Je vais me convertir juste pour Anelka, Monsieur. Ce sera la guerre, Monsieur, comme avec Anelka.

 

***

Pour ceux de nos lecteurs qui ne sauraient pas qui est ce fameux Anelka, voici ce qu’en dit Wikipédia :

 

Le 28 décembre 2013, lors du match de la 19e journée de Premier League contre West Ham United, il inscrit un doublé et célèbre son premier but de la saison avec son nouveau club en faisant une « quenelle », en référence au geste popularisé par l’humoriste et militant politique controversé Dieudonné, accusé d’antisémitisme. Il est félicité par celui-ci mais condamné par la ministre des Sports Valérie Fourneyron et par l’ancienne ministre des Sports Chantal Jouanno. La presse anglaise parle pour la première fois de cette affaire en désignant le geste comme un « Nazi Salute », ou « Nazi Gesture ». Anelka déclare sur Twitter que sa signification est « anti-système. Je ne sais pas ce que le mot religion vient faire dans cette histoire. […] Bien sûr, je ne suis ni antisémite ni raciste et j’assume totalement mon geste ». Selon le quotidien Le Monde, l’émoi provoqué par ce geste est à rapprocher de la polémique autour du cri de guerre « Yids » (« youpins ») des supporters de Tottenham Hotspur. Un autre motif de l’émotion suscitée par le geste d’Anelka, converti à l’islam en 2004, est que West Bromwich Albion jouait à West Ham, dont un des propriétaires est de confession juive. Le principal sponsor Zoopla, site internet d’immobilier codirigé par l’homme d’affaires de confession juive Alex Chesterman, annonce le 20 janvier 2014 qu’il ne renouvellera pas son contrat en juin prochain, sans attendre d’éventuelles sanctions prises par le club, qui lui-même attend la fin des enquêtes menées par la fédération anglaise de football et le club lui-même.

 

Le 14 mars 2014 à 18h37, Nicolas Anelka annonce via son compte Facebook : « Suite aux entretiens entre le club et moi, des propositions m’ont été faites pour que je réintègre le groupe sous certaines conditions que je ne peux pas accepter. Souhaitant garder mon intégrité, j’ai donc pris la décision de me libérer et de mettre fin au contrat me liant avec West Bromwich Albion jusqu’en 2014, et ce dès à présent ». Revenant sur cette affaire en avril 2014, il précise que Dieudonné demeure pour lui « le meilleur de la France »

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