Le temps de la liberation

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Dans un célèbre commentaire, le Beth Halévi (parachath Miqets) explique ainsi la libération de Yossef, alors délivré pour interpréter les rêves du Pharaon : il serait faux de penser que c’est suite aux rêves que le processus de libération a commencé. Au contraire, c’est parce que Yossef devait être libéré que le Pharaon a fait ses rêves.

 

Mais pourquoi le temps de sa libération est-il survenu à ce moment-là ?

 

Le Midrach sur place explique que Yossef va être libéré deux ans après avoir demandé au maître échanson d’intervenir auprès du Pharaon pour le faire sortir de prison. Mais que s’est-il passé pendant ces deux ans ? Yossef a essayé de comprendre ce qu’il devait tirer comme enseignement de la situation dans laquelle il se trouvait. En effet, comment comprendre qu’après avoir résisté à l’épreuve avec la femme de Potiphar, il se retrouve à croupir en prison ? Puis pourquoi cette rencontre à priori providentielle avec le maître échanson n’a-t-elle pas permis de le libérer ?

On pourrait voir ici une forme d’injustice divine vis-à-vis de Yossef.

Mais ce dernier ne se révolte pas. Bien au contraire : il va chercher à comprendre le sens de l’événement qu’il est en train de vivre. Il va réaliser, toujours suivant l’explication du Beth Halévi, qu’à son niveau, il a manqué de confiance en Hachem en sollicitant le maître échanson. Ce qui pour nous aurait été absolument normal ne l’était pas pour lui. Quand il réalise cela et fait un travail en profondeur sur sa foi et sa confiance, il peut alors être libre. Sa réaction face à Pharaon démontre bien en quoi il a changé. En effet, quand Pharaon lui dit : « J’ai entendu que tu sais interpréter les rêves », la réaction de Yossef est immédiate : « Absolument pas ! C’est D’ Qui donnera cette interprétation ». Yossef ne se saisit plus de l’occasion qui lui est donnée, mais il la vit avec le niveau de Bita’hon (confiance en D’) qui est le sien.

Cette conduite est normale pour Yossef. Ce que cet épisode nous apprend, c’est la capacité dont il a fait preuve à se remettre en cause dans une situation qui aurait pu générer chez lui un sentiment de révolte.

Savoir se remettre en cause… Expression que l’on utilise souvent, mais il serait peut-être intéressant de réfléchir à la manière dont se met en place ce processus, et surtout à la façon de le transmettre à nos enfants.

Rabbénou Yona insiste sur le fait qu’il est interdit pour une personne de reconnaître ses défauts tant qu’elle n’a pas identifié ses qualités. Accepter de se remettre en cause commence par mettre de côté la peur d’avoir une vision par trop négative de nous-mêmes. « Tu es installé dans ton mensonge » dit le prophète (Yirmiahou/Jérémie 9,5). Quand l’individu prend conscience de cela, c’est un abîme qui peut s’ouvrir devant lui. S’il n’a point découvert de traits de caractère positifs chez lui, il peut alors s’effondrer. Se remettre en cause et chercher à découvrir les points sur lesquels on doit travailler lorsqu’on se confronte à une certaine situation ne peut se faire que si la découverte de ces éléments n’handicape pas la vision que l’on a de soi-même.

C’est, entre autres, la raison pour laquelle on n’effectuera pas toujours ce travail, par peur d’avoir un regard trop négatif sur sa propre personne.

Mais il faut aussi, pour essayer de se remettre en cause, accepter le fait qu’il reste en nous des points qui nécessitent une progression : cela exige une certaine forme d’humilité et surtout un véritable courage. Il est tellement plus facile de prendre toutes sortes de ‘houmroth sur soi dans les domaines de la cacherouth ou des lois de Chabbath, mais ô combien plus difficile, voire parfois impossible, d’envisager de travailler sur un point de notre caractère. Au-delà de cela, pour bon nombre d’entre nous, l’idée que Hachem peut interpeller ou nous envoyer un message via une situation de la vie n’est tout simplement pas acceptable. On préfère se révolter contre une réalité ou alors donner toutes sortes d’explications pour la justifier plutôt que d’y voir un message de ’D’.

De manière paradoxale, on dira et on apprendra aux autres à dire « c’est min haChamayim », mais plus dans une forme d’acceptation résignée que dans un désir de comprendre le message qu’on est en train de nous délivrer justement « min haChamayim ».

 

Yossef a analysé sa situation comme une proposition que Hachem lui faisait pour pouvoir continuer à grandir.

 

Certaines situations sont là, et se répètent parfois, pour nous amener à progresser sur certains points qui ne sont pas encore acquis. Le retard récurrent de notre conjoint pourrait être analysé sans arrêt à sa charge, mais quand on en est la « victime », on peut imaginer que cela va nous aider à travailler sur notre patience et notre colère. Plus que cela, les maîtres du Moussar expliquent que nous avons parfois besoin d’un mérite supplémentaire pour que Hachem nous envoie ce que nous désirons. Cela peut être ce pauvre qui va nous demander de l’argent à la sortie de la synagogue, nous donnant ainsi le mérite nécessaire pour réussir nos affaires « pour le bien ».

Il est une forme de cadeau qui nous est envoyé et dont le rôle est de multiplier nos mérites pour pouvoir prétendre à recevoir ce que Hachem veut nous donner. On rapporte qu’un jour rav Moché Soloveitchik zatsal était sur le pas de la porte pour aller au mariage de l’un de ses enfants, quand le téléphone sonna. Il alla répondre et après avoir entendu ce dont il s’agissait, il dit « je dois aller à un mariage, nous pourrons reparler ce soir, mais pas avant une heure du matin ». Il est intéressant de remarquer que rav Moché n’a pas dit qu’il s’agissait du mariage d’un de ses enfants pour ne pas mettre son interlocuteur mal à l’aise. Mais au delà de cela, on peut imaginer que cet appel représentait le mérite supplémentaire offert par Hachem avant ce mariage. Cette situation est un indice de la grandeur réelle de la personne qui la vit.

Il y a sûrement d’autres interprétations possibles d’un événement de ce type, mais c’est peut-être l’une des leçons à en tirer.

Par rav Elie Lemmel

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