Y a-t-il un problème de place dans les cimetières juifs ?

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Témoignage de Richard Wertenschlag, Grand-rabbin régional

Propos recueillis par Ludovic Viévard, le 9 avril 2013 – millenaire3.com

Y a-t-il un problème de place qui se pose dans les cimetières juifs ?

Oui. Tous les cimetières existant connaissent ou vont rapidement connaître des problèmes de place. La communauté juive de l’agglomération lyonnaise va être confrontée à la nécessité de trouver un lieu de sépulture pour inhumer ses morts. C’est une réalité incontournable. Le problème est d’autant plus complexe que pour nous, afin de respecter la dignité des morts, nous ne devons pas exhumer les corps — sauf cas particulier, comme un risque d’inondation ou lorsque que les survivants veulent rassembler les familles ou exhumer les restes en Israël. A la Mouche par exemple, les morts qui ont été inhumés à la création du cimetière y sont toujours. Nous allons donc devoir trouver rapidement des solutions.

Les carrés juifs des cimetières municipaux sont-ils une réponse ?

Oui, mais une réponse provisoire car nous sommes confrontés au problème de l’expiration des concessions. Comment faire lorsqu’il n’y a plus de famille ? Si c’est la communauté qui doit supporter le poids financier du renouvellement des concessions, c’est très lourd. Sans compter que parfois, on ne sait pas qu’une concession arrive à expiration. C’est la raison pour laquelle nous essayons d’obtenir des carrés pérennes de 99 ans. Malheureusement nous sommes dans une situation où les municipalités, qui sont pourtant prêtes à trouver des solutions concertées avec nous, en sont empêchées par la rigidité du cadre juridique d’une laïcité fermée.

Je crois qu’aujourd’hui, on pourrait trouver un assouplissement pour s’accorder aux réalités et qui permette de vivre ensemble dans un cadre républicain. Car la République n’interdit pas l’exercice de la religion. C’est un état d’esprit qui pose problème, un attachement à la lettre qui fait que la justice refuse tout accord entre les municipalités et les associations cultuelles. Il y a par exemple eu des problèmes, très rares heureusement, qui montrent la difficulté de ces positions. À Grenoble, il y a quelques années, un jugement a validé la volonté des parents d’enterrer leur enfant non-juif — car issu d’un couple mixte — dans le carré juif ! Que faire ? Si c’est un carré juif, il faut qu’y soient inhumés selon la tradition, sinon, ce n’est plus un carré juif, en tout cas, il ne peut plus prétendre être un carré confessionnel.

Il me semble que nombreuses sont les mairies qui préféreraient bénéficier de souplesse en la matière et pouvoir discuter librement avec les communautés plutôt que d’avoir à subir une laïcité répressive et stricte.

Nous n’avons aucun problème avec la plupart des maires, de quelque bord politique qu’ils soient, mais avec le cadre législatif qui les contraint et nous contraint, et qui n’est pas adapté aux réalités contemporaines. Mais aujourd’hui, on sent une évolution de la société, et un jour il faudra avoir le courage de prendre le problème à bras le corps pour essayer donner à toutes les communautés religieuses la possibilité de vivre comme elles le souhaitent, dans la mesure où cela ne gêne personne. Ceux qui voudront aller au cimetière municipal iront au cimetière municipal, etc., chacun selon ses convictions.

Le cimetière : un espace de tension entre laïc et religieux

Dans leur témoignage, le Grand-rabbin de Lyon et le Recteur de la Grande mosquée de Lyon, mettent en évidence les tensions entre espace laïc et espace religieux au sein des cimetières. Tous deux suggèrent que des espaces soient confiés aux responsables religieux, que nombre de maires y seraient favorables mais que la loi l’interdit aujourd’hui.

Il est vrai que les églises, les synagogues et les mosquées cohabitent dans la ville, pourquoi des espaces religieux ne cohabiteraient-ils pas dans les cimetières ?

Pour autant, la réponse n’est pas simple et la question reste posée. On constate une inextricable réalité juridique. Un des problèmes est que les carrés confessionnels sont des regroupements de fait, et non de droit. Le principe de neutralité des cimetières a été instauré par la loi du 14 novembre 1881, dite « sur la liberté des funérailles ». Les cimetières sont des lieux publics civils, où toute marque de reconnaissance des différentes confessions est prohibée dans les parties communes. Seules les tombes peuvent faire apparaître des signes particuliers. Toutefois rien n’empêche le maire, dans les faits, d’opérer des regroupements sur demande préalable du défunt ou de sa famille. L’objectif est de concilier le principe de neutralité des parties communes du cimetière et le principe de liberté de croyance individuelle.

En 2008, une circulaire de Michèle Alliot-Marie, alors ministère de l’Intérieur, a encouragé les maires à pratiquer ces regroupements afin de répondre à la demande croissante. Cette circulaire faisait suite à un rapport de septembre 2006 sur les relations des cultes avec les pouvoirs publics, présidée par Jean- Pierre Machelon, doyen de la faculté de droit Paris-Descartes.

«L’islam et le judaïsme attachent beaucoup de prix au regroupement communautaire des défunts, précise M. Machelon. Le regroupement de fait de sépultures, comme somme de décisions individuelles, n’est pas prohibé par la loi. La décision appartient à la seule autorité municipale, sous réserve de la préservation de la neutralité du cimetière, tant en ce qui concerne l’aspect extérieur des parties publiques, que la possibilité reconnue aux personnes de toutes religions de s’y faire inhumer. » Certains maires se sentant malgré tout mal à l’aise vis-à-vis de ce flou juridique, le rapport évoque l’hypothèse d’autoriser à nouveau la création ou l’extension de cimetières privés, interdites depuis une loi de 1881.

M. Machelon insiste toutefois qu’il s’agirait d’une décision de dernier recours. « Si, en raison de résistances locales ou de l’émergence d’un contentieux trop abondant, la création de regroupements de fait ne devait constituer qu’un trop fragile compromis, la commission, soucieuse de préserver le principe de laïcité, estime qu’il vaudrait mieux, à tout prendre, privilégier l’extension de cimetières privés plutôt que d’imposer aux maires l’aménagement de véritables espaces confessionnels dans les cimetières communaux. Une privatisation d’un espace public comme un cimetière communal ne paraît pas acceptable. »

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