L’hiver comme symbole de la jeunesse
L’Hébreu est vraisemblablement la seule langue dans laquelle la notion d’hiver ne soit pas cernée de ténèbres, n’évoque pas des notions de tristesse liées à la vieillesse et à la décrépitude de l’homme, éveillant une crainte tapie dans tous nos membres. Tout au contraire ! Le mot hiver sert à désigner l’éveil de la jeunesse : … »Lorsque j’étais aux jours de mon hiver… » (Iyov, 29,3). Seul un Juif est capable et susceptible de s’exprimer ainsi, de se représenter de cette façon l’époque de sa jeunesse, ses forces assoupies et enfouies qui s’éveillent tout doucement et viennent à la vie, les jours merveilleux où planait « le secret de D’ de sur ma tente ».
Quel réconfort, et quel encouragement dans cette extraordinaire vision des choses ! On ne s’y laisse impressionner ni abuser par l’apparence extérieure, le regard n’y est pas tourné en arrière mais uniquement vers l’avant, on se garde de prêter attention aux fleurs tombées ou aux branches abattues. L’intérêt ne se porte là qu’aux fleurs et bourgeons nouveaux, aux pousses prêtes à éclore, endormies certes pour l’heure sous le manteau de l’hiver, mais attendant les chauds rayons du soleil dont les caresses les éveilleront à une vie verdoyante, une fertilité bénie, une force toujours croissante. Ah ! quelle sublime pensée, qui voit dans l’hiver le berceau du printemps, qui renaît et vient pour notre bien, et non la tombe de l’été passé !
Des déductions s’imposent, qui ne peuvent que couvrir de honte nos visages à tous ! Nous qui prenons honte du dur hiver abattu sur l’histoire du peuple d’Israël, nous qui, par erreur, croyons éteints tous les espoirs d’une renaissance fleurissante, parce que nous n’avons pas encore été délivrés, et n’avons pas encore aperçu les bourgeons annonciateurs de cette espérance…
Etre Juif : dans la mortification, ou la recherche des plaisirs matériels.
Le Judaïsme n’a jamais considéré la peine et l’affliction, la mortification et la douleur comme l’un de ses buts suprêmes, et moins encore comme le sommet de ses aspirations. Tout au contraire ! Le Judaïsme ne recherche rien de plus élevé que joie et allégresse, gaîté, entrain et réjouissance. La Chekhina ne peut reposer sur Israël dans l’oisiveté et l’affliction, la tristesse, la contrition, ou le divertissement. Là où la joie a bâti sa demeure, là seulement la Chekhina divine est susceptible de reposer. Le divertissement détourne l’homme de la gravité propre aux commandements divins. La vérité enfouie dans la Tora expulse par contre, et chasse sans pitié toute tristesse et affliction, toute amertume, elle nous pousse et nous accoutume à vivre en ce monde une vie florissante, pleine de joie et de bonheur.
Le Judaïsme n’a jamais reconnu quelque dichotomie de l’être humain, lié à D’ par son âme, soumis à Satan par son corps : comme si cette terre n’était qu’une vallée de Géhenne, et que le bonheur ne pouvait se concevoir que dans le monde de la vérité, dans les sphères célestes. D’ interpelle au contraire ses créatures choisies : « …Et ils me feront une demeure, et Je demeurerai parmi eux », sur terre ! L’homme appartient tout entier à son Créateur, par son corps comme par son âme, dans sa vie matérielle comme dans sa vie spirituelle. Il en découle qu’il a possibilité de Le servir non seulement en pensée, en paroles ou en actes, mais aussi au moyen d’un plaisir physique, si tant est qu’il en use avec simplicité, retenue et sainteté. L’homme est capable de tirer jouissance des multiples trésors de la terre en toute pureté de cœur, en conformité avec la volonté divine, au nom d’aspirations saintes et sublimes. Au point de pouvoir élever ses yeux au ciel dans la joie et l’allégresse de la vie, sans que rien ne l’oblige à quitter son sanctuaire.
L’être capable de demeurer proche de D’ tout en s’immergeant et goûtant aux joies terrestres, celui-là parviendra aux cimes, et obtiendra toutes perfections offertes à l’homme.
En ce domaine plus qu’en tout autre, nombreux sont ceux qui ont emprunté les voies de l’erreur. Déviations et déformations désolantes ont voulu tirer le Judaïsme vers deux extrémités contraires. Aux yeux de certains insensés épris de jouissances, le Judaïsme est apparu comme une spiritualité par trop austère ; d’autres à l’inverse, tenant de fantasmagories éthérées, l’ont accusé de faiblesse envers de trop terrestres valeurs matérielles. Le Judaïsme, en fait, ne vient que donner la plus parfaite illustration de la vérité divine, destinée à l’homme parfait, composé de matière comme d’esprit. En lui, ciel et terre se rencontrent.
Par rav Chimchon Refaël Hirsch, extrait du Ma’agalé haChana, éd. hébraïque Nétsa’h, Bené Brak. Extrait du Kountrass Magazine nº 2 – Teveth 5747 / Janvier 1987