- Derrière le débat migratoire, c’est la question du fédéralisme qui est posée : jusqu’où l’Union européenne sera-t-elle autorisée à décider à la place des 28 États membres ?
- Si tout se déroule comme prévu, le projet de loi sera adopté au Parlement européen au second semestre 2020 sous présidence allemande de l’UE. Le texte sera ensuite ratifié par le Conseil européen, composé des dirigeants des États membres de l’UE.
- « Nous sommes fondamentalement opposés à toute migration illégale. Nous refusons que des gangs de passeurs décident de qui est autorisé à vivre en Europe » – Le Premier ministre tchèque Andrej Babiš.
- « La position du V4 [groupe de Visegrad] est claire. Nous ne sommes pas disposés à admettre des migrants illégaux en Europe centrale. Le succès des pays d’Europe centrale et leur sécurité sont la conséquence de leur politique anti-migration, et cela va continuer ainsi… Les Hongrois insistent pour conserver leur droit de décider de qui est accepté dans notre pays et avec qui nous avons envie de vivre » – Le ministre hongrois des Affaires étrangères Péter Szijjártó.
Le ministre allemand de l’Intérieur, Horst Seehofer, a dévoilé un projet de réforme du système d’asile européen. Une version de ce document qui a fuité dans la presse indique que tous les États-membres de l’UE seront tenus d’accueillir des migrants illégaux. (Photo de Michele Tantussi / Getty Images) |
Le ministre allemand de l’Intérieur, Horst Seehofer, a dévoilé un projet de réforme du système d’asile européen. Dans une version de ce document qui a fuité dans la presse, on peut lire que tous les États membres de l’Union européenne seront tenus d’accueillir des migrants illégaux.
Les pays d’Europe centrale et orientale demeurent opposés à l’obligation de se voir allouer des quotas de migrants. Ils réclament que les permis de séjour continuent d’être octroyés au niveau national. Ils font aussi remarquer qu’à travers les quotas de migrants, les bureaucrates non élus de Bruxelles s’arrogent le droit d’imposer leurs diktats à des dirigeants européens qui, eux ont été démocratiquement élus.
Derrière le débat migratoire, c’est la question du fédéralisme européen qui est posée : jusqu’où l’Union européenne sera-t-elle autorisée à usurper les pouvoirs de décision de ses 28 États membres.
Le 2 décembre, Seehofer a présenté à la nouvelle présidente de la Commission européenne, Ursula von der Leyen, à Bruxelles, un plan de réforme en quatre pages du Régime d’asile européen commun (RAEC). Il est prévu que Von der Leyen dévoile ses propres propositions concernant la question migratoire en février 2020, soit quelques mois avant le début en juillet 2020, de la présidence allemande du Conseil européen, présidence qui doit durer six mois.
Le nouveau projet vise à remplacer le règlement de Dublin, un dispositif qui oblige les migrants à déposer leur demande d’asile dans le premier pays européen où ils mettent le pied.
Les pays d’Europe du Sud – en particulier la Grèce et l’Italie – se sont plaints que le poids des migrations de masse reposait sur leurs seules épaules. La justice et l’égalité ont plaidé ces deux pays, voudraient que tous les États membres de l’UE prennent une responsabilité égale dans l’accueil des migrants qui débarquent en Europe.
Au plus fort de la crise migratoire en Europe en septembre 2015, certains États membres de l’UE ont voté pour une relocalisation de 120 000 migrants en provenance d’Italie et de Grèce vers d’autres pays de l’UE. Ce projet de relocalisation de 120 000 migrants s’est ajouté à un autre projet de relocalisation, voté en juillet 2015, de 40 000 migrants supplémentaires en provenance d’Italie et de Grèce.
Pour mieux se « partager » ces 160 000 migrants, neuf pays d’Europe centrale et orientale ont reçu l’ordre d’en accueillir 15 000 chacun. La République Tchèque, la Hongrie, la Roumanie et la Slovaquie ont voté contre cette répartition, mais ils étaient néanmoins tenus de s’y conformer.
En septembre 2017, la plus haute juridiction de l’Union européenne, la Cour de justice des Communautés européennes (CJCE), a statué que la Commission européenne, le puissant organe exécutif de l’Union européenne, était en droit d’obliger les États membres à accueillir des demandeurs d’asile. La Cour a également statué que les États membres de l’UE n’avaient aucun droit légal de s’opposer aux ordres de la Commission.
La Hongrie et la Slovaquie, soutenues par la Pologne, ont fait valoir que l’Union européenne enfreignait ses propres règles et que la Commission outrepassait ses pouvoirs en décidant d’un système de quotas à la « majorité qualifiée » – environ les deux tiers des membres du bloc. Ils ont également fait valoir que le programme de relocalisation représentait une violation directe du règlement de Dublin.
La Cour de justice européenne a jugé qu’un vote à la majorité qualifiée était conforme car face à « une décision controversée, l’UE n’est pas tenue par la règle de l’unanimité ». L’arrêt, qui ne mentionnait pas le règlement de Dublin, se concluait ainsi : « Le mécanisme permet à la Grèce et à l’Italie de faire face à l’impact de la crise migratoire de 2015 et il est proportionné ».
Le ministre hongrois des Affaires étrangères, Péter Szijjártó, a qualifié la décision de justice de « scandaleuse et irresponsable » mais aussi « contraire aux intérêts des nations européennes, dont la Hongrie ». Il a ajouté : « Cette décision met en danger la sécurité de toute l’Europe et l’avenir de toute l’Europe également. »
En novembre 2019, la Cour des comptes européenne a révélé que sur les 160 000 migrants qui devaient être relocalisés au sein de l’UE, 34 705 personnes seulement (21 999 de Grèce et 12 706 d’Italie) l’avaient été.
Les dirigeants français et italiens, lors d’une récente réunion bilatérale à Rome, ont appelé l’Union européenne à introduire un nouveau système automatique d’accueil des migrants. Le président français Emmanuel Macron s’est dit « convaincu qu’un mécanisme européen automatique doit être mis en place pour l’accueil des immigrés » et que les pays de l’UE qui ont refusé de participer au processus devraient être « sérieusement pénalisés ».
Le projet de Seehofer tel qu’il a été divulgué par la presse, reconnait que le règlement de Dublin crée des « déséquilibres évidents » car « en 2018, 75% de toutes les demandes de protection internationale ont été déposées dans cinq États membres seulement ».
Le nouveau texte explique que le règlement de Dublin est « inefficace » car « dans toute l’UE, les demandeurs d’asile ne sont renvoyés en direction de l’État membre ou le dossier aurait dû être déposé que dans 3% des cas seulement ». En d’autres termes, les demandeurs d’asile ne sont presque jamais renvoyés vers le pays de première arrivée.
La proposition-clé du nouveau projet est que les demandes d’asile seront évaluées sitôt franchie la frontière extérieure de l’UE. A peine le migrant aura-t-il mis le pied en Europe que la nouvelle Agence de l’Union européenne pour l’Asile (EUAA) se mobilisera pour « déterminer » quel État membre sera le mieux susceptible d’accueillir le demandeur d’asile et de traiter sa demande.
Le projet de Seehofer est permanent et ne se limite pas aux situations de crise. Curieusement, la question du retour des migrants illégaux dans leur pays d’origine n’est abordée nulle part.
Le projet omet consciencieusement le terme politiquement explosif de « quota » et le remplace par « juste répartition » (gerechter Anteil). Le document évite aussi le terme « obligatoire », même s’il est parfaitement transparent que le programme de relocalisation des migrants s’imposera à tous les États membres de l’UE.
Si tout se déroule comme prévu, le projet de loi sera voté par le Parlement européen au second semestre 2020 au moment où l’Allemagne assurera la présidence de l’UE. Il sera ensuite ratifié par le Conseil européen, composé des dirigeants des États membres de l’UE.
La nouvelle commissaire européenne pour la promotion du mode de vie européen, Margaritis Schinas, a exprimé son soutien au projet :
« La commissaire aux migrations Ylva Johansson et moi-même avons rencontré Horst Seehofer. Nous sommes entièrement d’accord avec l’Allemagne. Il faut élargir ce consensus à tous les États membres et nous allons travailler dur pour y parvenir. »
Le Premier ministre tchèque Andrej Babiš a toutefois exprimé son opposition au plan allemand. Dans une interview à l’agence de presse tchèque ČTK, il a déclaré voir clair à travers la sémantique de Seehofer :
« Nous rejetons fondamentalement la migration illégale. Nous refusons que des gangs de passeurs décident de qui peut vivre en Europe. Nous rejetons les quotas et je suis surpris de voir resurgir à nouveau cette question à la table des négociations. J’espère que la nouvelle Commission européenne mettra un terme à tout cela. »
Le ministre tchèque de l’Intérieur, Jan Hamáček, a déclaré que la République tchèque « se coordonnera » avec les autres membres du Visegrád Four (V4), une alliance culturelle et politique de quatre États d’Europe centrale – la République Tchèque, la Hongrie, la Pologne et la Slovaquie.
Le ministre hongrois des Affaires étrangères, Péter Szijjártó, a déclaré que le V4 ne se plierait pas aux pressions de l’UE pour accepter les migrants:
« La position du V4 est claire. Nous ne sommes pas disposés à admettre des migrants illégaux en Europe centrale. Le succès et la sécurité des pays d’Europe centrale tient à une ferme politique anti-migration, une politique qui va se poursuivre.
« C’est pourquoi l’Europe centrale est aujourd’hui l’une des régions les plus prospères de l’Union européenne et elle est son moteur de croissance. Nous ne tolérons aucune sorte de pression et nous, Hongrois, insistons sur notre droit de décider de qui est autorisé à entrer dans notre pays et avec qui nous avons envie de vivre. »
Soeren Kern est Senior Fellow du Gatestone Institute de New York.