Andreas Malm et l’antisémitisme vert

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Andreas Malm

« La première chose que nous avons dite dans ces premières heures n’était pas tant des mots que des cris de jubilation. Ceux d’entre nous qui ont vécu leur vie avec et à travers la question de la Palestine ne pouvaient pas réagir autrement aux scènes de la résistance prenant d’assaut le checkpoint d’Erez : ce labyrinthe de tours en béton, d’enclos et de systèmes de surveillance, cette installation consommée de canons, de scanners et de caméras – certainement le monument le plus monstrueux à la domination d’un autre peuple dans lequel j’ai jamais pénétré – tout à coup entre les mains de combattants palestiniens qui avaient maîtrisé les soldats de l’occupation et arraché leur drapeau. Comment ne pas crier de stupeur et de joie ? Il en va de même pour les scènes où les Palestiniens franchissent la clôture et le mur et affluent sur les terres dont ils ont été chassés [1]».
Ces mots, qui célèbrent l’acte destructeur du Hamas le 7 octobre 2023, sont ceux d’Andreas Malm, chercheur en écologie humaine à l’université de Lund (Suède). Andreas Malm, de nationalité suédoise est un auteur fétiche de l’éco-marxisme et l’un des plus influents penseurs de l’écologie politique. Disons-le clairement : pour qui s’intéresse aux problématiques environnementales, la référence est, depuis une dizaine d’années, devenue incontournable. Malm est un chercheur rigoureux et l’un des plus visionnaires sur le dérèglement climatique, l’un des plus créatifs, l’un de ceux qui inspirent la jeune génération d’activistes, mais aussi les moins jeunes, souvent marxistes ou révolutionnaires. Il a en particulier contribué à transformer considérablement la pensée écologique en raison de son approche métahistorique et fondatrice de l’économie fossile mondiale ; celle-ci éclaire la responsabilité économique des industries et des empires dans la destruction des milieux[2].
Seulement, Malm, et une nouvelle génération d’éco-activistes avec lui, placent « Israël », dans un geste critique douteux, au cœur de la science climatique et de la critique écologiste. Dans ses ouvrages et surtout dans ses prises de position publiques, après le massacre du 7 octobre, Malm décrit de façon récurrente les Palestiniens comme des doubles victimes de l’État hébreu : d’une part en raison de l’occupation, d’autre part en raison du rôle d’Israël dans la crise climatique. Pourquoi de telles montées en généralité de la part d’un chercheur par ailleurs pointilleux ?

Faire d’Israël le modèle précurseur à travers lequel on peut comprendre la crise climatique globale permet à Malm de présenter la lutte contre Israël comme une lutte contre le réchauffement.

Que l’auteur, marxien, appartienne au camp de l’antisionisme dont les affects sont bien identifiés[3], parait évident puisque la critique d’Israël s’inscrit dans celle de l’hégémonie du nord global. Mais en liant « sionisme » et « environnement » et en faisant de la Palestine le laboratoire de la résistance climatique, un nouveau champ apparait : celui de ce que l’on peut nommer un antisionisme vert. Par quelle modalité discursive s’est opérée cette évolution ? Nous en regardons ici l’argumentation tout en nous demandant si une certaine mouvance de l’écologie politique n’est pas en train de s’acclimater à l’anti-israélisme ambiant. Il faut en effet saisir la teneur de l’insertion d’Israël au sein de la question environnementale car, loin d’être un fait isolé, elle est révélatrice des mouvements d’extension puissants de « l’antisionisme » et de son actualisation à partir de voies renouvelées.

Les contours de l’anti-impérialisme vert

Comprendre l’antisionisme ou le « campisme » verts suppose de repartir très brièvement de l’écologie politique. Les positions récentes d’Andreas Malm sont ici révélatrices. Car, à la différence d’autres courants marxiens de l’écologie politique et à la suite d’historiens clefs[4], il décrit de façon précise la responsabilité du capitalisme fossile en tant instrument d’accumulation et de dépossession, et en appelle à son abolition en tant que force d’exploitation des richesses et du travail humain. S’appuyant sur sa profonde connaissance de la science du climat, Malm se dit sceptique sur l’efficacité des politiques du vivant, de l’habitabilité terrestre ou encore des alliances entre humain et non humain. Il n’est guère plus sensible aux propositions émanant des sphères communalistes, alternatives et autres utopies, et encore moins à la transition verte, pour limiter la catastrophe. Avec constance, il défend l’éco-marxisme et un communisme de guerre, sinon un « léninisme écologique »[5] adossés (de façon floue) à un État fort, sinon autoritaire. Toute lutte pour la stabilisation du climat doit avoir pour point de départ la démolition de l’économie fossile, et par conséquent la résistance et l’action contre celle-ci. Tel est la thèse à succès du désarmement, appelé aussi éco-sabotage, inscrite dans l’histoire des révoltes ouvrières ou populaires, remise au goût du jour notamment par Malm dans Comment saboter un pipeline et dans La chauve-souris et le capital[6]. La signification donnée au geste de désarmement est ici inversée : ce sont les équipements énergétiques qui causent des dégâts qui doivent être désactivés par l’acte militant du sabotage, ce dernier étant un acte de résistance, qui suppose d’abandonner la non-violence. Cette proposition politique est le mode d’action porté par de jeunes mouvements comme les Soulèvements de la Terre[7] ou Extinction-Rebellion (XR). Elle fut expérimentée dans la zad de Notre-Dame-des-Landes et surtout dans le rassemblement contre la méga-bassine de Ste-Soline dans l’ouest de la France, en mars 2023, qui fut lourdement réprimé [Voir : Sylvaine Bulle : « Irréductibles. Les zones autonomes comme conquête écologique » in Écologies. Le vivant et le social, la Découverte, 2023.]

Comment arrive Israël dans ce raisonnement somme toute cohérent ?

Un antisionisme vert ?

Malm, en tant qu’historien de l’anthropocène, a décrit les phases d’accumulation de l’énergie fossile dans son ouvrage phare Fossile capital[8]. On peut très brièvement résumer sa démonstration sur le Moyen-Orient. À partir de l’industrie du charbon développée au 19e siècle, les Britanniques ont voulu créer un empire fossile sur la terre du Levant arabe et ottoman (Syrie, Irak, Liban, Palestine, Égypte) en s’appuyant sur les Juifs d’Europe, qui, en tant qu’Européens, auraient été en symbiose avec l’empire fossile. C’est ce qu’ils auraient fait à travers l’implantation d’industries extractionnistes, l’établissement du foyer national juif et l’encouragement au départ des Juifs, ou encore, plus tard, l’acheminement des Juifs rescapés d’Europe en usant massivement de bateaux, donc de moyens de transports grands consommateurs d’énergie. Non seulement, ce projet de la modernité impérialiste britannique a été l’un des plus pollueurs, mais il se serait dilué dans le projet sioniste du yishouv, l’un étant au service de l’autre et tous les deux se servant des ressources fossiles qui détruisent la Méditerranée et son au-delà. À la suite de l’empire britannique, c’est l’État d’Israël qui aurait contribué à la domination américaine sur le Moyen-Orient et à l’accès illimité du pétrole au Levant, tout comme il aurait également accéléré l’écocide par la construction de ses implantations et de son territoire national[9].

En liant « sionisme » et « environnement » et en faisant de la Palestine le laboratoire de la résistance climatique, un nouveau champ apparait : celui de ce que l’on peut nommer un antisionisme vert.

Ici, l’argumentation, à la différence de la doxa antisioniste, ne prend pas appui sur l’anti-impérialisme et l’anticapitalisme (avec en ligne de mire Israël), mais sur le climat. En effet, comme l’explique Malm en 2017 dans un article intitulé : « The Walls of the Tank : On Palestinian Resistance »[10] : « la relation entre la Palestine et le changement climatique […] représente plus qu’une allégorie ou une analogie. Les combustibles fossiles font partie intégrante de la catastrophe depuis le tout début »[11]. C’est d’ailleurs la raison pour laquelle il ne suffirait pas de démanteler les colonies pour stopper les désastres environnementaux. Car Israël tout entier, comme lieu dont l’existence rend possible l’extraction des combustibles fossiles, serait responsable de la crise climatique pour toute la planète[12]. Le point d’inflexion dans la course aux énergies fossiles est selon Malm, la seconde Nakba de Gaza – i.e. la guerre actuelle de Gaza après le 7 octobre 2023 – soutenue par le Nord global, qui s’inscrit dans la suite de la création d’Israël et à la suite du projet impérial[13].

 

Phrase d’Andreas Malm, sur le blog de son éditeur Verso.

Voici le raisonnement central. Or, par quel moyens Malm arrive-t-il à démontrer la responsabilité spécifique d’Israël dans la destruction de la planète ?  Reconnaissons qu’Israël a un projet contestable avec l’artificialisation de ses sols et la destruction de sa biodiversité[14] ainsi qu’à travers le puisage dans les ressources en eaux. Mais Israël ne produit pas de pétrole, à la différence des pays arabes, qui ne lui sont guère favorables, quand ils ne lui sont pas hostiles. Pourtant, selon Malm, le 7 octobre est le résultat de la trajectoire de la crise climatique qui suit celle d’Israël. Cette trajectoire suit, selon lui, la courbe suivante :  extraction des ressources naturelles, dépossession de terres, réfugiés climatiques. Le changement climatique, nous dit-il,  contraint des « millions » de personnes à travers le monde « à suivre l’axe palestinien ». « La planète entière est en train de devenir la Palestine » écrit par exemple Malm dans The Destruction of Palestine Is the Destruction of the Earth.

Faire d’Israël le modèle précurseur à travers lequel on peut comprendre la crise climatique globale permet à Malm de présenter la lutte contre Israël comme une lutte contre le réchauffement. L’auteur, géographe de formation, désigne rarement Israël lorsqu’il élabore son histoire de l’anthropocène. Il lui préfère l’ « entité sioniste » (et quelquefois le peuple juif), composée de colons. Cela, sans jamais reconnaitre l’existence des nombreux mouvements sionistes utopiques qui ont inspiré l’écologie sociale[15]. Ce refus de désigner Israël comme un État relève d’un geste critique bien identifié dans l’antisionisme, qui consiste à ne pas reconnaitre aux juifs la possibilité d’être incarnés par une forme-État stabilisée, et à laisser planer le doute sur le mode d’existence d’Israël en le traitant d’entité abstraite. Du reste, cette dénomination floue de l’ « entité sioniste » présente l’avantage de ne pas avoir à mentionner le rapport au territoire post-48 et ses composantes matérielles et environnementales, ni les formes sociales de l’État, ou le social lui-même.

Un combat pour éviter la destruction planétaire : la terre authentique palestinienne contre l’entité juive abstraite

Pourquoi alors un auteur comme Malm, théoricien matérialiste historique pourtant si rigoureux dans son raisonnement, se permet-il d’ignorer que l’ « entité sioniste » a une tangibilité, la réduisant à une abstraction qui n’est caractérisée que par sa nature écocidaire et génocidaire ? On comprend, en le lisant, qu’un État aux contours abstraits, surimprimé au territoire palestinien par l’hégémonie occidentale, peut être facilement rendu coupable de tous les maux planétaires. Dans ce cas, il est facile de confondre différentes catégories de critique radicale (anticapitaliste, anti-impérialiste et écologiste) dans une unique logique manichéenne. C’est à ce niveau que la critique de Malm perd sa spécificité – et sa pertinence – écologique : elle se dilue dans un amalgame idéologique en même temps que l’État israélien est dilué dans le lobby américain des combustibles fossiles[16], rendu responsable de la destruction régionale. Est-ce un hasard, s’interroge Malm, si le « génocide » de Gaza (sans mention aux massacres du 7 octobre en Israël) se déroule à un moment où l’État d’Israël est plus profondément « intégré que jamais dans l’accumulation primitive de capital fossile », notamment « avec les accords d’Abraham destinés à introduire des capitaux israéliens dans les énergies fossiles » et destinés à normaliser les relations avec Israël au profit de l’expansion des ressources fossiles ?

La Palestine ainsi fétichisée et fantasmée est la seule porteuse d’une émancipation ; c’est un peuple concret destiné à être à̀ nouveau réuni avec sa terre originaire et authentique, contre cette « force étrangère, dangereuse et destructrice » qui menace la planète entière.

De même, l’antisionisme vert s’en prend de façon simpliste à la technologie prométhéenne israélienne qui exerce, davantage que le charbon et les énergies fossiles, une véritable fascination sur de nombreux essayistes, dont Malm fait partie[17]. Malm détaille par exemple le « techno-génocide » (ou le « génocide high-tech ») post 7 octobre et la « machine à tuer israélienne », commettant des massacres de masse mécanisés et automatisés (par utilisation de l’intelligence artificielle), combinés à la puissance du pétrole. L’auteur ne s’intéresse cependant pas vraiment au coût environnemental de la guerre de Gaza, celle-ci étant particulièrement dévastatrice pour la biodiversité et le vivant, au Nord et au Sud d’Israël. Ces dégâts devront être documentés et réparés. Cette omission s’explique : ce qui importe avant tout à Malm, pour unifier les différents pôles de sa critique manichéenne, est de faire se rejoindre l’écocide et le génocide ; la destruction de la Palestine et de la Terre convergeant sur le sol pollué et empoisonné[18] par l’appropriation sioniste à Gaza, où s’enchevêtrent les déchets combustibles et les cadavres des victimes de l’Empire.

L’important pour cette forme d’antisionisme vert est de faire de l’ « entité sioniste » – décrite comme abstraite, mondialisée et aliénée par la technique – une menace existentielle pour les valeurs d’authenticité dont les Palestiniens seraient les porteurs exclusifs, en raison de leur connexion au terrestre, à la terre et au geste manuel de la subsistance[19]. En conséquence de quoi, tout ce qui est authentique est palestinien. Comme Malm le souligne dans son texte The Walls of the Tank, le véritable État qui perdure, contre toute Nakbah et toute dépossession, est celui de la Palestine, le seul véritable État du véritable « peuple » de la région. La Palestine ainsi fétichisée et fantasmée est la seule porteuse d’une émancipation ; c’est un peuple concret destiné à être à̀ nouveau réuni avec sa terre originaire et authentique, contre cette « force étrangère, dangereuse et destructrice » qui menace la planète entière. Et réciproquement, la véritable écologie ne saurait être que palestinienne. En guise de projet, Malm propose la Palestine comme ultime espoir politique contre la catastrophe planétaire mondiale. C’est la raison pour laquelle elle doit représenter l’esprit de l’émancipation contre tous les écocides mondiaux, de la destruction de l’Amazonie aux méga-feux, etc. : « Adopter la position palestinienne, c’est, en fin de compte, choisir la nature comme son dernier et plus puissant allié » écrit l’auteur dans The Walls of the tank. Au sein de cet analogisme bancal qui consiste à réaliser la révolution climatique en libérant Gaza et les Territoires, il importe que les Palestiniens réalisent d’abord leur droit au retour en se débarrassant d’un Israël écocidaire et polluant. À cette condition, la Palestine redeviendra authentique et la concentration de CO2 redescendra en dessous des niveaux des années 1980. Car « du fleuve à la mer », les émissions de CO2 doivent être éradiquées. Mais il faut alors se demander : quelle conception du geste émancipatoire peut émerger d’une critique aussi manichéenne ?

Andreas Malm lors d’une conférence « Apprendre à lutter dans un monde qui se réchauffe » en 2018 à Groningen.

La montée en généralité : le soulèvement de la terre et le Hamas

Pour beaucoup d’éco-marxistes et d’activistes écologiques des années 2020, la résistance palestinienne est devenue un modèle à suivre pour la défense de la planète[20]. Mais quel type de résistance figure-elle ? Faut-il désarmer les infrastructures, comme le propose l’activisme européen, notamment en Angleterre et en France ? Malm a plutôt en tête les épisodes de sabotage lors des révoltes arabes de 1936, avec des résistants attaquant des oléoducs de pétrole en provenance d’Irak[21]. L’auteur n’hésite cependant pas à explorer des pistes plus récentes, notamment lorsque l’auteur célèbre avec enthousiasme la lutte armée et encourage les militants du changement climatique à prendre comme exemple les méthodes du Hamas. Avant le 7 octobre, il écrivait par exemple dans The Walls of the tanks : « Comment exprimer notre admiration aux héros de la résistance à Gaza, dirigés par Mohammed Deif ? Comment tirer les leçons de la résistance palestinienne et les appliquer comme modèle sur d’autres fronts ? ». Après le 7 octobre, il saisit la robustesse du Hamas à partir de son armée de cerfs-volants lancée sur le mur de Gaza, action qui n’a eu aucun précédent dans l’histoire de la Palestine. Il donne sa vision dans The Destruction of Palestine Is the Destruction of the Earth : « La résistance siège dans les tunnels, c’est la raison pour quelle je pense qu’il faut le dire haut et fort : nous sommes aux côtés de la résistance. (…) Izz al-Din al-Qassam, Mohammed Deif et Abu Obeida et leurs compagnons d’armes du Jihad, du FDLP et du FPLP sont toujours dans les tunnels, continuant à lancer une opération après l’autre – et c’est ce qui fait qu’il est possible de vivre un autre jour ».

Pour résumer, il ne peut y avoir, pour Malm, d’émancipation sur une planète morte, mais il existe l’espoir de vivre, aujourd’hui, une révolution verte dont le Hamas serait le vecteur. Ainsi, les affects de l’auteur pro-Hamas se portent sur la victoire héroïque de celui-ci, sans qu’il ne soit pensable pour Malm de croire à un projet commun et pluriel d’entretien de la terre et, simultanément, d’entretien de la démocratie, en présence d’Israël et de sa forme-État.

Au sein de cet analogisme bancal qui consiste à réaliser la révolution climatique en libérant Gaza et les Territoires, il importe que les Palestiniens réalisent d’abord leur droit au retour en se débarrassant d’un Israël écocidaire et polluant. Car « du fleuve à la mer », les émissions de CO2 doivent être éradiquées.

Une question se pose finalement. Lorsque Malm et, au-delà de lui, certains partisans de l’antisionisme vert clament leur amour pour la Palestine et leur hostilité envers Israël, de quelle connaissance de la réalité des deux sociétés (qu’ils s’évertuent à construire en miroir) se prévalent-ils ? Car c’est bien un pur manichéisme abstrait qui semble permettre d’étendre l’antisionisme à un nouveau champ : celui de l’antisionisme vert, puisque « la lutte palestinienne fait partie intégrante de la politique écologique mondiale » du 21ème siècle. Bien sûr, il n’est pas question ici de célébrer en miroir un sionisme vert, ni d’ignorer les dégâts environnementaux régionaux, l’artificialisation des terres et les dépenses gigantesques de ressources naturelles en Israël, ou encore les très contestables accords géopolitiques sur des réserves de gaz dans les eaux méditerranéennes. Mais depuis le terrain du Nord global, où se trouvent les militants si nombreux à se pencher sur la tragédie palestinienne[22], nul ne semble prêt à reconnaître que la société israélienne produit aussi des critiques portant sur ces enjeux. Il faudrait pourtant, pour rouvrir l’horizon de la diplomatie du vivant et du terrestre, faire dialoguer une variété d’acteurs, Israéliens et Palestiniens. La situation requiert une pluralité de langages et de pratiques, des plus anarchistes aux plus réformistes, et au sein desquels « démocratie » et « terre » ne seraient pas dissociés. Ce fut par exemple le projet du socialiste anarchiste Gustav Landauer, célébré aujourd’hui par les écologistes activistes.

L’effondrement est un recours : c’est bien ce que semble indiquer le visionnaire Malm, ange noir de l’histoire climatique. À l’image de Walter Benjamin, dont il a emprunté des références dans Avis de tempête[23], il nous plonge dans les ruines de l’histoire industrielle occidentale et proche-orientale pour mieux désigner l’urgence de deux situations, l’une climatique et l’autre politique, qui s’empilent l’une sur l’autre et sont tout autant destructrices. Mais ce que ne réalise sans doute pas A. Malm, c’est qu’en pensant regarder les dernières bribes d’humanité depuis le champ de ruines palestiniennes, il plonge ses lecteurs dans un mode de pensée simpliste et binaire qui ne fait qu’accélérer le chaos et la tragédie. On ne peut plus désormais ignorer l’arrière-plan de ce catastrophisme accusateur mais surtout fantasmagorique.


Sylvaine Bulle

Sylvaine Bulle est sociologue. Ses travaux portent en particulier sur les mouvements contemporains d’émancipation en lien avec l’écologie, en France et en Israël. Elle a récemment publié :  ‘Sociologie du conflit’ (avec F. Tarragoni, 2021) ; ‘Irréductibles. Enquête sur des milieux de vie’ (2020) et ‘Sociologie de Jérusalem’ (2020).

Dans K., elle a publié : « L’anarchisme juif et ses résurgences écologiques contemporaines »

2 Commentaires

  1. Plutôt que de dérèglement climatique associé à de l’antisémitisme, ne s’agirait-il pas de dérèglement cérébral du soi-disant intellectuel en question ?

    • Nous n’allons pas le défendre, mais il ne fait que refléter la folie en l’air qui souffle dans le monde entier à l’égard d’Israël ! Il nous faut sans doute réfléchir à ce que nous devons changer dans notre conduite, pour parvenir à échapper à ces troubles généralisés – certains affirment que le problème provient de la haine qu’il y a entre nous, dans le peuple juif, laquelle entraine une telle situation gênante.

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