«Avec l’idéologie intersectionnelle, l’antisémitisme a pris une nouvelle vigueur »

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Manifestation du 8 mars: «Avec l’idéologie intersectionnelle, l’antisémitisme a pris une nouvelle vigueur »

FIGAROVOX/TRIBUNE – Un collectif qui marchait au nom des femmes victimes de l’attaque du 7 octobre a dû être exfiltré de la manifestation féministe du 8 mars à Paris, après avoir été la cible de projectiles et d’insultes. Simone Rodan-Benzaquen, directrice d’AJC Europe, y voit l’illustration d’une nouvelle forme d’antisémitisme en vogue.

Simone Rodan-Benzaquen est directrice d’AJC Europe (American Jewish Committee).

Insultes antisémites, tentatives d’agression, menaces, jets de bouteilles et d’œufs : voici la panoplie d’agressions subies par les femmes juives des collectifs «Nous vivrons» et «No Silence» à l’occasion de la marche parisienne pour la Journée internationale des droits des femmes, le vendredi 8 mars. Les militantes de ces collectifs étaient venues porter la voix des Israéliennes, victimes de viols, de mutilations et d’assassinats par le Hamas lors de l’attaque du 7 octobre, certaines étant toujours otages du groupe terroriste. En amont, les organisateurs de «Nous vivrons» avaient validé chaque point de leur venue avec les organisatrices. Notamment venir sans drapeau israélien, «pour éviter de provoquer et pour que tout se passe bien». Mais cela n’a rien changé ; elles ont dû être exfiltrées de la manifestation.

Cet épisode survient après des mois de tensions au sein des mouvements féministes. Déjà, le 25 novembre, lors de la journée des violences faites aux femmes, ces mêmes collectifs avaient été expulsés par les autres organisations féministes, en plus du silence assourdissant d’une grande partie des organisations au sujet des viols et des mutilations sexuelles subies par les femmes israéliennes. En effet, la Fondation des femmes avait attendu jusqu’au 10 novembre pour condamner – «sans réserve» – les crimes sexuels commis par le Hamas. De son côté, «Nous toutes» avait écrit un message sur son compte Instagram le 26 octobre, appelant au cessez-le-feu, donnant un bilan des victimes à Gaza et dénonçant «les conséquences de la colonisation» sur les civils, sans un seul mot sur les crimes sexuels du Hamas. À l’international aussi, UN Women avait attendu 50 jours après le 7 octobre pour dénoncer les atrocités du Hamas envers les femmes, appelant donc le 25 novembre à des enquêtes, puis les condamnant – enfin ! – le 2 décembre dans un second communiqué et seulement après avoir été interpellé par des militantes anti-Hamas.

Voici le principal dilemme du féminisme intersectionnel : il cherche à unifier diverses luttes, mais se trouve empreint de revanche identitaire et d’une obsession de la victimisation.

Simone Rodan-Benzaquen

Que dire ensuite des propos tenus la semaine dernière par Judith Butler, cette icône féministe américaine et humaniste, qui a qualifié les horreurs du Hamas d’«actes de résistance» et qui n’a pas hésité à demander des «preuves supplémentaires sur les viols» commis par l’organisation terroriste, sous les applaudissements d’un public entièrement acquis à cette affirmation, dont les trois députés LFI Thomas Portes, Danièle Obono et Younous Omarjee. On vous croit, sauf quand vous êtes juive, apparemment.

Voici le principal dilemme du féminisme intersectionnel : il cherche à unifier diverses luttes – de l’antiracisme, à l’antisexisme sans oublier la lutte contre la transphobie -, mais se trouve empreint de revanche identitaire, d’une obsession de la victimisation et de l’hyperindividualisme. Ce courant est avant tout essentialiste en matière d’assignation ethnique, allant jusqu’à séparer les féministes dites «blanches» des féministes dites «racisées», et au passage, ciblant ou excluant les femmes juives de leur combat.

Un exemple éloquent était déjà l’évènement Women’s March aux États-Unis, créé en 2017, symbole de la résistance populaire et féministe à Trump, où des tensions avaient éclaté lorsque certaines leaders, notamment Linda Sarsour, une militante Américano-Palestinienne, avaient clamé qu’on ne pouvait pas être «féministe et sioniste» à la fois. En France aussi, l’influence des mouvements indigénistes se fait sentir. «Mon corps ne m’appartient pas. Aucun magistère moral ne me fera enfoncer un mot d’ordre conçu par et pour des féministes blanches» avait écrit Houria Bouteldja qui pense aussi qu’on ne peut «pas être israélien innocemment» mais qui signe des pétitions aux côtés d’Annie Ernaux ou d’Adèle Haenel. Mais le féminisme n’est pas le seul mouvement impacté ; toutes les causes tendent à oublier leur universalité, privilégiant des agendas identitaires excluants. Ce phénomène est notamment aussi visible dans la lutte pour les droits de l’homme et l’antiracisme.

L’antisémitisme a pris une nouvelle vigueur avec l’idéologie intersectionnelle, woke et décoloniale car elle parvient à combiner les formes les plus diverses de l’antisémitisme sous couvert d’antisionisme.

Simone Rodan-Benzaquen

Aujourd’hui, ceux qui sont connus sous le nom de «woke» ont adopté des théories autrefois décrites comme marginales : postmodernisme, postcolonialisme, identitarisme, néomarxisme, justice critique, théorie de la race et intersectionnalité. Les Juifs ont, selon ces adeptes, été commodément rangés dans la catégorie des «Blancs» et le sionisme dans celle du «colonialisme» et du «racisme». Bien avant le 7 octobre c’est à travers la question d’Israël et du sionisme que certaines universités européennes et américaines sont devenues des foyers de l’antisémitisme contemporain. On assiste à des rassemblements pour mener des combats antiracistes d’où les Juifs sont, au minimum, exclus, au pire, attaqués. Ainsi, des étudiants juifs qui voulaient participer au mouvement «Black Lives Matter» se sont vus demander de signer une déclaration affirmant ne pas être sionistes. Depuis le 7 octobre, les choses se sont encore aggravées. Nombreux sont les étudiants qui vivent un enfer au quotidien, obligeant certains à quitter ou changer d’université.

L’antisémitisme a pris une nouvelle vigueur avec l’idéologie intersectionnelle, woke et décoloniale car elle parvient à combiner les formes les plus diverses de l’antisémitisme sous couvert d’antisionisme. C’est ainsi que les femmes du collectif «Nous vivrons» ont été insultées de «sales p**tes sionistes» au lieu du «sale juif» utilisé par les antisémites «traditionnels».

L’antisémitisme a historiquement su s’adapter aux discours prédominants de chaque époque pour se propager. Par le passé, il se manifestait à travers la religion et la science. Aujourd’hui, il se dissimule derrière des principes apparemment nobles comme l’antiracisme, les droits de l’homme, l’anticolonialisme et même le féminisme. Face à cette mutation, l’universalisme apparaît comme un rempart essentiel. Sans lui, la lutte identitaire menace de vider de leur substance les causes qu’elle prétend défendre, laissant au passage l’antisémitisme saper les fondements de notre société.

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