Corfou: la communauté juive se bat pour sa survie

Corfou: la communauté juive se bat pour sa survie

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Sur les traces des Juifs de Corfou

Synagogue de Corfou © Jean Housen – Wikimedia Commons

A  la fin du XIIe siècle, le voyageur juif espagnol Benjamin de Tudela ne rencontre qu’un juif esseulé à Corfou. Mais ils sont si nombreux, trois siècles plus tard, que les Vénitiens, devenus maîtres de cette île convoitée, verrou de l’Adriatique, les regroupent dans un ghetto.

Un document daté de 1365, période angevine, fait état de l’existence d’un ghetto et de son rabbin.

Quand une situation confuse, due, à des rivalités de succession vers 1382, dégénéra en guerre civile et en pillages, une délégation de Corfou débarqua à Venise en 1386 pour solliciter la protection de la République Sérénissime.

Cette délégation de six Corfiotes, était composée de deux Grecs, deux italiens et deux Juifs. De quoi attester le poids de la communauté juive avant même le début de la période vénitienne, qui allait marquer l’expansion croissante de la communauté juive.

Les Angevins favorisèrent leur installation et les Vénitiens les protégèrent. A partir de 1492 et durant tout le 15ème siècle, des Juifs chassés d’Espagne, puis du Portugal et de Sicile vinrent s’installer à Corfou (parmi eux, le célèbre Don Isaac Abrabanel, les familles Aboaf, Gaon, Cherido, Sarda, Razon, Castro, Sforno…).

En 1540, Don Pedro de Tolède, le vice-roi de Naples, chasse les Juifs des Pouilles et nombreux sont ceux qui se réfugient à Corfou, ils sont si nombreux qu’ils imposent leur dialecte et leurs costumes aux autres Juifs. De nombreux Juifs des Pouilles ont des noms bibliques (Israël, Nissim, Elia, Baruch…).

Tous les Juifs de Corfou se mirent à parler une langue judéo-vénitienne (1).

En 1665, on comptait environ 500 maisons juives à Corfou. Au XVIIIème siècle, les Juifs détenaient presque tout le commerce du port.

De surcroît, s’ils résidaient en principe dans un lieu désigné, ils n’habitaient plus depuis longtemps dans le ghetto, celui-ci ayant été rasé en 1524.

Grâce aux idéaux de la Révolution, la domination française (1807-1815) offrit aux Juifs corfiotes l’égalité des droits, ce qui ne fut pas du goût de la majorité chrétienne, orthodoxe et catholique. Quand Corfou et les îles ioniennes furent placées sous le protectorat de l’Angleterre, à la suite du congrès de Vienne, le sort des 4000 Juifs empira brusquement en raison d’une série de mesures discriminatoires, dont la suppression du droit de vote.

Après le référendum qui rattache Corfou à la Grèce en 1864, les  Juifs se voient reconnaître l’égalité des droits.

Le fanatisme religieux ne désarme pas pour autant : en 1891, à la suite de la découverte dans des circonstances demeurées mystérieuses du cadavre d’une fillette juive, la  communauté  grecque se déchaîne contre le ghetto.

La violence est si menaçante que la flotte anglaise quitte Malte et cingle vers Corfou pour y rétablir l’ordre et la paix civile. Le souvenir des violences n’est  pas effacé pour autant.

La  communauté cherche en Égypte à Alexandrie surtout, en France, en Amérique, des terres plus sûres.

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En 1891, un pogrom éclata sur une accusation de crime rituel. S’ensuivit un exode de familles juives comme celle d’Albert Cohen, l’un des plus importants écrivains séfarades du XXe siècle.

Ce que l’on appelait à l’époque d’Albert Cohen (2) le « ghetto de Corfou » était en réalité le quartier juif avec sa vibrante petite ruelle d’or, trépidante de vie avec ses nombreux commerçants et artisans.

Description de cette image, également commentée ci-après
Albert Cohen au lycée Thiers à Marseille en 1909.
Le grand-père paternel d’Albert Cohen figure patriarcale et sacerdotale qui fit si grande impression à son petit-fils, habitait une demeure spacieuse, perchée noblement au haut d’une colline.

C’est à peine transposé dans « Solal » (3), « le Dôme » où réside majestueusement le grand-rabbin Gamaliel, chef de la communauté et père du héros.

Tout cela, Albert Cohen enfant le connaissait par les récits de sa mère, elle-même fille de notables, qui avait transmis à son fils la joie de vivre, la chaleur et la richesse de l’existence de cette communauté.

La vitalité de cette culture, attestée par la persistance d’une langue savoureuse et musicale, transmise dès l’enfance, imprégna toute l’œuvre d’Albert Cohen.

En 1901, sur un total de 25 000 habitants, Corfou compte 5000 Juifs c’est à dire 20% de la population. Puis la population juive décroît, beaucoup émigrent à Alexandrie.

Le 9 juin 1944, ordre fut finalement donné de les déporter, à la satisfaction affichée des autorités collaborationnistes. Toute différente fut l’attitude des notables civils et religieux de Zante, une île voisine où les juifs furent protégés et purent se cacher dans la montagne.

À la veille de la Seconde Guerre mondiale, la communauté juive de Corfou ne comptait que 2000 membres. Selon l’historien Mark Mazower, le commandant territorial de la Wehrmacht tenta cependant plusieurs fois de s’opposer à leur déportation, un cas quasi-unique.

Le 9 juin 1944, ordre fut finalement donné de les déporter, à la satisfaction affichée des autorités collaborationnistes. Toute différente fut l’attitude des notables civils et religieux de Zante, une île voisine où les juifs furent protégés et purent se cacher dans la montagne. À Corfou, il ne reste plus qu’une soixantaine de Juifs.

Des quatre synagogues du vieux ghetto de Corfou, seule la  Scuola greca (« Temple grec »), a survécu à la Seconde Guerre mondiale. De style vénitien, elle peut être datée du XVIIe siècle. La salle de prière est située au premier étage, avec une section pour les femmes en mezzanine. Construits en bois avec une colonnade corinthienne, la tévah et l’aron-ha-kodesh se font face d’ouest en est.

Cimetière juif de Corfou. Photo de Nikodem Nikoji – Wikipedia

Le quartier juif, le vieux « ghetto » vénitien, encore aujourd’hui nommé Evraïki en grec, s’étendait dans la partie sud-est de la ville, près des fortifications vénitiennes. Il était sillonné de venelles bordées de demeures décaties, hautes de plusieurs étages, comme à Venise. Le ghetto a perdu de son unité urbanistique du fait des bombardements et dernier conflit mondial.

Plaque sur la synagogue de Corfou en 2017.
On peut le parcourir à partir de la  Porta Réale en se dirigeant vers les rues  Solomou,  Palaiologou et  Velissariou. Des colonnes d’une synagogue détruite durant la guerre ont été retrouvées, il y a une vingtaine d’années, au numéro 74 de la rue Palaiologou.

À Corfou, il ne reste plus qu’une soixantaine de Juifs.

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Notes :

  1. Comme le disait Zia Emilia, une de mes grandes-tantes originaire de Corfou : « évidemment que je parlais italien puisque j’étais grecque », ce qui nous faisait toujours beaucoup rire sans qu’on en saisisse le sens profond 
  2. Parmi les Juifs célèbres de Corfou : Albert Cohen écrivain français prix nobel de littérature, la famille Olivetti (machines à écrire), le chanteur Georges Moustaki,  Alessandro et Americo Aboaf (industrie du cinéma), Victor et Rafaële Israël (négociants et philantropes, Iquitos, Pérou) etc.
  3. Dans l’oeuvre d’Albert Cohen, les livres fabuleux parlant des Juifs de Corfou (transposé à Salonique) sont : Mangeclous, Solal, Les Valeureux…

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