Droit : De Schnapper en Badinter ou de Charybde en Scylla…

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[Tel Aviv 2 mai 2023] (Charybde en Scylla1) – Illustration : Scylla (shutterstock)

Il y a quelques semaines, JCall a réuni quelques-uns de ses militants et de ses orateurs obligés (de Finkielkraut à Barnavi) au sein d’une salle du Parlement européen. JCall avait été créée en 2010 qui se voulait la réplique de l’organisation américaine JStreet, c’est-à-dire

un rassemblement de Juifs « luttant contre l’occupation » et considérant que seule Israël est responsable de l’échec du « processus de paix » avec les Falestiniens2.

Mais cette fois, après une longue léthargie, et sans doute sous l’impulsion de l’Israélien Barnavi, JCall a battu le rappel dans le but de convier l’Europe à s’ingérer dans les affaires intérieures d’Israël, et à soutenir les manifestants israéliens qui refusent la Réforme. Et ce, dans un premier temps…

car dans un second, dixit David Chemla le chef, et Élie Barnavi la caution, il faudra bien que les manifestants se mobilisent aussi contre… le Kibouch, c’est-à-dire « l’occupation »

Devant traiter cette question dans une conférence à venir3, j’aimerais ici, pour rester dans le sujet de l’heure, examiner les arguments de Dominique Schnapper à qui JCall a confié le rôle, du haut de sa place d’ancienne membre du Conseil constitutionnel français, et donc du point de vue du DROIT, de condamner la Réforme proposée par le gouvernement israélien.

Notons que d’emblée DS annonce que « le Projet de réforme a deux dimensions »… Or en vérité, il en a quatre ! Elle fait donc le choix d’en omettre deux, celles qui consistent à annuler :

 

— La « Raisonnabilité » qui permet à la Cour suprême de juger sans pouvoir s’appuyer sur une Loi fondamentale. En vertu donc d’un véritable droit divin.

— L’autorité accordée aux « conseillers juridiques » des ministres et du gouvernement, qui leur permet de remettre en cause, au jour le jour, chaque décision des ministres et du Premier Ministre, ces derniers devenant donc de simples pions, le « pouvoir exécutif » étant absorbé par le « pouvoir juridique ».

Cette omission en dit déjà long sur l’honnêteté de l’expertise, et des commanditaires. Mais on comprend l’oratrice : ces deux dimensions du fonctionnement actuel de la Cour suprême sont l’illustration parfaite de son absolutisme, le bourreau se faisant victime.

Voyons donc de quelle manière Dominique Schnapper réprouve les deux autres « dimensions » :

1- Dans la commission de désignation des Juges, « les juristes n’ont plus la supériorité sur les politiques ».

Bizarrement, DS n’en dit pas plus. Soit par ignorance, soit parce qu’en dire plus contredirait sa démonstration. En effet comme l’explique très bien l’avocat de Jérusalem Joel Burstin4 :

dans le mode de désignation actuelle, la gauche a toujours la majorité dans cette commission de désignation des Juges même quand le gouvernement est de droite !

Ce faisant elle omet aussi de signaler que dans le monde démocratique, les membres de cette Commission sont désignés par des élus, alors qu’en Israël, dans le mode actuel, la procédure revient à s’autodésigner, donc à s’affranchir de tout contrôle. De quel côté est la « dictature » ?

Avec la Réforme Lévin, les deux avocats (étant en conflit d’intérêt, ils se gardent de contredire les Juges) sont remplacés par des membres du parlement. La majorité change avec l’alternance politique.

2— Dominique Schnapper : « Les décisions de la Cour suprême peuvent être corrigées par la Knesset (dans la Réforme Levin). Or le principe même d’une Cour suprême, c’est d’être supérieure à toutes les décisions politiques. C’est là toucher à un principe fondamental de l’ordre libéral… »

Là, DS est beaucoup plus prolixe, c’est même l’essentiel de son intervention, et son argumentation est un joyau :

(DS)— « La loi de la majorité fait partie de la démocratie, mais aussi le respect des minorités, et de l’État de droit. C’est à l’intérieur de l’État de droit que la règle de la majorité doit être respectée. »

Ainsi, le Droit primerait le Peuple. Mais qui fait le Droit ? Le Peuple ou une poignée de Juges ? Lesquels, en Israël, je le répète, s’autodésignent. Le Droit s’incarne notamment dans une Constitution, ou dans le cas d’Israël, dans des « Lois fondamentales ». Mais qui adopte ces Lois ? N’est-ce pas le Peuple, par des votes du Parlement, voire dans certains pays par des referendums ?

(DS)— « Dans les démocraties, le régime politique est provisoire, mais l’État de droit, lui, est permanent… Remettre en cause une décision de la Cour suprême, c’est remettre en question l’État de droit au nom d’une majorité provisoire ! »

Face « au provisoire » du pouvoir politique, le Droit serait supérieur parce que « permanent ». Et pourquoi pas éternel, tant que nous y sommes ? ! Même s’il est vrai que les Lois sont faites pour durer plus longtemps que les gouvernements, elles n’en sont pas moins révisables, modifiables, voire remplaçables…par le Peuple, c’est-à-dire par sa majorité, et non par une poignée de Juges aussi illustres soient-ils.

(DS)— « La démocratie se caractérise par la transcendance de toutes les appartenances ethniques ou religieuses… »

Faux !!! Dans tous les pays, c’est la majorité ethnique qui impose sa langue, sa culture, ses symboles politiques ou religieux. La seule différence est que dans les pays démocratiques, les minorités sont respectées, alors que dans les pays non-démocratiques, elles sont brimées. Ainsi en Israël, tout en respectant les droits culturels et cultuels de la minorité ethnique arabe, c’est la majorité ethnique juive qui impose les symboles juifs de l’État.

(DS)— Juif et démocratique c’est une contradiction logique…

Doublement faux !

D’abord parce que les notions de dictature comme celle de théocratie sont incompatibles avec la culture hébraïque et rabbinique. Georges Sarfati en fera la démonstration bientôt5. Mais aussi parce que pour DS, « juif » désigne une « religion » et non un peuple. Il est dommage que la fille de Raymond Aron ne se rappelle même pas la Déclaration d’indépendance qui commence ainsi : « ERETZ-ISRAEL est le lieu où naquit le peuple juif », et se poursuit ainsi : « NOUS PROCLAMONS LA FONDATION DE L’ÉTAT JUIF DANS LE PAYS D’ISRAËL ».

Ceci dit, profitons-en pour souligner que cette Déclaration parle d’un État juif, la formule « État juif et démocratique » ayant été introduite par la Cour Suprême d’Aharon Barak. Le péché majeur de cette formule, c’est qu’elle associe deux choses totalement différentes. « État juif » désigne l’identité d’un peuple et « démocratique » caractérise le fonctionnement d’un régime politique. Évidemment, cet ajout n’était pas sans arrière-pensée : pour A. Barak, il s’agissait d’une transition vers un « État de tous ses citoyens » où sous prétexte d’égalité entre Juifs et Arabes, l’État d’Israël se dépouillerait de ses attributs distinctifs, juifs.

(DS)— Mais la politique cela consiste à gérer des tensions et des contradictions…

DS reconnaîtrait-elle enfin que la gestion des tensions revient à la politique, c’est-à-dire en Israël à la Knesset Que nenni !

(DS)— D’où l’importance de la Cour suprême dont le rôle est de gérer cette tension fondamentale et de respecter les grands principes libéraux.

On ne saurait mieux définir l’absolutisme. La Cour Suprême dont le rôle ne devrait pas aller au-delà de l’expertise juridique, devient dans la version d’A. Barak & Cie un centre de décision politique.

(DS)— « Alors si la majorité inspirée par l’extrême droite en arrive à faire de l’État d’Israël un État où seuls les Juifs ont la pleine citoyenneté, ils remettent en cause la dimension démocratique du pays »

Lamentable procès d’intention ! Vous vous abaissez très bas Madame ! Quand a-t-il été question de cela ? Et par qui ? Ce qui par contre devrait poser problème, mais qui ne vous en cause aucun, c’est que continuent à bénéficier de la citoyenneté des Arabes qui ne se veulent plus « arabes israéliens » comme par le passé, mais « palestiniens », ne se reconnaissant pas dans la Déclaration d’Indépendance, et adoptant le narratif et les symboles d’une entité qui fait une guerre tous azimuts à Israël, sans parler des déclarations ouvertement antisionistes des dirigeants politiques arabes, sans parler des réjouissances communautaires lorsqu’un terroriste arrive à ses fins (et à sa fin), et de bien d’autres preuves d’une citoyenneté israélienne foulée aux pieds et au sens propre de l’expression.

(DS)— En ce moment Israël est divisée en 2 camps, la moitié de la population est dans l’opposition, l’extrême-droite est assez faible.

Vous mentez madame, et doublement.

Aux dernières élections de novembre 2023, la coalition actuelle au pouvoir a remporté 64 mandats. Le centre (Gantz – Lapid) 36 mandats, à peine un peu plus que la moitié ! La droite anti-Netanyaou et les Arabes : 10 mandats chacun. Ce qui fait au moins 4 camps avec des positionnements différents par rapport au projet de Réforme.

De plus ceux que vous appelez « l’extrême-droite », par mimétisme de la bien-pensance de cette nouvelle Europe à la Van der Leyen qui aurait horripilé votre père, au temps duquel n’étaient ainsi stigmatisés que les néo-nazis, sont devenus la 3 force politique d’Israël. « Assez faible » ; dites-vous ? Authentiques patriotes juifs, aux premières lignes de la défense de la terre d’Israël, leur fulgurante ascension n’en est qu’à ses débuts.

Et si vous étiez cohérente, vous devriez aussi qualifier d’extrême-droite ces autres implantations que furent les Kibboutzim dans les années du Yishouv, lesquels pour les Arabes n’ont été et ne sont que des « colonies » toujours pour eux à « libérer ».

(DS)— Les États-Unis sans lesquels Israël ne pourrait pas exister. Il ne faut pas qu’Israël décourage son allié américain…

Détrompez-vous madame. Les rapports entre Israël et les États-Unis sont fondés sur la réciprocité. L’aide du renseignement israélien, un des meilleurs au monde, vaut bien l’aide militaire américaine à Israël, une des plus petites de par le monde. Contrairement à l’Allemagne ou au Japon, par exemple, Israël n’a aucun soldat américain sur son sol, elle a l’habitude de se défendre seule. Les Israéliens et les Juifs qui n’ont pas perdu la mémoire, se rappelleront toujours qu’au moment les plus difficiles de la guerre d’indépendance, les États-Unis firent l’embargo sur les armes et qu’Israël ne dut sa victoire et sa survie qu’aux armes envoyées de Tchécoslovaquie par l’URSS.

De plus, cessez d’identifier « les États-Unis » au sénile président téléguidé par le clan Obama, le plus anti-israélien des présidents américains… Heureusement il n’en a plus que pour quelques mois encore.

Permettez-moi encore une dernière question : feriez-vous partie de cette diaspora qui ne se rappelle qu’elle est juive (en tant que peuple ou religion ?) que lorsqu’il s’agit de critiquer les gouvernements (de « droite ») que le peuple s’est librement donnés, jamais pour s’élever contre les exactions arabes, par exemple celles des pogroms de l’année 2021 dans les villes dites « mixtes » d’Israël arrosée par 4000 missiles lancés de Gaza, jamais contre BDS, jamais contre les dirigeants palestiniens, jamais, jamais (une page entière de vos manquements et omissions n’y suffirait pas)… Et si c’est par manque de temps, ou de conviction, de grâce cessez de vous ingérer dans nos affaires et vivez tranquillement votre « émancipation » !

Zorro est arrivé.

Alors que je m’apprêtais à conclure, j’apprends, par les extraits qu’en donne LPH, le soutien de Robert Badinter6 aux opposants à la Réforme, en tant qu’ex-Ministre de la justice et ex-président de la Cour constitutionnelle de France.

Et je m’aperçois qu’au lieu de se livrer à une expertise professionnelle et critique du système actuel et des propositions contenues dans la Réforme, il interprète la même ritournelle que sa consœur (je n’ose dire coreligionnaire) Schnapper :

(RB)— « Il est inconcevable que chaque changement politique transforme du tout au tout l’interprétation de la loi. Le parlement doit s’inspirer du conseil constitutionnel et non l’inverse. Sinon il n’a aucune utilité. C’est là le cœur du conflit en Israël aujourd’hui ».

Évidemment, il ne lui vient pas à l’idée que le contraire est aussi vrai, et même plus vrai : si la source du pouvoir n’est plus le Parlement mais la Cour suprême, alors le Parlement n’est plus qu’un lieu de palabres, et n’a plus aucune utilité. Et s’il n’a plus d’utilité, et si le peuple s’aperçoit que ses voix ne comptent plus et que les élections ne signifient plus rien, alors il n’aura plus d’autre choix que la violence pour s’exprimer. Autant dire la fin d’Israël.

Et c’est cela qui serait du judaïsme ? ! Car prenant des airs d’Oracle voilà ce que proclame cet homme qui durant son parcours professionnel d’avocat et de magistrat ne s’était jamais fait connaître ni comme Juif, ni comme un juriste inspiré par le judaïsme :

(RB)— Toucher à la Cour suprême, c’est toucher à la signification profonde du judaïsme. Aujourd’hui le sanctuaire d’Israël, c’est la Cour suprême !

Wohw, la messe est dite ! Je ne suis pas sûr que les dirigeants anonymes du mouvement anti-Réforme vous suivent jusque-là !

Faudrait savoir et choisir, madame Schnapper et monsieur Badinter ! Soit le judaïsme vous fait si peur, comme à beaucoup des manifestants, qu’il vous faut le contenir comme A. Barak… par la « démocratie » (« État juif et démocratique »). Soit le judaïsme et le Temple juif lui-même seraient incarnés par… la Cour suprême !

Déplacement audacieux qui explique sans doute que vous n’ayez jamais réagi au vol du (vrai) Temple juif, le Beth Hamikdach, par les conquérants d’islam, et qui aussi est une parfaite illustration de la forfaiture. Après avoir diabolisé les servants de la Loi (juive) vous n’hésitez à en faire le rapt. Auriez-vous oublié que le christianisme, l’islam, le communisme, ont déjà eu cette prétention ? Et aujourd’hui ce serait la Cour suprême ? !

Aharon Barak qui récemment a avoué ne rien connaître au droit hébraïque, s’était cependant déjà livré au même exercice de captation : « Le monde est empli de Sa gloire » biblique devenant sous sa plume : « Le monde est empli de Droit ».

Vous apercevez-vous que le système politique qui considère que tous les aspects de la vie (économique, politique, morale, scientifique, amoureuse, etc.) sont assujettis au Droit, s’appelle un « système totalitaire » ? Car vous échapperait-il que face au totalitarisme qui nient tout droit, il y a aussi celui, dans sa dérive moderne, qui cherche à prendre votre contrôle à chaque instant de votre vie ?

Madame Schnapper, monsieur Badinter, et monsieur Barak, qui vous dites « libéraux » et qui fustigez les « illibéraux » que nous serions, vous apercevez-vous que vous pratiquez le pire des péchés, celui de l’idolâtrie, qui consiste à se prendre pour Dieu ? Vous apercevez-vous que vous accordez à 15 juges non-élus, auto-désignés, un pouvoir divin, qu’illustre très bien le pouvoir qu’ils se sont octroyé avec la clause de la « Raisonnabilité » ? Pour Barak n’étaient-ils pas « Hatzibour Hanaor », le « public éclairé », alors que pour la présidente actuelle Esther Hayut « les juges de la Cour suprême sont dotés de pouvoirs spéciaux pour discerner le bien du mal que les simples mortels ne possèdent pas ».7

C’est ce que vous appelez du « libéralisme » ? Orwell, au secours !

Une dernière chose. À vous lire Monsieur Badinter, on pourrait avoir l’impression que la Cour Suprême a été créée en 1992 par Aharon Barak, bel édifice que la Réforme viendrait aujourd’hui dénaturer en la « touchant ».

Peut-on désinformer avec autant de désinvolture ? Car la Cour suprême existe depuis 1948 ! Et si elle a été « touchée » dans le sens badinterien, c’est-à-dire violée, c’est bien par ce que le gourou Aharon Barak a lui-même appelé une « Révolution constitutionnelle ». Une révolution, c’est comme vous le savez, un chamboulement complet. Avant cette « révolution », Israël était-elle une dictature ? Non, elle était moins activiste que l’actuelle, et surtout elle s’interdisait d’empiéter sur les prérogatives politiques de la Knesset. Chacun chez soi et les poules étaient bien gardées.

La réforme par contre, comme le dit son nom ne sera pas une « révolution », elle ne vise pas à faire disparaître la Cour suprême, mais à faire en sorte que la Knesset se réapproprie les prérogatives qui lui ont été volées au début des années 90. Tout cela est parfaitement bien décrit dans le livre que vient de publier Pierre Lurçat : « Quelle démocratie pour Israël »8.

Et vous gagneriez, Madame Schnapper, monsieur Badinter à en faire votre livre de chevet… J-PL

Jean-Pierre Lledo, MABATIM.INFO


1 Deux monstres marins de la mythologie grecque…

2 Il ne s’agit pas d’une faute mais une manière de rappeler la prononciation en arabe qui ignore la lettre « P ». Troublante absence pour un peuple qui aurait été de tout temps « palestinien », car ce serait bien la première fois dans l’histoire humaine qu’un peuple se donne un nom imprononçable dans sa propre langue…

3 Dans le cadre d’un groupe qui se réclame de l’esprit de « Raison Garder », ce mouvement dont l’Appel, qui s’opposa à celui de JCall dès sa création, rassembla en 2010 plus de 12 000 signatures de par le Monde.

4 Joel Burstin : YouTube : Comprendre la réforme judiciaire

5 « Israël et le fantasme de la théocratie » Conférence Zoom de G-E Sarfati : dimanche 7 mai 2023 / 18:30 – 20:00 (Heure Paris) / 19h30 – 21 h (Heure Jérusalem)

6 Sur Ynet. Extraits en français sur LPH.

7 Article de Caroline Glick in JNS : « Cour suprême d’Israël : La guerre d’Esther Hayut contre la démocratie ». Trad en français : https://mabatim.info/2023/01/24/cour-supreme-disrael-la-guerre-desther-hayut-contre-la-democratie/

8 Pierre Lurçat : « Quelle démocratie pour Israël ». Éditions Éléphant. 2023

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