« Le grand-père a eu gain de cause »

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Arakhin, ce grand organisme de séminaires visant à aider le public à revenir aux sources, organise chaque année un « séder pour l’exemple », durant lequel est montré comment doit se dérouler cette soirée selon la Halakha. A l’une des ces occasions, une dame vivant dans un kibboutz a demandé la permission de filmer la séance, afin de mieux pouvoir se préparer. Ses enfants n’avaient aucune idée de la manière dont cela devait se passer, et elle espérait être mieux renseignée ainsi. Son mari ? Il a promis de ne pas déranger la soirée…

Elle apprit de la sorte comment s’y prendre, se rendit à Bené Braq avec sa jeep pour faire toutes les emplettes de la fête, y compris des matsoth faites à la main, et disparut dans la nature. Après Pessa’h, elle envoya une lettre pour décrire ce qui s’était passé.
« La famille élargie a pris place autour de la table. J’ai demandé à mon père de diriger le séder, mais il a refusé. Mon mari en fit de même. C’est donc moi qui ai dirigé la soirée… J’ai commencé, et ai remarqué que mon père, qui d’habitude était assez virulent, se taisait. Quand nous sommes arrivés au passage de la question du fils mécréant, il a demandé à dire quelques mots. Il prit la parole en tremblant :
« Je suis le fils mécréant ! »
Il délivra par la suite un pan de sa vie qu’il avait soigneusement caché jusqu’alors.
« Je suis né dans une famille ‘hassidique de Pologne. En ces temps-là d’avant guerre, mes parents étaient des Juifs fidèles et pratiquants, pour lesquels l’éducation des enfants passait avant tout. Mais des mauvaises fréquentations firent que je me suis introduit dans un groupe de jeunes qui avaient tout rejeté. Je lisais des journaux se moquant de toute chose liée à la sainteté, rejetant particulièrement toutes les habitudes ayant un lien avec la fête de Pessa’h. Leurs railleries ont eu effet sur moi. J’avais 15 ans. En apparence, je donnais encore l’impression d’être respectueux des traditions, mais ce n’était qu’une apparence. Pessa’h est arrivé. Mon père a pris place à la tête de la table, ma mère et mes sœurs tout autour, j’étais fils unique. J’ai été invité à poser les quatre questions, mais alors, au lieu de me contenter des interrogations fixées, je m’en suis pris à leur conduite, prenant la position du fils renégat. Non sans compléter le tableau avec les expressions de mépris et de dédain que j’avais apprises dans les journaux. Mes parents étaient frappés de stupeur ! Mon père ne put ouvrir la bouche. Ma mère et mes sœurs ont éclaté en sanglots. Quant à moi, je me suis levé de la table en éclatant de rire. Puis je suis allé dormir. Un profond silence s’est installé dans le salon, la stupéfaction était grande. Le premier qui se reprit fut mon père, et il demanda à ma jeune sœur, que D’ venge son sang, de poser les questions traditionnelles, et il répondit avec amour, comme à son habitude. Quand la famille arriva à la question du fils renégat, il éleva la voix et dit : “Le fils renégat, même s’il fait preuve d’un grand mépris pour tout ce qui est lié à la sainteté, ne doit pas nous effrayer : il est tombé entre les filets du yétser hara’ (des forces du mal). Nous devons l’aider à sortir de cette captivité. Comment nous y prendre ? En priant et en implorant que notre œuvre ne soit pas vaine, et en suppliant pour que nos efforts d’éducation ne restent pas inutiles, et que notre fils revienne à la source.” Cela m’a mis hors de moi ! Moi, pris entre les filets du yétser hara’ ? Je suis libre ! Je vais de l’avant ! C’est vous qui êtes pris dans chaînes d’une conception vieille et dépassée. J’ai quitté la maison avec colère. Mes copains m’attendaient dans la rue. Nous sommes partis effectuer un circuit de jeunes dissolus, et je ne suis rentré à la maison qu’au petit matin. Mes parents avaient l’air abattu, comme si leur monde s’était effondré.
Mon père s’est engagé dans une discussion acharnée avec moi, me demandant de me reprendre, mais ma décision de lâcher la voie de la Tora était prise. Mon père a jeté un regard profond en ma direction : “Vois, mon fils, j’ai reçu de mon père la torche de la Tora du peuple juif. Lui se l’est vue remettre par son père, et ainsi de suite, jusqu’au mont Sinaï. Depuis 3.300 ans, cette transmission passe d’une génération à l’autre. Ta mère et moi avons tenté de te la transmettre de manière authentique ; nous avons versé des larmes sans fin pour que tu sois empreint de crainte du Ciel ; nous avons fait tout ce que nous pouvions pour que tu grandisses comme un Juif fidèle, droit. Je te demande de tout faire pour y arriver. Je suis convaincu que cela arrivera, je ne sais juste pas quand. Mais le jour viendra. Les pleurs ne restent jamais sans résultats.”
Je suis resté indifférent. Je lui ai dit avec froideur : “Les temps ont changé. Ta vieille torche n’intéresse plus personne. De nos jours, ce qui marche, c’est l’éducation juive hébraïque, libre et sioniste. C’est de cela que tu dois être fier.” Cela ne le convainquit pas réellement… Il m’a dit : “Peut-être pas de mon vivant, peut-être après cela, tu verras que le judaïsme antique finira par vaincre !”
Le lendemain de Pessa’h, mes amis et moi nous sommes organisés pour partir en Erets Israël. Divers groupes nous ont aidés pour nous payer les billets. Le bateau devait passer par Chypre pour arriver en Terre sainte. Je me suis séparé de mes parents – une séparation douloureuse de laquelle je ne veux pas parler maintenant. Nous sommes arrivés dans le pays. Nous avons fait partie des fondateurs de l’Etat. J’ai échangé mes péïoth par une mèche de cheveux sur la tête, les habits noirs par des vêtements kaki. Nous avons travaillé dur, asséché des marais, construit des maisons.
Alors, la nouvelle de la Seconde Guerre mondiale nous est parvenue. J’ai été très profondément troublé par les informations concernant la mort des membres de ma famille – que l’Eternel venge leur sang ! – et la destruction de ma patrie. Dans ma grande bêtise, je n’ai pas compris comment ces Juifs avaient « accepté » d’aller « au massacre comme un troupeau de bêtes ». Moi, j’aurais pris les armes… J’aurais organisé la révolte… Mort comme un héros… Que les membres de ma communauté n’aient pas lutté m’a rempli d’une grande colère. Je me disais à quel point j’avais eu raison de décider de devenir un Juif nouveau, fort, puissant, qu’à jamais nul ne pourra briser.
J’ai marché dans la voie du communisme. Nous avons fondé un kibboutz dans le Nord selon cette idéologie. La famille que nous avons créée s’est inscrite dans une voie communiste orthodoxe… Autrement dit, j’ai veillé à ce qu’il n’y ait chez nous aucun relent de la vieille école… Par miracle, je n’ai eu que des filles, de sorte que la question de la circoncision ne s’est pas posée. Quand tu étais jeune, nous avons organisé un séder comme on le pratiquait au kibboutz, avec pain et bière sur la table, chantant des chants en l’honneur du printemps pris de la Haggada du kibboutz, tout était fantastique. Nous avions vaincu mon père…
Mais voilà, avec l’effondrement de la structure du kibboutz, le grand mensonge du communisme a également été dévoilé. Mes enfants ont abandonné l’idéal qui était le nôtre. Des cérémonies du genre de ce « séder » laïque n’ont plus cours, ni l’apport de bikourim (les prémices des récoltes). J’ai commencé à comprendre que notre voie se couvrait d’orties : comme vous le savez, l’une de mes filles a quitté le pays avec son mari non-juif… L’autre ne veut pas se marier. Seules toi et ta sœur avez fondé des familles. Ma fierté repose sur toi, ma fille aînée…
Quand tu m’as invité pour cette soirée, je n’ai pas compris ce que tu voulais. Je me suis demandé ce que tu pouvais bien avoir préparé. Quand je suis arrivé, et que j’ai vu les matsoth comme dans le temps, le raifort, le céleri, l’os roti, j’ai failli m’évanouir. Mon père a-t-il eu raison ? Me voici assis à entendre ma famille chanter les chants de l’époque, si ce n’est qu’alors nous utilisions une prononciation ‘hassidique. J’ai cru devenir fou. Une soirée entière et nous parlons « ‘harédi ». Est-ce que tout ceci vient m’apprendre que tu as fait techouva ? Que tu es retournée à ce vieux judaïsme que j’ai fui ? »
Papa était assis à mes côtés, et essuya sa sueur. Je n’ai pas eu pitié : « Notre grand-père a eu raison et il t’a vaincu ! J’ai reçu la torche de ses propres mains. Mais je préférerais la recevoir de tes mains à toi. Cela fait soixante-dix ans qu’il attend que tu le fasses… » Mon père s’est plongé dans le silence, et nous avons continué le séder sans lui. »

Deux ans plus tard, dans le même kibboutz, un homme âgé se tient à la tête de la table, habillé en blanc et revêtant une grande kipa sur sa tête, dirigeant le séder exactement comme son père l’avait fait : des matsoth faites à la main, pas de « cherouya » (de matsa utilisée avec du liquide, ce que certains avis interdisent, pratique assez largement suivie en Pologne), avec des haggadoth anciennes. Les airs pris des temps anciens ont retenti dans les voies du kibboutz, prouvant plus que cent témoins que la prophétie se réalisait, celle de « Lui ramènera le cœur des pères à leurs enfants, et le cœur des enfants à leurs pères » (Malakhie 3,24)…

Par rav David Braverman

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