DES ORIGINES À L’OCCUPATION JAPONAISE
En effet, depuis le VIème siècle, il existe des communautés juives à Calicut et à Cochin dans l’État du Kerala au sud de l’Inde. Or l’ouest de l’archipel indonésien entretient des relations commerciales avec le sud de l’Inde depuis sans doute le IVe siècle avant notre ère. Le premier texte connu attestant la présence d’un Juif dans l’archipel parle d’un marchand de Fostat, la première capitale arabe de l’Égypte, mort en 1290 dans le port de Barus sur la côte occidentale de Sumatra. Barus était alors un important port exportateur pour le benjoin (de l’arabe laban jawi ou « lait javanais ») et le camphre (en malais* kapur Barusou « craie de Barus »), indigènes à Sumatra, et commerçait avec le sud de l’Inde.
DE LA RÉSISTANCE À L’EXODE
Les Juifs des Indes néerlandaises n’étaient pas nécessairement natifs du pays. Prenons l’exemple de Bruno Berler, un Viennois qui, après échoué à monter une affaire au Mexique, est envoyé par ses parents aux Indes néerlandaises, où il épouse une jeune Indo*. En 1938, il emmène sa famille à Vienne. C’est l’année où Hitler annexe l’Autriche. Bruno est arrêté et envoyé à Dachau. Ses parents soudoient les nazis et obtiennent sa libération. Bruno et sa petite famille parviennent à prendre le dernier paquebot pour les Indes. Lorsque les Japonais débarquent à Java en mars 1942, Bruno rejoint un petit groupe de résistants européens dans l’est de Java, financé par le gouvernement néerlandais**. Lui et ses compagnons finissent par être arrêtés, torturés et finalement décapités par les Japonais. Ils sont enterrés dans une fosse commune à Ancol dans le nord de Jakarta, où leurs noms sont inscrits sur une pierre tombale.
Les premiers mois qui suivent la proclamation de l’indépendance de l’Indonésie le 17 août 1945, période que les Néerlandais appellent « Bersiap »*, sont marqués par des violences à l’égard des Européens, juifs compris. La plupart de ces derniers quittent le pays pour s’installer aux États-Unis, à Los Angeles, où ils contribuent au journal De Indo** et préservent leur identité de Juifs d’Indonésie. Peu émigrent vers Israël. Au début, les Juifs irakiens, dont la plupart vit à Surabaya, restent en Indonésie.
RENAISSANCE
D’après Jeffrey Hadler, professeur d’histoire et de culture de l’Asie du Sud-Est à l’université de Californie à Berkeley, « si l’antisémitisme indonésien existe (et a commencé à prospérer dans la période de l’après-Reformasi*), il demeure communément un anti-israélisme. Ce qu’on rencontre de vrai antisémitisme est entièrement européen d’origine, apporté en Indonésie à l’époque coloniale et pendant l’occupation japonaise, et seulement revigoré de temps à autre par un anti-sionisme moyen-oriental ».
« L’ANTI-ISRAËLISME », LE CORAN ET LE ROMAN NATIONAL INDONÉSIEN
Qu’est-ce que « l’anti-israélisme » ? Nous lui voyons deux composantes. D’abord, historiquement, une pétition de principe « anticolonialiste » et « anti-impérialiste » dénonce l’occupation des territoires palestiniens et met comme préalable à la reconnaissance d’Israël par l’Indonésie, la reconnaissance d’un État palestinien par Israël. Par ailleurs, un discours islamiste prend d’un côté le parti de Palestiniens considérés comme « musulmans »* et de l’autre, invoque le Coran pour dénoncer les Juifs.
Un événement a défrayé la chronique mondaine indonésienne fin 2018, lorsqu’on a appris que la chanteuse Maia Estianty vivait une idylle avec l’homme d’affaires Irwan Mussry. Ce dernier avait par ailleurs fait parler de lui en récompensant des athlètes indonésiens pour leur performance lors des Jeux asiatiques de 2018 en Indonésie. Irwan est le fils de Charles Mussry, un Juif de Surabaya, qui avait joué un rôle dans la bataille de Surabaya en novembre 1945*, en fournissant armes et nourriture aux combattants indonésiens. Dans un pays qui continue à rédiger un roman national dans lequel un rôle central est joué par des « héros » censés représenter les différents groupes ethniques et religieux, c’est peut-être l’amorce d’une inclusion d’un Juif dans ce roman.