Paris, le 24 juillet 2025
Objet : Inquiétudes profondes relatives à la résurgence d’un climat antisémite en Espagne
Monsieur l’Ambassadeur,
L’histoire espagnole est profondément marquée par le drame de l’expulsion des Juifs en 1492, décision tragique qui fit de l’Espagne un des premiers territoires d’Europe « judenrein », bien avant l’apparition de ce mot.
Pendant des siècles, le feu de l’Inquisition a poursuivi l’œuvre de persécution, d’exclusion, d’éradication culturelle.
Et pourtant, les Juifs d’Espagne — les Sefarades — n’ont jamais cessé de faire rayonner la langue, la musique, les prières et la mémoire espagnoles dans leurs pays d’exil : de Salonique à Istanbul, du Maroc à Amsterdam, jusqu’à Israël, où ils constituent aujourd’hui une part vivante et vibrante de l’identité juive contemporaine.
Nous avons cru, lors de la transition démocratique de votre pays et plus encore avec la loi historique reconnaissant le droit à la nationalité pour les descendants des Juifs sefarades, qu’une page était tournée.
Que l’Espagne avait enfin pris la mesure de cette part refoulée de son passé.
Que l’heure était venue d’une réconciliation durable.
Mais les signes récents sont alarmants.
Les prises de position de certains responsables politiques espagnols sur le conflit israélo-palestinien, d’une partialité constante et délibérée, participent à entretenir une hostilité qui déborde largement les cercles politiques.
Les sondages indiquent que plus de la moitié de la population espagnole adhère encore à des stéréotypes antisémites — proportion inquiétante dans un pays européen du XXIe siècle.
Plus grave encore : des incidents répétés ont récemment visé des Juifs, des synagogues, des commerces, des symboles.
Le dernier en date, particulièrement choquant, concerne le vol Vueling VY8166 au départ de Valence, le 23 juillet 2025. À bord : des enfants français participant à une colonie de vacances juive, encadrés par une jeune directrice de 21 ans, également étudiante en médecine à l’université de Porto.
Ces jeunes passagers d’excellentes familles et non répertoriés comme des voyous auraient été identifiés comme juifs, et auraient été spécifiquement ciblés, humiliés, retardés et isolés, tant par la compagnie aérienne que par les forces de l’ordre.
La directrice, une jeune femme de 21 ans par ailleurs étudiante à Porto a été malmenée comme une délinquante, escortée de force comme un animal, la vidéo en témoigne — fait inacceptable — des membres de la Guardia Civil ont voulu et semble-t-il à supprimer les souvenirs numériques des enfants : photos, vidéos, instants de joie
Quelle raison, sinon une volonté d’effacement ?
Le communiqué de Vueling n’a pas répondu à nos attentes.
Il n’a pas clarifié les faits. Il n’a pas présenté d’excuses. Il n’a pas dissipé l’impression d’un ciblage fondé sur l’identité juive.
Alors des questions se posent avec gravité : Faut-il recommander aux Juifs du monde entier d’éviter désormais de voyager en Espagne ?
Faut-il appeler à boycotter la compagnie Vueling sur tous les continents ?
Vueling ferait une distinction entre les enfants citoyens français de confession juive et les autres ?
Nous ne le souhaitons pas.
Mais seule une enquête sérieuse, indépendante, publique, menée sans délai, pourrait nous dissuader de penser que l’Espagne d’aujourd’hui tolère ou banalise ce genre d’agissements.
Car nous savons ce qu’est l’Espagne.
Nous savons ce qu’elle a donné au monde.
Et nous savons que vous, Monsieur l’Ambassadeur, êtes l’honorable représentant d’un grand peuple, d’une grande culture, d’une grande histoire.
Nous ne parlons pas ici en ennemis.
Nous parlons au nom de ceux qui ont continué d’aimer l’Espagne, même chassés d’elle.
Au nom de ceux qui parlent encore le ladino, qui cuisinent encore ses plats, qui chantent encore ses chansons.
Et qui espéraient, un jour, pouvoir revenir en paix, et en confiance.
Ce respect ne doit pas être trahi.
Ce lien ne doit pas être rompu.
Dans l’attente de vos explications et d’actions claires de la part des autorités compétentes,
Nous vous prions d’agréer, Monsieur l’Ambassadeur, l’expression de notre haute considération.
Guy Attal Paul Germon
Président Vice-Président
