Lettre ouverte à Yuli Edelstein

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S’il n’y avait pas autour de la tempête du projet de loi sur la conscription des orthodoxes un emballement aussi disproportionné d’intérêts politiques, j’aurais tenté de neutraliser les bruits parasites pour adresser, sincèrement et du fond du cœur, la lettre suivante au président de la commission des Affaires étrangères et de la Défense.

Aryeh Erlich | Ynet

Cher Yuli Edelstein,
Toi, ancien prisonnier de Sion, persécuté pour les valeurs en lesquelles tu croyais, toi qui as connu ce que signifie être cerné par un environnement qui méprise profondément tes idéaux, toi qui as été emprisonné pour tes convictions sans jamais céder jusqu’à la victoire— ne serais-tu pas capable aujourd’hui de mener à bien un processus d’entente avec une partie de la population qui, au nom de l’étude de la Tora, renonce aux plaisirs du monde même au prix de menaces de sanctions, d’arrestations, et de persécutions personnelles et publiques ?

Toi, qui as ressenti dans ta chair et dans ton âme ce que c’est qu’être rejeté par une société qui ne comprend pas, qui jette en prison ceux qui ne se plient pas à ses exigences — mais tu savais, de tout ton cœur et de toute ton âme, que lorsque l’on détient une vérité intérieure, on est prêt à aller jusqu’au bout — toi qui t’es tenu seul face à ton environnement, sans être impressionné par les menaces ni effrayé par les châtiments — est-ce là ton rôle aujourd’hui ?

Adopter une approche de confrontation frontale ? Faire exploser les accords que tu as toi-même conclus avec les représentants orthodoxes, au prix d’efforts intenses et de concessions douloureuses de leur part ?
Toi, à la pointe de ceux qui cherchent l’affrontement et repoussent le compromis ?

De toi précisément, en tant qu’ancien prisonnier de Sion, modèle de fidélité aux principes, on aurait pu s’attendre à ce que tu te tiennes face au public israélien, et que tu lui expliques avec courage la complexité, la vision nuancée et non caricaturale de la position orthodoxe sur la conscription.

De toi précisément, parce que tu connais bien les deux camps, on aurait pu espérer que tu t’adresses à la société israélienne et que tu dises : « Écoutez, oui, c’est très difficile pour nous avec les orthodoxes. Ils ne s’enrôlent pas massivement. Nous ressentons un profond malaise face à leur comportement. Nous sortons de deux années de guerre éprouvante, et cette réalité nous paraît injuste et déséquilibrée.
Mais je les connais. Et je sais qu’ils croient profondément à leurs valeurs. Le monde de la Tora est ce qu’ils ont de plus cher. Leur crainte d’un enrôlement massif, incontrôlé, d’un seul coup, sans encadrement spirituel, est une peur sincère, pas une mise en scène. Qui mieux que moi sait à quel point ils sont prêts à payer le prix fort pour leurs convictions. Ils mènent un mode de vie auquel ils sont attachés de toutes leurs forces.
Alors les amis, comprenez bien : cela ne marchera pas par la force, ni par les menaces, ni par les sanctions personnelles, économiques ou pénales. Cela ne fonctionnera qu’à travers le dialogue, les accords. Pas avec des discours de tribunes hystériques, ni avec des posts de Moyshe-le-gros bras. Et moi, je me porte volontaire pour être le soldat numéro un du dialogue et des compromis.
Je l’ai déjà fait en tant que président de la Knesset. Je l’ai fait durant des années comme homme politique en lien avec toutes les composantes de la société. Et je continuerai à le faire maintenant, face à cette crise grave sur la loi de conscription. Je ne chercherai pas l’explosion, je ne brûlerai pas les ponts. Je ferai tout pour naviguer et ramener autour de la table un accord courageux. »

Toi, qui vis en Israël depuis de nombreuses années mais qui connais également très bien le monde orthodoxe (nous avons même des amis en commun), on aurait pu espérer que tu dises à tes collègues politiques de tous bords, ainsi qu’à la société israélienne tout entière : « Écoutez, dans les accords que j’ai conclus avec les représentants des orthodoxes avant l’attaque sur l’Iran, ces derniers ont consenti à d’immenses concessions qu’on n’aurait jamais pu imaginer autrefois. Ils ont accepté d’aller très loin, pour eux et pour leurs rabbanim. Je suis loyal à ces accords, je n’essaie pas de les rouvrir ni de les saboter, car je pense que nous devons les saisir à deux mains, comprendre le tournant historique qu’ils représentent, et ne pas tout détruire pour repartir de zéro dans une querelle monstrueuse. »

Et entre nous, Yuli, tu sais très bien que cette confrontation ne fera bouger aucun camp de ses positions ni de ses valeurs. Seul le compromis peut apporter un vrai changement.

J’aimerais recevoir une réponse respectueuse.
Suis-je naïf ?

Aryé Ehrlich est journaliste orthodoxe, lié au magazine Michpa’ha. Le fait que cette lettre ouverte paraisse sur Ynet est significatif, et elle a attiré plus de 600 réactions (pas forcément positives).

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