Le ministère de l’Intérieur a acté le principe d’une « unité de coordination »ayant pour mission de veiller au suivi des individus sortant de prison condamnés pour terrorisme ou repérés pour radicalisation, a appris Le Monde, lundi 4 juin, de source élyséenne. Une annonce qui intervient une semaine après les propos du procureur de la République de Paris, François Molins, sur BFM-TV, s’inquiétant du « risque majeur » qu’est celui de « voir sortir de prison à l’issue de leur peine des gens qui ne seront pas du tout repentis, qui risquent même d’être encore plus endurcis, compte tenu de leur séjour en prison ».
Alors que les inquiétudes se font de plus en plus grandes à la perspective de la libération de quelque 10 % des 512 détenus terroristes islamistes d’ici à la fin de 2019 en raison de leur arrivée en fin de peine, le gouvernement a décidé de renforcer la politique de suivi à leur égard. Le résultat d’une réflexion amorcée il y a déjà plusieurs mois, prévient-on dans l’entourage du ministre de l’intérieur, Gérard Collomb, où s’anticipe depuis longtemps, par exemple, la sortie prochaine d’une des figures du djihad hexagonal, le Franco-Algérien Djamel Beghal. L’homme a été l’un des mentors de Chérif Kouachi et d’Amedy Coulibaly, les auteurs de l’attaque contre Charlie Hebdo et l’Hyper Cacher.
Attribution de chaque sortant de prison à un service
Cette unité de coordination, qui devrait être effective « très prochainement »,n’aura pas vocation à s’occuper du suivi opérationnel. Sa mission première sera de s’assurer de l’attribution de chaque sortant de prison à un service. Un protocole a déjà été arrêté, selon nos informations. La direction générale du renseignement intérieur (DGSI) sera systématiquement désignée, « par principe », pour les sortants poursuivis et condamnés dans le cadre d’affaires de terrorisme. Pour les détenus moins formellement étiquetés, relevant seulement du droit commun mais présentant des risques de radicalisation, la cellule devra veiller à désigner d’autres entités, par exemple le service central du renseignement territorial (SCRT, ex-RG).
Ce nouveau groupe de suivi des sortants de prison sera piloté par l’Unité de coordination de la lutte antiterroriste (Uclat). Un service d’analyse spécialisé du ministère de l’intérieur, qui avait un peu perdu de sa vigueur ces dernières années, mais à la tête duquel a été nommé un nouveau chef, en février, Amin Boutaghane. Ses décisions seront relayées en région dans le cadre des groupes d’évaluation départementaux (GED), déjà chargés aujourd’hui de réunir très régulièrement police, justice, services de renseignement, éducation nationale et acteurs sociaux pour gérer au mieux les cas d’individus radicalisés.
Ce « contrôle qualité » des sortants de prison est directement inspiré de la « méthodologie » de l’état-major opérationnel de prévention du terrorisme (Emopt), confirme-t-on dans l’entourage du ministre de l’intérieur. Cette structure a été créée en juin 2015, du temps de Bernard Cazeneuve, pour attribuer le « suivi » des individus radicalisés inscrits dans le Fichier des signalements pour la prévention et la radicalisation à caractère terroriste (FSPRT). Après des mois de tergiversations sur son sort, c’est d’ailleurs l’Uclat qui absorbe finalement l’Emopt. Selon nos informations, cette fusion est effective officiellement depuis lundi.
Eviter toute rupture de suivi
La création de l’« unité de coordination » des sortants de prison ne se fait pas ex nihilo. Elle fait suite à la mise en place, depuis février, de nouvelles modalités d’échanges d’informations entre le renseignement pénitentiaire et les autres services (DGSI, SCRT, etc.). Le but est d’anticiper chaque libération, d’éviter toute rupture de suivi et de partager les éléments utiles comme les changements d’adresse. « Quand les conditions le permettent, des mesures d’expulsion sont prises avant la sortie de détention à l’encontre des ressortissants étrangers », ajoute-t-on place Beauvau. Les personnes visées par de telles dispositions tentent souvent des recours devant la Cour européenne des droits de l’homme, mais leur succès est devenu aléatoire car l’administration s’organise de plus en plus pour les empêcher d’aboutir.
Dans tous les cas, ce suivi des sortants de prison se veut « au long cours ». Les informations à la disposition des services spécialisés dans la lutte antiterroriste montrent toutes que le « désengagement » de la radicalisation des hommes, femmes ou mineurs passés par la zone irako-syrienne notamment, est très compliqué.
Ces derniers mois, le renseignement pénitentiaire s’est en particulier inquiété de la multiplication des velléités de mariage en prison entre condamnés pour terrorisme ou prévenus fichés pour radicalisation. Des « mariages » souvent religieux, à distance, par l’intermédiaire des réseaux sociaux, mais qui maintiennent vivaces les réseaux affinitaires. L’état des prisons françaises et leur surpopulation sont en outre unanimement déplorés par les spécialistes de tous bords.