Tsahal : réservistes au bord de la rupture ?

0
26

À l’approche d’une nouvelle phase des opérations à Gaza, une partie des réservistes israéliens exprime un profond malaise. Alors que l’état-major prépare « Gideon’s Chariots II », de nombreux soldats rappelés pour la quatrième, parfois la cinquième fois en moins de deux ans, décrivent un cocktail de fatigue accumulée, d’inégalités criantes et d’érosion de la confiance envers les décideurs politiques.

Selon le plan présenté par le chef d’état-major Eyal Zamir au ministre de la Défense Israël Katz, l’armée s’apprête à lancer la plus vaste mobilisation depuis le 7 octobre : environ 60.000 réservistes sont déjà sur le pont et 20 000 autres voient leur service prolongé. Avec les rotations, le contingent total pourrait dépasser les 100 000 personnes, dont beaucoup ont déjà passé des mois en mission. Sur les canaux de communication internes, les commandants préviennent : il faut se préparer mentalement à plusieurs semaines supplémentaires, parfois jusqu’à quatre mois cumulés.

Le schéma opérationnel annoncé est en deux temps. D’abord, l’évacuation vers la zone d’Al-Mawasi de 800 000 à 1 million de civils gazaouis, afin de les soustraire aux combats et de canaliser l’aide. Ensuite, l’encerclement puis l’entrée dans la ville de Gaza, avec l’objectif affiché de démanteler ce qui est présenté comme la dernière structure organisée du Hamas dans l’enclave.

Ce resserrement militaire s’accompagne d’un débat intérieur aigu. Pour Frères et Sœurs d’Armes — mouvement issu des mobilisations de 2023 —,l’opération n’a plus de justification politique. Son porte-voix, le lieutenant-colonel de réserve Oren Shvil, estime que le gouvernement n’a pas l’assise nécessaire pour exiger des réservistes un tel effort prolongé et juge que la priorité devrait être la libération des otages. Il met aussi en cause l’asymétrie de l’effort national : environ 80 000 orthodoxes échappent au service, selon lui, alors que les mêmes bataillons sont rappelés à répétition. Même malaise devant l’ampleur des évacuations civiles : la manœuvre humanitaire, nécessaire dans son principe, suscite des interrogations sur sa mise en œuvre et ses conséquences.

Une autre organisation, les Miluimnikim (Réservistes), fondée après le 7 octobre par l’ancien ministre Yoaz Hendel et des officiers supérieurs, met moins l’accent sur le « mandat » politique que sur le coût humain du dispositif actuel. Le major Yoav Adomi, commandant adjoint d’un bataillon d’infanterie de la 5e division, de retour de trois mois à Gaza, décrit un phénomène de « décrue d’alerte » : un combattant à sa quatrième mission n’a plus la même acuité qu’à sa première. Après cent jours de réserve, ajoute-t-il, on perd en vigilance — et ce déficit se paie en vies humaines.

À cette fatigue s’ajoute, pour beaucoup, l’incertitude chronique. Impossible de promettre à son conjoint une date de retour, difficile de rassurer un employeur : « Le manque de clarté est l’ennemi numéro un », résume Adomi. Son point d’alerte porte aussi sur la phase d’évacuation : sans contrôles individuels rigoureux, des combattants du Hamas risquent de se mêler aux flux civils, de profiter de l’aide puis de reconstituer des noyaux de guérilla, prolongeant la confrontation.

Malgré leurs désaccords de fond — Shvil juge la guerre politiquement perdue, Adomi la considère mal conduite mais encore nécessaire à condition de fixer des objectifs nets —l es deux ensembles convergent sur un diagnostic : la charge de la défense pèse de manière disproportionnée sur une fraction restreinte de la société israélienne. Tous deux invoquent les mêmes chiffres de non-mobilisation dans les milieux orthodoxes et les mêmes symptômes — épuisement, imprévisibilité, confiance écornée.

Ils prennent soin toutefois de distinguer leurs critiques politiques de l’appréciation professionnelle de l’armée. Tsahal est décrite comme préparée et compétente ; les réservistes restent déterminés à remplir leur mission. Le grief vise le niveau politique : la gestion de la guerre, la lisibilité des buts, et la permanence aux postes de décision de responsables associés aux défaillances du 7 octobre alimentent une crise de légitimité pour une partie de l’opinion.

Alors qu’Israël se prépare à engager « Gideon’s Chariots II », trois lignes de force se dessinent. L’institution militaire affiche sa disponibilité opérationnelle. Le gouvernement promet de transformer durablement la réalité sécuritaire autour de Gaza. Et sur la ligne de front intérieure, des dizaines de milliers de citoyens-soldats interrogent le sens, l’équité et la stratégie. C’est là que se jouera peut-être l’enjeu décisif : restaurer des objectifs clairs, une répartition plus juste de l’effort et une confiance robuste entre dirigeants, armée et société.

Jforum.fr

Aucun commentaire

Laisser un commentaire