Quelle est la position d’Israël face à la crise catalane ? Et comment se portent les relations entre Jérusalem et Madrid alors que le président israélien Reouven Rivlin est en visite officielle en Espagne ? Pour le savoir, Actualité Juive a rencontré Yigal Palmor, actuel directeur de la communication de l’Agence Juive, qui fut chargé de la presse et de la communication à l’Ambassade d’Israël à Madrid de 1990 à 1994.
Actualité Juive : Pourquoi Israël reste-t-il sur sa réserve à propos de la crise catalane ?
Ygal Palmor : Israël ne peut reconnaître l’indépendance unilatérale de la Catalogne pas plus que celle du Kosovo, car cela ouvrirait la voie à la reconnaissance de la déclaration unilatérale d’indépendance de la Palestine, ce qui est hors de question pour Jérusalem. Et Israël ne peut pas déclarer non plus publiquement son soutien à la position de Madrid car c’est Madrid elle-même qui insiste sur le fait que ce problème est une question interne et non internationale. D’où la nécessité de ne pas s’immiscer dans les affaires internes d’un pays, auquel on insinue au passage qu’il ferait bien d’adopter la même attitude à l’égard des affaires internes d’Israël.
Ceci dit, cette réserve va quand même un peu dans le sens des positions souhaitées par Madrid, puisqu’il est fait appel à un « consensus national », visant clairement une solution dans le cadre de l’État espagnol. Israël ne peut pas, évidemment, se permettre une position totalement contradictoire à celle des Etats-Unis et de l’Union Européenne.
A.J.: D’aucuns comparent le dossier nationaliste catalan avec le problème palestinien ?
Y.P.: Il faut se garder de toute comparaison. D’un côté, les Catalans sont tous citoyens espagnols, alors que les Palestiniens de Judée-Samarie et Gaza ne sont pas citoyens d’Israël. D’un autre côté, les Catalans souhaitent l’indépendance de leur territoire sans revendiquer Madrid ou le reste de l’Espagne, alors que les revendications territoriales des Palestiniens comprennent Jérusalem, voire le reste d’Israël. Il s’agit donc de deux problèmes totalement distincts que rien ne rapproche. Les Israéliens éprouvent par ailleurs une sympathie historique pour la cause catalane, depuis que les volontaires du Yichouv sont partis combattre aux côtés des Républicains lors de la guerre civile espagnole, entre 1936 et 1939, et jusqu’à l’identification avec les efforts parfois clandestins de préserver l’usage de la langue et des coutumes, persécutés et opprimés par le dictateur Franco.
A.J.: Bien qu’il s’agisse d’une affaire interne, Madrid appelle cependant à un consensus international – incluant Israël – contre l’indépendance de la Catalogne. Pourquoi?
Y.P.: Simplement parce que l’Espagne sent bien la secousse sismique que crée la déclaration d’indépendance catalane, et souhaite s’appuyer sur tout soutien possible pour stabiliser la situation. Observent minutieusement la Catalogne, les Ecossais et les Flamands, la Lega Nord et les Iles Féroé, l’Irlande du Nord, l’Istrie, la Moravie et d’autres, rien qu’en Europe. L’Espagne joue, à juste titre, sur les craintes de ruptures ethnico-nationales un peu partout pour souder le soutien international au constitutionalisme de Madrid et signifier aux séparatistes catalans qu’ils sont totalement isolés, eux qui pourtant croyaient s’intégrer vite dans l’Union Européenne et les instances internationales.
A.J.: Quelle est la position de la communauté juive espagnole ?
Y.P.: Elle est divisée. Au principe classique de « deux Juifs, trois opinions », s’ajoute l’intégration dans la société locale : la communauté de Madrid, et avec elle la Fédération de Communautés qui siège à Madrid, exprime son soutien indéfectible à l’unité du pays selon la loi et la constitution, et s’aligne sans ambages sur la politique du gouvernement Rajoy. En revanche à Barcelone on entend des voix divergentes, certaines en soutien de l’indépendance, d’autres pas. La position des membres de la communauté n’est pas redevable à l’identité juive mais uniquement au positionnement de chacun dans la société, la politique et la géographie de l’Espagne.
A.J.: Reouven Rivlin est en Espagne pour célébrer les trente ans de l’établissement des relations diplomatiques israélo-espagnoles et le centenaire du retour des juifs espagnols expulsés en 1492. Comment se portent les relations entre les deux pays ?
Y.P.: Il faut d’abord préciser que malgré les communiqués officiels, aucun événement relatif au retour des Juifs en Espagne ne s’est déroulé il y a cent ans. Il est difficile de comprendre cette formule protocolaire cherchant à rehausser le symbolisme de la visite mais ne reposant sur aucun fait historique. C’est au début du 20e siècle que, suite à une campagne d’un influent intellectuel, Angel Pulido, quelques Juifs d’Orient sont admis en Espagne, alors que commence à être reconnu l’héritage sépharade. En 1910, le roi Alfonso 13 prend sous sa tutelle l’association Union Hébraico-Hispanique, qui établit des écoles en Afrique du Nord et dans les Balkans pour des enfants sépharades. Au cours de la première Guerre mondiale, des centaines de Juifs qui fuient les ravages de la guerre se réfugient en Espagne et y jettent les bases des premières communautés après l’expulsion de 1492.
A.J.: Quid de l’histoire contemporaine ?
Y.P.: L’Espagne n’a accepté de nouer des liens diplomatiques avec Israël qu’en 1986. Les préjugés anciens sont toujours vivants, même si l’influence européenne a mené à une prise de conscience sociétale et politique du phénomène antisémite jadis ignoré et nié. Les Israéliens, eux, se souviennent de l’Inquisition et de la Guerre Civile. La découverte réciproque se fait peu à peu par football interposé. Les relations économiques restent relativement modestes. Et la Catalogne brille, sur ce fond de toile, par son ouverture vers Israël, due à l’admiration envers le peuple qui a su faire renaître sa langue et sa culture, et une meilleure connaissance de l’histoire juive, et notamment de la Shoah, grâce à ses liens plus profonds avec la France et l’Europe. Aujourd’hui, les échanges économiques totalisent 2,5 milliards de dollars et sont très loin d’exploiter le potentiel. Côté politique, l’Espagne est un pays avec lequel Israël entretient des relations diplomatiques somme toute assez bonnes malgré les désaccords politiques sur le dossier palestinien. Les positions des gouvernements espagnols successifs sur des questions qui nous tiennent à cœur sont souvent dures et reflètent soit une incompréhension des arguments israéliens soit un repli sur la moyenne européenne généralement revue vers le bas. Les votes espagnols dans les forums internationaux ne brillent pas par leur originalité, et l’Espagne adopte souvent un point de vue assez critique, ce qui n’empêche pas par ailleurs la coopération à plusieurs niveaux.
Source www.actuj.com