Alain Finkielkraut se confie sur l’avenir de la France et des Juifs de France

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Pour l’écrivain juif français, les Juifs sont dans une situation très difficile qu’il impute à l’échec des gouvernements successifs à intégrer les vagues d’immigration musulmane

PARIS — Si les Juifs de France ont eu une relation complexe – et parfois douloureuse – avec leur pays au cours des siècles, ils se trouvent maintenant confrontés à une nouvelle réalité particulièrement difficile, selon l’intellectuel et écrivain juif Alain Finkielkraut.
« Je suis très préoccupé – autant pour les Juifs français que pour l’avenir de la France, a-t-il déclaré au cours d’une interview qu’il a récemment accordée au Times of Israël (en anglais) dans son appartement parisien. L’antisémitisme auquel nous faisons actuellement face en France est le pire que j’ai connu tout au long de mon existence, et je suis convaincu que la situation va s’aggraver ».
Il ne se laisse pas facilement aller au rire, et certainement pas quand il expose sa vision pessimiste de la France. Avec ses cheveux légèrement ébouriffés et ses lunettes rondes, il marque souvent des pauses afin de rassembler ses pensées, pesant soigneusement ses mots avant de répondre.
Né à Paris de survivants de la Shoah originaires de Pologne, Finkielkraut insiste que le fait qu’il n’est pas un alarmiste, mais plutôt un réaliste qui n’a pas peur de nommer la réalité, quitte à s’écarter parfois du politiquement correct.
A entendre Finkielkraut, la France est condamnée si elle continue sur sa voie actuelle. Selon lui, la faute principale revient à une politique d’immigration qui a contribué au déclin de l’éducation publique et à une population musulmane mal intégrée qui constitue une menace pour la culture et la société françaises.
Auteur prolifique, Finkielkraut est très présent dans l’espace médiatique français où il dispose de deux émissions de radio hebdomadaires (dont une qui est diffusée depuis 1985). Il apparaît souvent dans les talk-show télévisuels, des journaux et des magazines.

L’intellectuel français controversé Alain Finkielkraut. (Crédit : christophe Abrahamovitz/Radio France)
Finkielkraut n’est pas homme à mâcher ses mots. Ses opinions tranchées sur des sujets polémiques laissent peu de gens indifférents, ce qui lui vaut autant de mépris que de soutien.
La stature de Finkielkraut en France est telle que le New York Times l’a décrit dans un article qu’il lui a consacré en 2016 :
« C’est l’intellectuel qu’une bonne partie de la gauche française aime détester, l’écrivain dont l’apparence débraillée a marqué de nombreuses couvertures de magazines, l’essayiste studieux qui s’est transformé en star médiatique omniprésente et l’épouvantail de tous les militants d’un multiculturalisme indolore. La seule présence d’Alain Finkielkraut dans un studio de télévision suffit à faire monter la température avant de voir fuser les accusations de racisme ».
Et ce n’est que le premier paragraphe.
Fidèle à sa réputation, il a continué à faire grincer des dents dans les deux années qui ont suivi la parution de cet article. Ses commentaires sont souvent tranchants, tout particulièrement en ce qui concerne la situation difficile de ses 500 000 compatriotes juifs. Parmi les sujets qui le préoccupent, on retrouve ce que certains ont appelé l’ « alyah interne ».
« A cause de l’hostilité croissante dont les Juifs font l’objet, tout particulièrement dans certaines banlieues de Paris, beaucoup ressentent le besoin de partir de l’endroit où ils ont vécu pendant longtemps », a déclaré Finkielkraut, en référence au malaise causé par un antisémitisme violent dans des zones avec une forte présence d’immigrés.
« Au cours des dernières années, des dizaines de milliers des Juifs ont déménagé, certains en Israël, et la plupart vers des quartiers où ils se sentent plus en sécurité. Une telle situation aurait été inimaginable il y a 20 ans. C’est sans précédent en France, et le plus terrible, c’est que cela va continuer », a-t-il dit.
Pour Finkielkraut, l’origine de ce malaise est claire.
« C’est un phénomène terrible lié à l’immigration, lâche-t-il. Et plus l’immigration augmente, plus on observe une montée de cet antisémitisme. Une partie importante de la gauche refuse non seulement de le reconnaître, mais ils nous expliquent que les immigrants sont les nouveaux juifs, qu’il est important de savoir les accueillir comme le pays aurait dû le faire pour les Juifs pendant la Deuxième Guerre mondiale ».
« Il est fou de penser que la situation va s’aggraver avec la complicité de gens qui affirment avoir appris les leçons de la Shoah. Nous sommes à un moment absolument critique », affirme Finkielkraut.

Un émeutier jette des pierres sur la police à Sarcelles, près de la synagogue de la ville, pendant une manifestation anti-Israël pendant l’opération Bordure protectrice, le 20 juillet 2014. (Crédit : AFP/Pierre Andrieu)
L’antisémitisme a montré toute son horreur.
Au printemps, après le meurtre antisémite de Mireille Knoll, une survivante de la Shoah à Paris – le 11ème meurtre clairement antisémite commis en France, principalement par des islamistes radicaux, depuis 2006 – Finkielkraut était l’une des 300 personnalités juives et non-juives à signer un manifeste dénonçant ce que l’on a appelé le « nouvel antisémitisme marqué par la radicalisation islamique ».
« L’antisémitisme n’est pas l’affaire des Juifs, c’est l’affaire de tout le monde, déclarait le manifeste. La France est devenue le théâtre d’un antisémitisme meurtrier ».
Les signataires ont condamné ce qu’ils ont qualifié de « nettoyage ethnique silencieux » des Juifs, particulièrement dans les quartiers multi-raciaux de la classe ouvrière. Le manifeste accusait aussi les médias de passer cette question sous silence.

Une photo de Mireille Knoll et des fleurs sont placées sur la clôture entourant son immeuble à Paris, le 28 mars 2018 (Crédit : François Guillot / AFP)
Le texte très fort se finissait par un appel à l’action : « Nous demandons que le combat contre la faiblesse démocratique qu’est l’antisémitisme devienne une cause nationale avant qu’il ne soit trop tard. Avant que la France ne soit plus la France ».
Quelques jours plus tard, Finkielkraut a déclaré à Libération, qu’en tant que personnalité juive, il ne se sentirait plus jamais en sécurité dans le quartier de Paris où il avait grandi avec ses parents sur la rive droite entre la Place de la République et la Gare de Nord. Il a rapporté qu’à plusieurs reprises ces dernières années, alors qu’il se promenait dans la zone, des gens lui ont fait une « quenelle » antisémite, un salut nazi inversé popularisé par le polémiste Dieudonné, ou l’ont insulté verbalement.
Finkielkraut a passé toute sa vie à Paris, sauf pendant les deux années où il a enseigné à l’université californienne de Berkeley dans les années 1970. Aujourd’hui, il vit avec celle qui partage sa vie depuis 33 ans, l’avocate Sylvie Topaloff (ils ont un fils de 30 ans). Ils habitent dans une rue tranquille de la rive gauche, non loin du Jardin du Luxembourg. Leur appartement se situe au dernier étage d’un immeuble à six étages construit en 1907.
Ancien professeur de philosophie à l’Ecole Polytechnique, Finkielkraut a écrit ou co-écrit près de 30 livres depuis sa première publication en 1977. Ils traitent divers sujets liés aux événements actuels et à la vie moderne, y compris le futur de la civilisation occidentale, la révolution sexuelle, l’éducation publique, le multiculturalisme, le racisme, l’antisémitisme, l’identité personnelle et la guerre dans l’ex-Yougoslavie.
Quand il a publié Le Juif imaginaire en 1980, il ne pensait pas qu’il écrirait encore beaucoup sur des sujets juifs. Pourtant, les changements qui se sont produits dans la société française l’ont conduit à consacrer au moins un tiers de ses livres à des sujets liés aux Juifs. Son prochain livre, qu’il termine maintenant, aura une importante dimension autobiographique.
Dans sa jeunesse, pendant les années 1950 et 1960, Finkielkraut a dit avoir été relativement peu confronté à l’antisémitisme.
« Quand j’étais jeune, je m’attendais à rencontrer des antisémites, mais cela s’est rarement produit, a expliqué Finkielkraut. Bien sûr, il a pu arriver quelques fois que l’on me traite de ‘sale juif’, mais ce n’était rien, vraiment. J’ai donc grandi en pensant que l’antisémitisme était globalement quelque chose appartenant au passé ».

Un policier montant la garde le 21 janvier 2015 devant le magasin HyperCacher à Paris où quatre Juifs ont été assassinés par Amédy Coulibaly, le 9 janvier 2015. (Crédit : Eric Feferberg/AFP)
« Tout a commencé à changer il y a environ 15 ans. Depuis lors, il y a eu une résurgence de l’antisémitisme en France. Mais ce n’était pas les anciens démons antisémites [des nationalistes français de droite] qui sont soudainement réapparus », a-t-il noté.
Raciste ou réaliste ?
Même s’il s’efforce d’éviter les généralisations trompeuses, ceux qui le critiquent l’accusent d’être un raciste.
« Evidemment, il serait absurde de faire croire que tous les immigrés sont antisémites, a-t-il souligné. La majorité ne l’est peut-être pas. Mais la plupart des antisémites aujourd’hui en France viennent d’Algérie, d’Afrique du nord, d’Afrique sub-saharienne et du Moyen-Orient. C’est la raison pour laquelle on ne lutte pas vraiment contre l’antisémitisme ».
Si, jadis, il a été un partisan des causes de la gauche et il a pris part au soulèvement étudiant de mai 1968, il a depuis bien longtemps perdu ses illusions vis-à-vis de ceux qui affirment être des progressistes.
« Je suis très inquiet de l’abandon des Juifs par une partie importante des intellectuels, a déclaré Finkielkraut. Ils ont choisi leur camp, à savoir les Palestiniens contre les Israéliens, et en France, les Musulmans contre les Juifs. Dans l’esprit de beaucoup de ces gens, les Musulmans sont les premières victimes, le plus stigmatisées, ce sont les nouveaux Juifs. C’est l’une des choses les plus dures à vivre actuellement ».
Finkielkraut ne pense cependant pas que le danger soit limité aux Juifs. Il déplore le rejet des valeurs françaises par de nombreux immigrants, tout particulièrement musulmans. Estimés à 6 millions, ils constituent la plus importante communauté musulmane en Europe.
« La France est soumise à deux menaces simultanées différentes mais liées entre elles. Et elles se développent toutes les deux, a-t-il affirmé. L’une est la judéophobie et l’autre est la francophobie. Devant ce danger, les Juifs et les autres citoyens français sont dans le même bateau ».

Des victimes emmenées d’urgence pour être soignées suite à l’attentat contre Charlie Hebdo (Crédit : AFP)
Il fait ici référence à l’hostilité de nombreux immigrés musulmans envers les Juifs et la civilisation française dans leur nouveau pays. Selon Finkielkraut, dans certains quartiers avec une forte population immigrée, les citoyens français sont souvent la cible d’insultes et ont souvent l’impression d’être des étrangers dans leur propre pays.
Israël comme plan B
Si les choses se détériorent davantage, il a expliqué que les Juifs ont un avantage que les autres n’ont pas – ils peuvent toujours partir en Israël. Il doit d’ailleurs beaucoup de ses critiques à son soutien de longue date pour l’état juif qu’il a visité environ une vingtaine de fois.
« Je me sens toujours heureux et enthousiaste d’être là-bas, a déclaré Finkielkraut. Malheureusement, je ne connais que Jérusalem et Tel Aviv. Je voudrais vraiment voir d’autres parties du pays et rencontrer des gens dans des endroits différents, tout particulièrement dans le Négev, la Galilée et à Haïfa ».
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