Bastion Social, le mouvement néofasciste qui s’implante en France

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À Paris, c’est une attaque du Lycée autogéré qui a été revendiquée par le GUD. Suite aux violences perpétrées à son université de droit, Montpellier a connu des tensions entre manifestants antifascistes et radicaux de la Ligue du Midi. À Lille, plusieurs étudiants ont été agressés lundi 26 mars près de la faculté de droit de Lille 2 par des membres d’un groupe d’extrême droite local.

À Marseille également le climat a été lourd, en raison de l’ouverture du local du Bastion Social. Nouveau né de la scène de l’extrême droite radicale, ce mouvement, partiellement issu du GUD dont il semblerait que le nom soit donc dorénavant réservé aux actions coup-de-poing, est celui qui commence à retenir l’attention.

Les racines du Bastion Social

Le Bastion Social est un mouvement en expansion lancé par les gudards, où se sont aussi fondus les membres d’Edelweiss-Savoie (fondé en 2013 après la dissolution des Jeunesses Nationalistes par l’État), et qui s’inspire largement du succès de CasaPound en Italie.

L’expérience du Bastion Social tombe à point, tant la concomitance d’un gouvernement ouvertement euro-libéral avec la crise de confiance dans le Front national constitue une occasion en or pour un mouvement néofasciste de s’offrir un repositionnement. L’imitation des «fascistes du troisième millénaire» de CasaPound n’a pas commencé en 2018. Avant le Bastion Social, il y a eu le Mouvement d’Action Sociale (MAS). On ne peut pas dire que le premier soit le simple rejeton du second. Cependant, comprendre pourquoi et comment agissent ces militants qui font aujourd’hui parler d’eux demande de se pencher quelque peu sur l’expérience du MAS, qui fut ô combien plus discrète.

Le MAS apparaît en 2002, avec des militants orphelins de leur organisation dissoute par l’État, Unité Radicale (UR), suite à l’attentat manqué contre Jacques Chirac. Ils ont d’abord rejoint les Jeunesses Identitaires, fondées par l’équipe dirigeante d’UR après la dissolution. Mais les cadres ne souhaitaient pas continuer sur la lancée idéologique et les modalités d’agitation et propagande des années précédentes.

Comme CasaPound, le groupe se réfère au philosophe italien Julius Evola, théoricien majeur de l’extrême droite radicale, à la fois dans sa conception d’une vision païenne du monde et dans celle d’une unité continentale fédérant des communautés ethniques.

Ils ont préféré mettre à profit l’interdiction de leur ancien mouvement pour provoquer une révolution culturelle dans leur mouvance. Comme tout reboot, celui-ci provoque des déceptions: l’abandon de l’anticapitalisme, de l’antisionisme, du totalitarisme et des références aux fascismes mènent certains militants à rompre avec les Identitaires et à édifier leur propre mouvement.

Ces sécessionnistes créent d’abord le groupuscule Pro Patria, auto-dissous en 2009, qui s’inspirait des Nationalistes Autonomes allemands –eux-mêmes ayant rompu avec le fantasme de constituer des partis-milices, selon la forme classique du fascisme, pour s’identifier à la structuration de l’ultra-gauche– par groupes affinitaires, avec des réseaux fluides d’individus qui s’interconnectent lors des actions.

Pro Patria se transforme vite en MAS (2010) et noue des liens, en particulier avec le Groupe Union défense (GUD), Terre et Peuple (mouvement «völkisch» qui défend un nationalisme du sol et du sang, et qui entretient à dessein un certain nombre d’ambiguïtés avec le nazisme) et les Belges post-rexistes de Nation. Le MAS se révèle déjà très inspiré par les Italiens de CasaPound. Ses militants animent d’ailleurs une émission –«Méridien Zéro»– sur la web-radio internationale de CasaPound, Radio Bandiera Nera. «Méridien Zéro» a continué malgré l’incendie du studio-local du MAS en 2014 et même après la disparition du mouvement en 2016.

Comme CasaPound, le groupe se réfère également au philosophe italien Julius Evola, théoricien majeur de l’extrême droite radicale, à la fois dans sa conception d’une vision païenne du monde et dans celle d’une unité continentale fédérant des communautés ethniques. Ses membres n’animent pas de revue propre mais se réfèrent à Rébellion, un magazine national-bolchevique toulousain à la dimension sociale marquée, à Réfléchir et agir, un magazine völkisch, et sont liés à Zentropa, blog esthétique d’extrême droite radicale qui cherche à produire une culture graphique. Forger un type de visuel spécifique à une vision politique, afin de mieux véhiculer cette dernière: c’était là ce que le futurisme avait réussi au bénéfice du fascisme il y a un siècle.

Agir local, penser global

Stratégiquement, la volonté du MAS d’investir la contre-culture et l’ultra-gauche est nette et n’est pas sans évoquer la galaxie dite «socialiste-européenne» qui, après Mai-68, voulait lier ensemble mouvances anarchiste et néonazie. On peut aisément en relever divers exemples.

En 2011, les militants du MAS firent des collages sur les banques parisiennes dénonçant «les banksters». Cette même année, ils sont présents dans la tentative française d’imitation du mouvement des Indignados espagnols. À partir de 2013, on les retrouve dans la multiplication des «Zones à défendre» (ZAD). Ces tentatives de participer aux mouvements d’ultra-gauche sont dénoncées comme des «infiltrations fascistes» par les intéressés –et les militants du MAS ont été physiquement sortis à diverses reprises des ZAD dans lesquelles ils s’étaient invités. Il y a cependant de la part de ces militants nationalistes-révolutionnaires une vraie logique idéologique, leur utopie étant bien celle de créer des communautés locales enracinées et fédérées dans un grand espace européen.

Le refus du MAS de verser dans l’islamophobie pour en rester à une conception ethnique des rapports intercommunautaires, affirmant que l’islam n’est qu’un moyen du capitalisme international pour détruire la conscience ethno-culturelle européenne, est clairement contraire à l’évolution générale des extrêmes droites françaises.

Sur le plan géopolitique, ils constituent toutefois un cas assez rare dans l’actuel nationalisme français en récusant un point de vue pro-russe, contrairement à une tendance de fond de l’extrême droite française et européenne, et en rejetant nettement les conceptions néo-eurasistes. Pour eux, la Russie de Vladimir Poutine n’est qu’un autre dispositif du capitalisme mondialisé. Cette position n’est toutefois pas hégémonique dans leur espace, puisque le journal national-bolchevique Rébellion a pris position pour le rattachement de la Crimée à la Russie. Les gudards lyonnais que l’on retrouve au Bastion Social ont eux, dès le début de la crise ukrainienne, violemment critiqué la Russie, et ont participé en avril 2017 à la conférence «Paneuropa» à Kiev du Réseau Reconquista (à l’esthétique franchement nazifiante), pour qui l’Europe n’est pas à dimension eurasiatique, mais comprise entre les mers de l’Adriatique, de la Baltique et la Mer noire –ce qui renvoie à un vieux projet polonais remis au goût du jour depuis peu, mais dont le principe revient à définir une Europe dont la Russie serait externalisée.

De même, le refus du MAS de verser dans l’islamophobie pour en rester à une conception ethnique des rapports intercommunautaires, affirmant que l’islam n’est qu’un moyen du capitalisme international pour détruire la conscience ethno-culturelle européenne, est clairement contraire à l’évolution générale des extrêmes droites françaises.

Le groupuscule était arrivé à essaimer sur le territoire de l’Auvergne à Nantes, mais connaissait manifestement un turn-over permanent. Il a tenté de le compenser en produisant diverses structures périphériques et en s’auto-définissant comme un réseau: association d’aide aux sans domicile fixe (peu active), groupes de randonnées, ciné-clubs, structures d’aide humanitaire en Grèce, etc. En somme, ici, l’action sociale n’était nullement disjointe du combat culturel: on est bien plus proche de CasaPound que des bavardages du combat culturel à la française.

La recherche d’un espace

La volonté de construire une ligne «néo-nazie de gauche» a toujours laissé à la plus extrême marge les groupuscules français. Elle a été tentée par de nombreux groupes éphémères dans les années 1968-1978. Toutes les apparitions, de Pro Patria puis du MAS, n’ont jamais rassemblé qu’une quinzaine de personnes. Par ailleurs, le décalque des innovations du nationalisme allemand et italien est toujours compliqué en France, pour des raisons de différence sociologique du milieu militant comme des diversités de réception des sociétés nationales.

Pour que le groupe puisse faire corps, il lui faut des ennemis identifiés, le sentiment qu’un moment se joue.

Néanmoins, force est de constater que la marque Bastion Social paraît séduire, même si ces percées sont pour l’instant concentrées sur des zones assez classiques d’implantation des radicaux. Pourquoi cela semble-t-il prendre, alors qu’une expérience proche comme celle du MAS n’attira pas l’attention? Peut-être est-ce d’abord un effet d’ambiance: le Front national ennuie actuellement. Sans doute est-ce également lié à l’angle pragmatique localiste du Bastion Social: si le politique ne change rien, alors agir ici et maintenant ne serait plus le signe vain des agissements groupusculaires mais une façon de «réenchanter le monde».

Des membres de Bastion Social, le 24 mars 2018, à Marseille. | Bertrand Langlois / AFP.

En proclamant que ses valeurs sont «autonomie-identité-justice sociale», le Bastion Social n’invente certes rien –le slogan lui-même n’étant pas sans rappeler celui d’un mouvement du début des années 1990. Mais à cette date, les néofascistes n’avaient pas face à eux un FN en doute, une Europe en crise, un terrorisme islamiste en force, une ultra-gauche vivante. Car pour que le groupe puisse faire corps, il lui faut des ennemis identifiés, le sentiment qu’un moment se joue. Si les reboots peuvent décevoir, les crossovers aimantent le public…

En cela, les agitations actuelles sont, pour l’instant, moins tributaires de la technique des militants que du climat produit par la déliquescence de l’espace public et les assauts de démagogie consécutifs à chaque attentat.

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