Montpellier: huit siècles de présence juive

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En ce 70e anniversaire du débarquement en Normandie des troupes alliées, faisons un peu d’histoire et remontons le temps. Un livre important nous arrive sous la signature de Michaël Iancu, directeur de l’Institut universitaire euro-méditerranéen Maïmonide de Montpellier, qui a été maître de conférence à l’université Babes-Bolyai de Cluj en Roumanie de 2006 à 2012.

Depuis la création en 2000 de l’Institut universitaire par le grand-rabbin Sirat et Georges Frêche, Michaël Iancu est l’âme de ce lieu et a déjà créé des rencontres impressionnantes dans la capitale de l’Hérault avec des personnalités comme Elie Wiesel, le cardinal Lustiger, Elie Barnavi, Daniel Mesguich, Emmanuel Leroy Ladurie, Leïla Sebbar, Mireille Hadas Lebel, Myriam Anissimov…

Ses travaux d’historien sur les juifs des terres d’oc font autorité. Aujourd’hui, son nouveau livre, Les Juifs de Montpellier et des terres d’oc (Cerf), page après page, nous restitue une multitude de personnages juifs qui écrivirent l’histoire de la communauté juive du Languedoc et au-delà, une page de l’histoire des juifs des rives de la Méditerranée.

L’histoire est ainsi faite et plus encore chez les Juifs malheureusement, que l’on met toujours en avant les hommes, et que peu de femmes apparaissent avant l’époque moderne et surtout contemporaine. C’est sur ces terres que la première traduction en hébreu du Guide des égarés de Maïmonide, écrit en arabe avec des caractères hébraïques, fut réalisée par Samuel ibn Tibbon, qui acheva son œuvre le 30 novembre 1204, voici plus de huit cents ans.

D’un chapitre à l’autre, Michaël Iancu dessine les hautes personnalités qui marquèrent cette histoire. Il nous fait voir la science de ces rabbins ou savants, de ces docteurs, qui passaient de l’arabe à l’hébreu, au latin, au grec, mais aussi de la science à la philosophie, au Talmud, à la Kabale ou à la médecine. Tous ces hommes et sans doute aussi ces femmes, dont l’histoire a trop rarement retenu les noms, furent inspirés par la connaissance, le dialogue entre les langues et les cultures à un point que l’on n’imagine pas toujours dans toute sa dimension. Ils naviguèrent de Lunel à Vauvert, de Béziers à Montpellier ou Perpignan, englobant aussi des zones géopolitiques beaucoup plus vastes élargie naturellement à l’Espagne, l’Italie, les pays du bassin arabo-musulman, mais également l’Angleterre et le saint Empire romain germanique.

On y découvre notamment l’existence de Jacob Anatoli (1194?-1285?), qui vécut une partie de sa vie à Naples, fut soutenu par l’empereur Frédéric II Hohenstaufen « qui lui payait une pension annuelle » pour traduire des ouvrages arabes en hébreu. « Jacob Anatoli a participé pleinement à l’ambiance philosophique et inter-confessionnelle qui régnait à la cour de l’empereur » (p.35). Une autre figure remarquable fut Jacob ibn Makhir ibn Tibbon, dit Profacius, qui traduisit et annota les Éléments d’Euclide.

L’historien nous rappelle aussi que Philippe Le Bel, à l’été 1306, choisit d’expulser les Juifs du royaume de France, mettant ainsi fin pour dix ans à leur présence en Languedoc, où ils furent rappelés en 1315 par Louis le Hutin, avant une nouvelle expulsion en 1322. Voyage dans l’espace, dans le temps et les cultures. Michaël Iancu analyse avec finesse et hauteur de vue cette épopée des Juifs à travers leurs figures les plus admirables.

C’est sur l’époque moderne que je voudrais revenir en particulier. Savons-nous que Adolphe-Isaac Crémieux (1796-1880), ce célèbre ministre de la justice en 1848 et 1870, que Lazare Bernard, plus célèbre sous son patronyme inversé Bernard Lazare (1865-1903), mort à trente-huit ans, furent de Montpellier? Jean-Denis Bredin, bien après Péguy, vit en lui le très grand défenseur de Dreyfus « comme Zola, autrement que Zola ».

Au moment de la guerre, le futur grand-rabbin Henri Schili (1906-1975) joua un rôle capital à l’époque de la guerre, organisant la vie juive avec l’afflux des Juifs alsaciens. Marc Bloch (1886, Lyon – 1944, Saint-Didier-de-Formans), médiéviste majeur, fondateur avec Lucien Fèvre des Annales, après sa radiation en octobre 1940 de l’Education Nationale, fut nommé, car « relevé de déchéance pour services exceptionnels rendus à la France », à la faculté des Lettres de Montpellier, le 15 juillet 1941, où il reçut un accueil « épouvantable ». Entré dans la Résistance très tôt, il écrivit: « Je suis juif. […] Je ne revendique jamais mon origine que dans un cas : en face d’un antisémite », avant d’ajouter: « Les coups qui m’auront atteint le plus profondément sont des balles non pas allemandes mais françaises ». Il tombera pourtant le 16 juin 1944 sous les balles de la Gestapo dans la forêt de Saint-Didier-de-Formans, après une semaine de séance de torture à la tristement célèbre École de Santé de Lyon.

Puis Michael Iancu en des pages magnifiques rend un hommage appuyé aux justes des nations qui sauvèrent la vie de dizaines de femmes, d’hommes et d’enfants pourchassés par la milice puis la Gestapo. Au nombre de ce justes citons le nom de Camille Ernst, Secrétaire général de la préfecture de l’Hérault, qui « avertissait régulièrement les Juifs quand les arrestations étaient prévues à Montpellier et dans sa région » (159).

C’est une belle, parfois terrible, mais toujours fière histoire que les Juifs vécurent en Languedoc et à Montpellier et l’Institut Maïmonide veut être fidèle à cette noble tradition intellectuelle vieille de huit cents ans.

Source www.huffingtonpost.fr

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