Drogue et tabac dans la Halakha

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Pris d'une campagne locale contre le tabagisme : on voit une boite de cigarette présentée comme un ner nechama...

Le monde moderne se préoccupe de plus en plus de la santé et multiplie les mises en garde face à de nombreux dangers (liés au tabagisme, à la drogue, à l’alimentation, à l’environnement…).

Tentons de faire le point sur l’obligation que nous avons de prendre soin de nous-mêmes, tout en sachant que dans ce domaine les sensibilités personnelles occupent une grande place, et que nombre de ces nouvelles questions ne sont pas toujours traitées par la Halakha et les rabbanim, du moins pour l’instant.

Quelle est la position de la Halakha au sujet du tabac et de la drogue, deux substances clairement nocives pour la santé et qui pourtant attirent de nombreuses personnes.

Les bases

Le Rambam, qui était médecin, est également l’auteur de la Yad ha’hazaqa, un ouvrage fondamental du judaïsme. Il n’hésite pas à y écrire :

« Puisque le fait de s’assurer que son corps est en bonne santé et sain s’inscrit dans la volonté de l’Eternel – il est impossible d’accéder à la connaissance des voies de D’ quand on est malade –, en conséquence il faut s’éloigner des éléments qui peuvent provoquer la déperdition du corps… » (Hilkh. Dé’oth 4,1).

Ailleurs, (Hilkh. Rotséa’h vechemirath hanéfech 11,5) il précise que la personne qui met sa santé en danger brave un interdit. Le tribunal rabbinique doit alors prononcer la peine de bastonnade.

Il est donc évident qu’on a l’obligation de prendre soin de sa personne. A plus forte raison devra-t-on fuir les conduites qui la mettent en danger. Le cas le plus courant est celui de l’usage du tabac, qui, aujourd’hui, d’après les médecins, nuit gravement à la santé.

 

Fumer1

Avant de parler des incidences que le fait de fumer peut avoir sur la personne elle-même, précisons d’abord qu’une personne qui fume chez elle, doit veiller à ce que la fumée ne dérange pas les autres membres de la maisonnée et les voisins. Si c’est le cas, la Halakha oblige le fumeur à s’éloigner, et éventuellement à ne fumer qu’à l’extérieur, si là il ne dérange plus personne (Igueroth Moché). Ainsi, on pourra interdire à un fumeur de  fumer dans un endroit public, comme une synagogue ou un magasin (Tsits Eliézer 15,39). A partir de là, les rabbanim ont interdit dans tous les cas de fumer dans une synagogue ou dans un Beth haMidrach, ainsi que le conclut rav Moché Feinstein dans une lettre publique.

 

La question de la permissivité du tabagisme a surgi il y a plusieurs siècles, à propos de la conduite à suivre durant Yom tov : a-t-on le droit de fumer en ce jour de fête, au même titre qu’on a le droit d’allumer le feu pour cuiresiner ou pour s’éclairer ? Fumer n’est-il pas un plaisir comme un autre ?

La Halakha exige que cet agrément soit agréable pour tous, et non pour certaines personnes seulement (cf. Magen Avraham 514,4). Mais certains grands auteurs se tournent vers un argument médical… permissif : comme le tabac favorise la digestion et ouvre l’appétit, il peut être autorisé à Yom tov (Pené Yehochoua’ Chabbath 39). Il est vrai que telle était l’idée que l’on avait à l’époque du tabac, ce produit miraculeux importé par Christophe Colomb, qui a guéri le fils de Catherine de Médicis, François II, de ses migraines… Peut-être que le tabac d’antan était moins dangereux que le tabac actuel qui est transformé chimiquement.

Toujours est-il que déjà au XVIIIe siècle, on avait compris que le tabagisme pouvait provoquer le cancer. A plus forte raison de nos jours, quand les incidences négatives sur la santé sont clairement connues, cette raison de permettre de fumer Yom tov perd toute crédibilité !

L’un dans l’autre, comment peut-on rendre légitime le fait de fumer de nos jours pendant les jours de fête ? Il ne fait aucun doute qu’il faut l’éviter (le rav Ovadia Yossef rapporte les deux avis dans le Yabia’ omer I,33,12, et il est connu dans la communauté orthodoxe que le Steipeler – lui-même grand fumeur – s’opposait à ce qu’on fume pendant le Yom tov).

De nos jours, le fait est que la consommation du tabac parmi les Juifs orthodoxes et ailleurs a très fortement diminué (voir annexe).

Déjà le ‘Hafets ‘Hayim écrivait (Likouté amarim 13) :

« Puisque nous en sommes arrivés à parler de la cigarette, arrêtons-nous un instant sur ce sujet. Les médecins disent que les gens faibles doivent éviter de s’habituer à cette pratique, car elle les affaiblit, et peut même les mettre en danger. J’ai souvent parlé avec de telles personnes de ce problème, et elles m’ont confirmé savoir que c’est bien le cas, mais comme elles sont devenues dépendantes, il leur est difficile de cesser. Je leur ai demandé : mais qui vous a permis de tomber dans cette addiction ? Il est vrai que nos Sages ont dit (B. Q. 92a) que la personne qui se fait du mal, bien que cela soit interdit, n’est pas obligée de payer des dommages et intérêts (car à qui les paierait-elle, à elle-même ?), mais en tout cas, ils ont bien précisé que c’était interdit ! D’abord, en s’appuyant sur le verset (Devarim/Deutéronome 4,15) : « Prenez donc bien garde à vous-mêmes ! » De plus, n’est-ce pas logique : la terre toute entière est à l’Eternel, Qui l’a créée, et Qui a donné dans Sa grande bonté à chacun des forces pour étudier la Tora et vivre sa vie. Comment dès lors le serviteur peut-il se permettre d’en faire ce qu’il entend ? Son corps n’est-il pas propriété de son Seigneur ? Et si ses forces le quittent à cause de cette pratique, il ne fait aucun doute qu’il sera trainé en justice, puisqu’il l’a fait de sa propre volonté, et non de force. »

Il ressort de ces paroles du ‘Hafets ‘Hayim que l’avis médical influence clairement la Halakha ; déjà de son temps on savait que le tabagisme affaiblit la personne, et peut mettre en danger les personnes faibles ; il est interdit de manière explicite de commencer à fumer, d’après ce grand maître.

Par la suite, le rav Moché Feinstein admit, fin 1963, que le danger que provoque la cigarette n’est pas aussi évident que des conduites réellement périlleuses, que ce n’est qu’un risque, et qu’en conséquence s’applique la règle de (Tehilim/Psaumes 116,6) : « L’Eternel protège les simples ».

A cette époque, on admettait encore que les statistiques relevées par les scientifiques ne concernaient pas ceux qui cessaient de fumer un jour par semaine…

Les choses ont nettement changé : la médecine prouve que le danger est terrible, et que les cas de décès à la suite du tabagisme sont malheureusement nombreux. Et, en effet, le rav Waldenberg (T. E. 15,39) a émis le principe que fumer doit être interdit au niveau de la Tora ! Certains auteurs pensent même qu’il s’agit d’un dérivé de l’interdit d’homicide (d’après le Rambam Hilkh. Rotséa’h 2,2)…

Divers efforts ont été déployés ces dix dernières années en Erets Israël, pour faire baisser l’usage du tabac, dans certains milieux où il était très répandu, comme dans les Yechivoth.

L’un de ceux qui ont été le plus impliqués dans ces campagnes a été le rav Ye’hezqiel S’haïek, le secrétaire particulier de rav Schakh zatsal, particulièrement engagé dans les campagnes d’information en faveur d’une vie plus saine du point de vue de l’alimentation et du tabac. Il est parvenu à faire réduire de manière significative le taux de tabagisme, et dans les Bathé Midrach en Erets Israël, on ne fume pas !

L’un des éléments de ces campagnes était une magnifique photo, sur laquelle on voyait une personne avec une longue et imposante barbe, tenant en main une cigarette allumée, avec pour légende : « N’ouvre pas la bouche au cancer » (jeu de mot hébraïque : « Al tifta’h pé la-sartan », au lieu de « satan »)…

Et la drogue

Si la cigarette s’était trouvée une place dans la communauté juive, la drogue n’y était pas parvenue. Toutefois, avec l’augmentation du nombre de gens qui revenaient à la Tora d’une part, et l’émergence de personnes « marginales » d’autre part, la question de la position de la Tora face aux drogues s’est posée, et la chance a voulu que rav Moché Feinstein zatsal ait été amené à apporter une réponse détaillée dans ce domaine (Y. D. III,35).

Le rav fait appel à plusieurs arguments, reposant sur des lois de la Tora !

Le premier est le fait que les drogues affaiblissent et détruisent le corps – même si, dit-il, certaines personnes en bonne santé n’en souffrent pas directement. Mais l’impact sur l’esprit est toujours présent, empêchant la réflexion et le bon fonctionnement du cerveau. Concrètement, la personne qui se drogue ne parvient plus à étudier la Tora, à prier et à effectuer les mitswoth, qui, sans implication de l’esprit, sont considérées comme n’ayant pas été réalisées.

De plus, ces substances font naître des envies irrésistibles, que certains ne parviennent pas à contrer. Cette personne rentre alors dans la catégorie du fils rebelle, qui, lui, n’a envie que de nourritures permises, alors que dans ce cas, il s’agit de fortes envies qui n’apportent rien de positif à l’homme.

La suite est connue : le fils rebelle se lance dans du brigandage pour parvenir à ses fins, et risque même de tuer des personnes pour assouvir ses envies (Sanhédrin 68b).

Rappelons ici que ce phénomène d’addiction est déjà décrit par la Guemara (Pessa’him 113a), quand un Sage dit à son fils de ne pas se droguer, car on s’y habitue et on finit par dépenser de grandes sommes d’argent pour en obtenir…

En outre, le fait de tomber dans ce défaut fait toujours terriblement souffrir les parents. Ce fils transgresse donc  l’obligation du respect de son père et de sa mère.

Il faut encore ajouter, toujours selon rav Feinstein, l’abandon de l’injonction générale de « Kedochim tiyhou », « soyez saints », ainsi que l’explique le Ramban, visant à ce que la personne restreigne son profit du monde.

Ceci, sans parler d’autres interdits.

Le rav conclut : « Finalement, il est évident et clair que se droguer amène à de graves interdits, et il faut tout faire pour éliminer cette impureté de l’ensemble des enfants d’Israël ! »

 

En conclusion…

Il nous semble qu’en effet, ce fléau a épargné la plupart des familles orthodoxes, et pour cause : finalement, l’une des grandes raisons pour laquelle une personne tombe dans ce genre d’addictions est une difficulté interne, un conflit ou une douleur. Ce n’est pas qu’une personne orthodoxe ne connaît pas ce genre de situations, bien entendu, mais elle a d’autres moyens de se tirer d’affaire : la confiance en D’, qui l’amène à ne pas désespérer et à ne pas avoir besoin de moyens artificiels pour sortir de l’épreuve… Si l’Eternel lui envoie une épreuve, c’est de manière totalement contrôlée et volontaire, selon les limites que la personne peut recevoir (« Ein haKadoch baroukh Hou ba bitrounia ‘im beriotav », « l’Eternel ne met pas Ses créatures dans une situation qu’elles ne peuvent pas dominer » – A. Z. 3).

C’est sans doute pour cela que ce fléau a épargné le milieu orthodoxe, mais il est quelque peu présent chez les ba’alé techouva, et autres jeunes marginaux.

Impossible de savoir si les arguments du rav Moché Feinstein ont de quoi convaincre une personne qui a déjà succombé à la tentation (il faut alors se diriger vers les centres de désintoxication existant, comme Retourno à proximité de Beth Chémech qui fait un excellent travail dans le cadre du public religieux), mais en tout cas, nous constatons qu’une personne réellement et sincèrement engagée dans la Tora ne peut concevoir que le fait que la drogue n’a pas sa place dans le monde de la Tora !

Ceci, donc, pour les questions concernant la santé, face à ces produits nocifs. Dans un prochain article, nous voudrions traiter de l’obligation de se soigner, si D’ veut. ■

 

Combien de fumeurs compte la communauté orthodoxe en Israël ?

 

Le ministère de la Santé s’est intéressé, en 2010, au nombre de fumeurs orthodoxes vivants (on oserait ajouter, pour l’instant !) dans le pays.

Les résultats de l’enquête montrent qu’il y aurait 13,3% de fumeurs parmi les adultes de plus de 18 ans chez les orthodoxes… contre 27,9% dans l’ensemble de la population.

18,9% ont déclaré avoir arrêté de fumer ces dernières années.

Plus de 47% des fumeurs se sont déclarés vouloir « sous peu » cesser de fumer – mais le pourcentage de personnes qui font preuve de cette bonne volonté sont plus nombreuses dans la population générale (dans les 57%).

40% des fumeurs ont déjà tenté de cesser de fumer dans le passé.

La plupart d’entre eux savent que les rabbanim se sont fortement opposés au tabagisme (en l’an 2000), et reconnaissent que cela a eu une certaine influence sur eux, mais, leur mauvaise habitude a gardé le dessus, même si, comme dit, près de 20% des Juifs orthodoxes ont cessé de fumer ces dernières années.

 

Plaisirs interdits…

Nous avons parlé du tabac et de la drogue. Mais qu’en est-il des boissons alcoolisées ? Ne sont-elles pas dangereuses et ne faut-il pas à ce titre les prohiber ?

Nul doute que le vin et l’alcool, consommés à forte dose, ont des effets secondaires analogues à ceux de la drogue, à propos desquelles nos Sages ont mis en garde contre l’addiction possible (Pessa’him 113a). En Afrique du Nord, un Sage a sombré dans la boisson, semble-t-il à la suite de la disparition de ses écrits, mais ce genre d’exceptions ne confirme pas la règle et ne nous amène pas à interdire ce genre de boissons. Un verset ne dit-il pas lui-même (Michlé/Proverbes 31,6-7) : « Donnez des liqueurs fortes aux malheureux, du vin à ceux qui ont de l’amertume au cœur. Qu’ils boivent, et qu’ils oublient leur misère ; qu’ils perdent le souvenir de leur chagrin ! » Nos Sages (Sanhédrin 70a) en déduisent qu’il faut donner du vin aux personnes endeuillées et dans la peine, pour les aider à oublier leur douleur !

D’autre part, n’avons-nous pas l’obligation de faire Kidouch et havdala sur du vin (on peut toutefois utiliser du jus de raisin…) ? En revanche, quand il est question de savoir si les kohanim peuvent monter au doukhan et bénir le peuple durant la prière de l’après-midi, la raison invoquée pour le leur interdire est qu’alors, tout le monde a déjà bu, les kohanim y compris, ce qui les rend inaptes à dire la bénédiction (Betsa 4a). A l’époque, on ne concevait donc pas de repas sans vin.

Après avoir bu une boisson alcoolisée, il est interdit de répondre à des questions de Halakha. La personne ne peut prier devant l’Eternel, tant qu’elle n’a pas retrouvé ses esprits (cf. Choul’hanAroukh O. H. 99a).

Tout ceci nous amène à conclure que le vin a des vertus non négligeables ; nul ne songera toutefois à l’interdire, à condition de le consommer avec modération.

Si, comme nos Sages le disent à propos des drogues, la personne développe une addiction à l’alcool, notre position changera et il faudra tout faire pour se débarrasser de cette mauvaise conduite, en se rendant le cas échéant dans un centre de désintoxication (il existe un centre orthodoxe, dirigé par un rav, en Erets Israël).

Extrait de Kountrass numéro 170

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