Par Masih Alinejad, journaliste iranienne vivant aux USA
Pour la plupart des gens, les commandants qu’Israël vient d’éliminer sont des noms étrangers. Pour moi et pour le peuple iranien, ce sont les monstres qui ont terrorisé nos familles.
J’ai passé les quatre dernières années de ma vie à être traquée par les Gardiens de la Révolution iranienne. Ils ont envoyé des agents pour m’enlever à mon domicile new-yorkais.
Ils ont engagé des tueurs à gages pour m’assassiner sur le sol américain. Ils m’ont même suivie à Davos, en Suisse, où j’ai dû être évacuée en hélicoptère depuis mon hôtel.
Sans la protection du FBI et les plus de vingt-et-un refuges où j’ai dû circuler ces dernières années, je ne serais peut-être plus en vie pour écrire ces lignes.
Alors oui, ce moment est personnel.
Mais il dépasse largement ma personne.
Depuis plus de quarante ans, la République islamique d’Iran exporte la terreur, écrase toute dissidence et pousse le Moyen-Orient au bord de la guerre, tout en privant son propre peuple de dignité, d’opportunités et de paix. Aujourd’hui, le régime en subit les conséquences au plus haut niveau.
Des frappes aériennes israéliennes auraient tué certains des plus hauts responsables militaires de la République islamique : Hossein Salami, commandant en chef du Corps des Gardiens de la Révolution islamique (CGRI), Amir Ali Hajizadeh, architecte du programme de missiles balistiques du régime, et Mohammad Bagheri, chef d’état-major des forces armées iraniennes.
Pour de nombreuses personnes dans le monde, ce ne sont que des noms étrangers. Pour moi et pour le peuple iranien, ce sont les monstres qui ont appauvri et tyrannisé nos familles.
Ce sont eux qui ont rendu la vie de millions de personnes misérable, non seulement en Iran, mais dans tout le Moyen-Orient.
Tandis que les sanctions étranglaient l’économie et que les hôpitaux manquaient de médicaments de base, les commandants du CGRI vivaient dans le luxe. Aujourd’hui, des images virales circulent sur les réseaux sociaux persanophones montrant leurs piscines sur les toits, leurs appartements-terrasses, leurs ascenseurs VIP, dont beaucoup ont été détruits lors des récentes frappes.
Ces commandants ne défendaient pas l’Iran. Ils défendaient le régime contre son propre peuple. Les seuls à avoir véritablement sacrifié quelque chose pour le pays, ce sont les pauvres, les femmes qui ont osé montrer leurs cheveux, les étudiants abattus dans la rue.
C’est pourquoi de nombreux Iraniens ne sont pas en deuil aujourd’hui. Malgré l’immense incertitude qui plane sur l’avenir, ils célèbrent.
J’ai reçu des milliers de messages venus d’Iran, montrant de jeunes femmes dansant dans les rues, ou des familles exultant dans leurs cuisines. Ces commandants sont ceux qui ont donné l’ordre de tirer dans les yeux des manifestants, d’emprisonner des adolescentes et de mentir au monde tout en construisant des bombes en secret.
Une mère de Téhéran, emprisonnée pour avoir protesté contre le meurtre de son enfant en 2019, m’a écrit : « En me réveillant avec la nouvelle de la mort de Salami, j’ai hurlé de joie en me disant que je voyais enfin la justice ». Elle m’a dit : « Bientôt, tu seras de retour en Iran et nous danserons sur les tombes de ces assassins ».
Une autre femme, dont la mère a été tuée par les Gardiens de la Révolution en 2022 pour avoir protesté contre la mort brutale de Mahsa Amini, une jeune femme de 22 ans morte lors d’une garde à vue, m’a écrit : « Nous sommes tous heureux de voir les meurtriers de nos proches éliminés. La guerre a un prix. Des innocents peuvent être tués. Mais nous savons qui blâmer : la République islamique ». Cette femme s’était rasé la tête sur la tombe de sa mère, une image devenue un symbole de la résistance en Iran.
Des millions d’Iraniens ont marché, dansé, chanté et saigné pour un avenir meilleur. En 2022, après la mort d’Amini, le monde a vu le courage de jeunes femmes affrontant des soldats armés, n’ayant pour armes que leurs cheveux et leur espoir.
Ce mouvement n’a pas été écrasé. Il continue de brûler, discrètement et courageusement, dans les foyers, les écoles et les prisons de tout l’Iran. Cela nous est rappelé aujourd’hui. Le courage de ces Iraniens pourrait bien annoncer la chute de la République islamique.
Le monde fait face à un choix. Il peut se concentrer uniquement sur les missiles et les cartes, en traitant tout cela comme un simple coup géopolitique. Ou bien il peut reconnaître l’histoire humaine qui se joue en coulisse : celle d’une nation qui se soulève contre ses geôliers.
L’histoire d’un lion qui s’éveille.
Les frappes israéliennes ont peut-être éliminé des figures militaires de premier plan. Mais la véritable victoire est encore à venir : le jour où la République islamique s’effondrera sous le poids de ses propres crimes, et de la force d’un peuple qu’elle a tenté d’étouffer et de faire taire.
La République islamique a bâti son empire de tyrannie sur le sang : celui des manifestants, des dissidents, des femmes, des enfants. Cet empire est désormais en train de se fissurer. Le peuple iranien observe, attendant la suite.
Et il espère que le monde regarde, lui aussi.
© Masih Alinejad
16 juin 2025 / Texte originellement paru dans « The Free Press » et traduit de l’anglais
La victoire, ce sera quand le peuple iranien aura repris son auto-détermination.