La fac – un danger pour les Juifs ?

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Même si les autorités de tutelle ont bien réagi et su la contenir, une ­déferlante de haine a frappé nos universités. Certains étudiants et enseignants, défenseurs du Hamas, manifestent ouvertement leur hostilité à l’encontre des Juifs. Ceux-ci se sont vus ciblés, intimidés, menacés par des tags, des graffitis ou de l’affichage sauvage. Un climat délétère qui évoque ce que vivent les campus aux États-Unis. Sommes-nous suffisamment armés ?

Octobre 2023. Quelques jours après les attaques du Hamas contre Israël, Sarah, étudiante à Tolbiac, découvre sur le mur des toilettes du 14e étage de son département ce tag tout frais : « Mort aux Juifs ». Au même moment, Ruben, de Paris-Créteil, est ajouté d’autorité sur un mystérieux groupe Whats­App baptisé « Défouloir ». ­

Certains, au prétexte de soutenir la Palestine, y inscrivent des étudiants juifs dont ils ont déniché les numéros de téléphone et les insultent. La même semaine, à Sciences-Po, Chloé colle un tract pour rendre hommage à Omri Ram, ex-élève de l’école assassiné le 7 octobre. Un étudiant recouvre son affiche et la bouscule. Pire, elle est dénoncée sur les réseaux, car elle a « pensé » aux otages ! Parallèlement, Julien se rend compte que ça s’échauffe sur le groupe WhatsApp de sa promo en licence. Alors qu’un de ses camarades ­souhaite organiser une manif pour la Palestine, un autre propose de s’armer de couteaux et de passer par l’école juive, proche de l’université. À l’Institut catholique de Paris, c’est la section locale de l’Union des étudiants juifs de France (UEJF) qui reçoit ce message anonyme : « Niquez vos mères les feujs de mes deux. »

Ces témoignages, parmi des dizaines d’autres recueillis par l’UEJF dans les jours qui ont suivi les massacres du Hamas, montrent que la vague d’antisémitisme mondiale touche aussi les universités ­françaises. Elle ne pouvait qu’y trouver un terrain favorable si l’on en croit le sondage de l’Ifop publié en septembre, un mois avant le pogrom : 91 % des ­étudiants juifs interrogés reconnaissent avoir déjà été victimes d’un acte antisémite durant leur scolarité.

Cette vague anti-juive gagne aussi le corps enseignant. Au lendemain des massacres, un professeur d’Assas promet à ses étudiants retardataires des mesures de rétorsion « façon Hamas » : « Vous êtes en retard, je vais faire comme la rave », mais aussi « il faut des roquettes pour vous réveiller ? » Ailleurs, les interventions de certains flirtent avec l’apologie du terrorisme. Alberto Alemanno, professeur à HEC, bien que se disant « horrifié » par l’attaque du Hamas, la définit comme un « soulèvement des colonisés ». À l’université Paris Cité, le chercheur Choukri Hmed publie sur son mur Facebook le lendemain du pogrom un post avec un parapente, supprimé depuis. Une allusion claire au modus ­operandi du Hamas pour attaquer Israël, publiée par un soutien affiché de l’antisémite et indigéniste Houria ­Bouteldja. Plus directe encore, ­Ludivine Bantigny, fan des Indigènes de la République, enseignante dans le secondaire, mais ­toujours associée au laboratoire d’histoire de l’université de Rouen-Normandie, déclare dès le 8 octobre que la « résistance [palestinienne] est non seulement légitime, mais nécessaire et bien sûr qu’elle passe aussi par les armes ».

Cela aurait pu rester des cas isolés si l’ambiance, délétère, n’avait pas été amplifiée par les organisations politiques et syndicales d’extrême gauche, très présentes aussi bien chez les étudiants que chez les professeurs. Relais de La France insoumise à l’université, l’Union étudiante, qui est passée devant l’Unef lors des dernières élections, a refusé de condamner le pogrom. Elle n’y voit qu’une conséquence du « régime d’apartheid violent » que subiraient les Palestiniens « depuis plus de soixante-dix ans ». Même à Gaza, où Tsahal a quitté les lieux et évacué les derniers colons il y a bientôt vingt ans ? Apparemment, oui. Le député LFI Antoine ­Léaument s’est rendu à Paris-Nanterre, le 10 octobre, pour leur prêter main-forte et réaffirmer qu’Israël « a aussi une politique terroriste ». Au même titre que le Hamas, donc ? Mais il est vrai que LFI ne sait pas si le Hamas est une organisation terroriste.

Poing levé, collectif étudiant de Révolution ­permanente, est allé encore plus loin. Scission du Nouveau Parti anticapitaliste (NPA) menée par le syndicaliste Anasse Kazib, très populaire chez les jeunes grâce à son « ambassadrice » Adèle Haenel, l’organisation s’est empressée d’apporter son ­«­ soutien à la résistance palestinienne » avant même la fin de l’opération Déluge d’Al-Aqsa. Elle a notamment relayé le message d’une de leurs militantes se ­ félicitant qu’« après des décennies d’humiliation, les Palestiniens luttent pour reprendre leurs terres et leur dignité et montrent qu’il est possible de se battre contre Israël ». Même en tuant, violant et torturant des civils par centaines ?

Pas en reste, la Ligue de la jeunesse révolutionnaire (groupuscule d’extrême gauche) a tagué les murs et noyé de tracts à la gloire du Hamas le campus du Mirail, à Toulouse… pour se plaindre du fait que « les héroïques résistants de Palestine sont appelés des terroristes ». Mais aussi pour se réjouir : « Gaza s’étend, la décolonisation commence. » Tremblez, sionistes de Tel-Aviv ou des villages arabes de Galilée !

GLORIFICATION DU HAMAS

À Nanterre, c’est le NPA qui fait la loi. Or le parti trotskiste avait très tôt affiché « son soutien aux Palestinien/nes et aux moyens de lutte qu’ils et elles ont choisis pour résister ». Pogrom compris ? Sa branche Jeunes, qui contrôle l’Union nationale des étudiants de France (Unef) à Nanterre, y ajoute un soupçon de complotisme : « L’État d’Israël prend appui sur les attaques du Hamas et de la résistance palestinienne pour continuer leur entreprise de ­colonisation […] et commencer un réel nettoyage ­ethnique. »

À la prestigieuse EHESS, c’est Solidaires étudiant-e-s qui, dès le 9 octobre, apporte son « soutien indéfectible à la lutte du peuple palestinien dans toutes ses modalités et formes de lutte, y compris la lutte armée ». Bébés compris ? À Sciences-Po, sur le campus de Menton, spécialisé dans le monde arabe, l’initiative « Sciences Palestine », soutenue par Solidaires étudiant-e-s, assimile, elle aussi, le pogrom du Hamas à la résistance : « Hier des résistants de Gaza ont lancé une attaque contre Israël », peut-on lire sur leur tract du 8 octobre.

Glorification du Hamas en toute bonne conscience décoloniale, soutien au massacre de 1 200 Israéliens, lequel est comparé à un acte de résistance, attaques contre les étudiants juifs sous prétexte de solidarité supposée avec Israël, déluge d’amalgames soutenus par des organisations étudiantes et des profs : tous les ingrédients sont réunis pour que les universités françaises connaissent les mêmes dérives que les campus américains, gangrenés par l’antisémitisme, et où les étudiants juifs craignent légitimement pour leur sécurité.

Outre-Atlantique, une campagne menée par les Students for Justice in Palestine (SJP) et Black Lives Matter assimile le terrorisme du Hamas à de la « résistance » légitime, et va jusqu’à inciter à la violence : « Libérer la Palestine » doit passer « non ­seulement par des slogans et des rassemblements, mais par une confrontation armée avec les oppresseurs ». De quoi mettre clairement en danger les étudiants juifs sur les campus, selon l’Anti-­Defamation League (ADL), ONG de lutte contre le racisme et l’antisémitisme. Là-bas comme ici, des professeurs ont surenchéri. À l’université de Cornell, l’un d’eux a déclaré publiquement que l’attaque du Hamas était à la fois « exaltante » et « énergisante ». Toujours selon l’ADL, des enseignants se sont livrés à des vexations discriminatoires. À Stanford, un chargé de TD a demandé aux étudiants israéliens de s’identifier et de se tenir dans un coin : « C’est ce qu’Israël fait aux Palestiniens […] Israël est un colonisateur. » Résultat de cette propagande : une explosion d’actes antisémites. Notamment à Harvard, où on a pu lire : « Harvard hait les Juifs. » À Cornell, les forces de l’ordre et le FBI ont dû protéger les ­étudiants juifs et leurs locaux après de violentes menaces en ligne.

On a pu toucher du doigt l’incapacité de la direction des universités américaines à lutter contre cette vague de haine lors de l’audition ­parlementaire des présidentes de Harvard, Penn (Pennsylvanie) et du MIT (Massachusetts Institute of Technology). À la question : « L’appel au génocide des Juifs viole-t-il le code de conduite de votre université ou les règles concernant l’intimidation ou le harcèlement ? », celles-ci n’ont su répondre que : ça « dépend du contexte ». Les ­présidentes de Penn et de Harvard et ont, depuis, démissionné (lire encadré ci-dessous).

RIPOSTE INSTITUTIONNELLE

En est-on là en France ? Pas encore, et c’est la bonne nouvelle. Parce que, face à la montée de l’antisémitisme dans le monde universitaire, « une riposte institutionnelle vigoureuse a eu lieu », comme en témoigne Samuel Lejoyeux, président de l’UEJF. Sans compter que les facs tricolores sont beaucoup plus dépendantes de leur tutelle ministérielle qu’aux États-Unis. Dès le 9 octobre, la ministre de l’Enseignement supérieur et de la Recherche, ­Sylvie Retailleau, a donné des consignes très fermes aux présidents d’universités. Elle a alerté face aux « manifestations de haine », et incité les chefs d’établissement à prendre « les sanctions disciplinaires et suites judiciaires appropriées, y compris en les signalant au procureur de la République, en application de l’article 40 du Code de procédure pénale ». Elle a également évoqué la possibilité « d’étudier des procédures de dissolutions de toute structure s’engageant dans des “agissements répréhensibles” ».

Comme le rappelle un professeur d’université : « Nous avons un arsenal juridique utile, c’est l’autre force du modèle français par rapport aux États-Unis, où le fétiche de la liberté d’expression empêche la lutte contre les discours de haine. » Et de citer la loi de 1936 ­permettant la dissolution des ligues, renforcée par la loi de 2021 confortant les principes de la République, la loi ­Pleven contre le racisme et l’antisémitisme, la loi Gayssot contre le négationnisme, mais aussi la vénérable loi sur la liberté de la presse, qui, dès 1881, condamnait l’apologie du terrorisme. De fait, les consignes de la ministre ont su mettre la machine en branle.

MARQUER LE COUP

Le professeur d’Assas évoqué plus haut a d’ailleurs été suspendu dès le 10 octobre ; une commission s’est ­réunie à HEC pour examiner les ­propos d’Alberto Alemanno. Par ailleurs, la ministre a reçu l’UEJF dès le 13 octobre et a convoqué les référents « racisme et antisémitisme » dans la foulée. Ces référents sont une autre spécificité qui ­distingue la France des États-Unis. Dans les campus américains, l’administration DEI (diversité, équité et inclusion), pléthorique, est acquise aux thèses décoloniales et intersectionnelles, et donc incapable de mesurer sérieusement la vague antisémite. En France, les référents « racisme et antisémitisme » constituent, selon un haut fonctionnaire de l’Enseignement supérieur, « un réseau encore émergent, créé en réponse à des actes antisémites en 2015 dans les facs, mais plutôt bien orienté et qui peut lutter contre l’immobilisme des administrations ». Ces atouts sur le terrain et les consignes très strictes du ministère ont permis de faire la différence.

Consciente des risques particuliers à Nanterre, Sylvie Retailleau s’est rendue sur place avec le ­préfet des Hauts-de-Seine pour marquer le coup. « Il faut montrer qu’on met les limites », a-t-elle déclaré dans une université où le compte X du NPA Jeunes 92 a été suspendu, et où le NPA est sous le coup d’une enquête pour apologie du terrorisme. Si les autres structures ayant tenu le même discours ne sont pour l’instant pas inquiétées, l’avertissement est clair.

INDIGÉNISME ACADÉMIQUE

La vague tant redoutée a donc été contenue. Mais la tendance indigéniste et décoloniale ne désarme pas au sein de l’université. Si elle ne peut pas être ouvertement antisémite ou négationniste en raison des lois antiracistes, ni soutenir trop ouvertement le Hamas – au risque d’être condamnée pour ­apologie du terrorisme –, elle peut démoniser Israël au travers de l’accusation de « génocide ». Et chercher à obtenir avec ce discours militant marginal une reconnaissance académique.

Cette vague ne frappe pas que les élèves, elle gagne aussi le corps enseignant.

Didier Fassin, professeur au Collège de France, a ouvert le bal avec une tribune dans le média en ligne AOC. Il y évoque le spectre d’un génocide à Gaza, partant d’une comparaison avec le massacre des Héréros par les colons allemands, habituellement présenté comme une répétition de la Shoah. Un texte qui a heureusement reçu des réponses ! La philosophe Eva Illouz, notamment, a contesté la méthode (une comparaison unique Gaza-Héréros) et l’argumentation (il n’y a en réalité pas d’intention génocidaire chez les Israéliens). Et le philosophe Bruno Karsenti et ses collègues ont insisté sur la perversité d’attribuer à Israël un caractère génocidaire alors que cet État a été construit « pour se prémunir de toute tentative génocidaire ».

Faute de l’emporter sur le terrain des idées, les tenants de la démonisation d’Israël crient à la ­censure dans une tribune publiée par Mediapart et signée par 1 550 universitaires – dont Didier Fassin, Choukri Hmed et les têtes de proue de l’indigénisme académique : François Burgat, Nacira Guénif et Françoise Vergès. Mediapart vient à leur secours avec un article évoquant une « chape de plomb » sur le débat académique à propos du conflit israélo-palestinien. Expression qui fait sourire un universitaire ­chevronné qui préfère garder l’anonymat : « Vu que la thèse du génocide à Gaza est exposée en continu sur toutes les boucles de mails des universités, on ne voit pas bien où est la censure. Ce qu’ils veulent, c’est autre chose : la reconnaissance académique et institutionnelle de la démonisation d’Israël. »

Pour la reconnaissance académique, c’est pas gagné. Pour l’appui institutionnel, en revanche, c’est en cours. À Nanterre, deux motions du conseil d’administration émanant de syndicats d’étudiants et d’enseignants condamnent la « crise de l’humanité » à Gaza, allusion embarrassée à la thèse génocidaire, et s’insurgent contre toute accusation d’antisémitisme, qu’ils présentent comme attentatoire aux « libertés académiques ». En janvier 2024, une nouvelle pétition de 1 000 universitaires, où on retrouve les mêmes (Hmed, Burgat, Guénif, Vergès), parle ouvertement de « génocide ». Une motion similaire a été proposée à la Sorbonne. Bonne surprise, elle a été mise en échec par… l’Unef, qui, séparée des Insoumis, se recentre sur une ligne plus responsable. De quoi espérer ?

Pas sûr, nous confie une jeune chercheuse qui souhaite, aussi, rester anonyme : « Ces gens qui crient à la censure ne risquent pas leur poste. Les universités tiennent encore sur une ligne responsable parce que la génération de professeurs qui les dirigent ne veulent pas d’un embrasement. Mais dans la jeune génération d’enseignants, les tendances anti-israéliennes sont très fortes et la question de l’antisémitisme n’intéresse pas grand monde. » Samuel Lejoyeux, de l’UEJF, abonde : « Ça tient mais jusqu’à quand ? L’air du temps intersectionnel rend la formulation d’un antisionisme radical beaucoup plus facile avec des conséquences antisémites. Il va être de plus en plus difficile d’exprimer une autre opinion. » De fait, aucun ­doctorant ou postdoctorant n’a osé divulguer son identité. Et c’est un signe. Inquiétant.

Par Gaston Crémieux Franc-Tireur

1 Commentaire

  1. J’habite en Israël et j’étudie en France à l’Université Paris 8 Vincennes Saint- Denis. Deux semaines après le début de la guerre, il m’est devenu impossible de rentrer dans le site de la fac. Après de nombreuses recherches, il est apparu que la fac bloquait l’accès de ses plateformes de cours à tous les résidents israéliens. La seule solution restait d’utiliser un VPN, logiciel qui bloquait la géolocalisation. Et seulement là, j’ai pu recommencer à me connecter. Je me suis plainte et trois semaines après, le problème a été miraculeusement résolu…

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