« Nous ne les avons pas éliminés » : l’Iran reste dangereux même après les frappes

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Malgré l’affaiblissement du programme nucléaire de Téhéran et des proxies, les experts avertissent qu’une menace crédible de recours à la force est toujours nécessaire pour accompagner les efforts diplomatiques

Dans le sillage de la guerre récente qui a opposé Israël à l’Iran, le mois dernier, les experts émettent une mise en garde : ils estiment que la République islamique reste une menace stratégique à long terme – non seulement en raison de ses ambitions nucléaires, mais aussi à cause d’un régime qui, selon eux, ne respecte que la force.

« C’est un problème de culture du régime », commente Beni Sabti, chercheur au sein de l’Institut d’études de sécurité nationale et spécialiste de l’Iran, auprès du Times of Israel. « Si vous ne proposez que la diplomatie – la carotte – et qu’ils ne voient pas de bâton, ils en déduiront que vous êtes faible ».

Sabti souligne la justesse de la « doctrine du gourdin » qui était prônée par l’ancien président américain Theodore Roosevelt et qui, selon lui, est encore et toujours d’actualité : « Parle doucement et porte un gros bâton, tu iras loin », disait-il. Et en l’absence d’une menace crédible de recours à la force, la diplomatie seule aura peu de chances de dissuader les ambitions de Téhéran, déclare le chercheur.
Le conflit de douze jours, qui a atteint son paroxysme avec les frappes aériennes américaines qui ont pris pour cible les installations nucléaires iraniennes, a peut-être endommagé des sites de premier plan et retardé le travail de production d’armes, mais Sabti affirme qu’il n’a pas fondamentalement changé la nature de la menace.

« Le régime peut revenir à la charge. Nous ne l’avons pas éliminé », note-t-il.

Des revers pour l’arsenal de l’Iran, pas pour ses ambitions

L’attaque américaine du 22 juin a visé les installations souterraines d’enrichissement de l’Iran, notamment les centrifugeuses installées dans les profondeurs des usines de Natanz, d’Ispahan et, plus particulièrement, de Fordo. Des installations qui étaient essentielles pour Téhéran dans son travail de production d’uranium de qualité militaire.

Anna Erickson, qui est professeure d’ingénierie nucléaire à Georgia Tech, fait remarquer que l’attaque s’est concentrée sur les centrifugeuses qui étaient utilisées pour enrichir l’uranium à des niveaux dangereux. Dans une analyse pour The Conversation, une source d’information indépendante à but non lucratif, elle explique que l’Iran a depuis longtemps investi à la fois dans la quantité et la qualité s’agissant des technologies liées aux centrifugeuses.

« Avant l’attaque », écrit-elle, « l’Iran utilisait 6 500 centrifugeuses IR-2m, près de 4 000 centrifugeuses IR-4 et plus de 3 000 centrifugeuses IR-6. Ces modèles plus avancés sont nettement plus performants que les anciens modèles IR-1, que ce soit en matière de vitesse ou de dissimulation. »

L’IR-6, par exemple, peut produire « dix unités de travail séparatives par an » – ce qui représente un bond spectaculaire en termes d’efficacité, une avancée fulgurante qui pourrait permettre à l’Iran de passer d’un enrichissement de 60 % à un matériau de qualité militaire en l’espace de quelques semaines. La centrifugeuse IR-9, plus récente et encore en phase d’essai, peut quintupler cette production.

Erickson fait remarquer que l’Iran a stocké environ 400 kilogrammes d’uranium hautement enrichi avant l’attaque – ce qui représente une quantité suffisante pour fabriquer dix bombes atomiques.

Cette image, réalisée le 17 avril 2021 et tirée d’une vidéo diffusée par Iran Broadcasting, IRIB, une chaîne de télévision d’État, montre plusieurs centrifugeuses bordant la salle endommagée le 11 avril 2021, à l’usine d’enrichissement d’uranium de Natanz, à 322 km au sud de la capitale, Téhéran. (Crédit : IRIB via AP)

Il est difficile de déterminer si ce stock est resté intact.

Tout au long du conflit, l’armée a aussi pris pour cible le programme de missiles de l’Iran. Tsahal a fait savoir que les capacités de production de missiles de la république islamique avaient été dégradées et que ses capacités à produire en masse des armes à longue portée avaient été retardées jusqu’en 2027 au moins.

Pourtant, Sabti estime qu’il ne faut pas faire preuve de complaisance – et qu’il faut rester vigilant.

« Il ne s’agit pas seulement des missiles ou du programme nucléaire. Il s’agit de la stabilité du régime », martèle-t-il, notant que les frappes américaines et israéliennes ont également visé les généraux du Corps des gardiens de la révolution, leur quartier-général et même la tristement célèbre prison d’Evin. « Si [Israël] avait continué quelques jours de plus, qui sait ?… Peut-être que le régime ne serait plus là ».

Le réseau de proxies de Téhéran s’effondre

S’adressant au Times of Israel, Menahem Merhavy, chercheur à l’Institut Harry S. Truman pour l’avancement de la paix au sein de l’Université hébraïque, explique que l’Iran se trouve aujourd’hui plus isolé que jamais.

« L’Iran n’a pas d’alliés », constate-t-il. « Le conflit a prouvé à quel point Téhéran est seul ».

Il estime que ce qu’on appelle « axe de la résistance » – qui comprend les proxies iraniens en Irak, au Yémen, en Syrie, à Gaza et au Liban – a été gravement affaibli et qu’il y a peu d’espoir qu’il parvienne à se reconstruire dans les années à venir.

« Au cours des cinq prochaines années, le front de la résistance sera beaucoup plus faible, voire inexistant », déclare-t-il.

Et en effet, depuis le pogrom commis par le Hamas dans le sud d’Israël, le 7 octobre 2003, l’armée israélienne a pris pour cible de manière systématique les groupes terroristes soutenus par l’Iran dans toute la région. À Gaza, lundi, Israël revendiquait le contrôle opérationnel de près de 70 % de la bande et des discussions portant sur un éventuel cessez-le-feu – par le biais d’un accord qui ouvrirait la porte à la remise en liberté des otages – avec un Hamas affaibli sont en cours.

Au Liban, le Hezbollah – qui était autrefois le plus groupe mandataire de l’Iran le plus puissant – a subi de lourdes pertes. Les médias saoudiens ont récemment annoncé qu’environ 4 000 combattants, commandants et hauts responsables du Hezbollah ont été tués au cours de la guerre menée par l’organisation chiite à l’encontre d’Israël, un conflit qui s’est achevé par un cessez-le-feu au mois de novembre 2024. Vendredi, des informations ont laissé entendre que le Hezbollah envisageait de réduire son rôle en tant que mouvement armé.

En fait, tous les proxies de l’Iran sont restés largement en marge du récent conflit israélo-iranien, qui a duré douze jours. Les analystes ont attribué leur retenue à une combinaison de pressions politiques internes et au bilan de près de deux années de guerre et d’instabilité régionales.

L’affaiblissement du réseau terroriste iranien au Moyen-Orient reflète l’état du régime lui-même. « Le régime iranien est faible », explique Sabti. « Nous devons continuer à brandir le bâton ».

La question de l’après-Khamenei

Malgré les troubles récents et les pressions croissantes, Merhavy et Sabti restent sceptiques concernant l’éventualité d’un changement de régime en Iran.

« Les changements de régime ne se font généralement pas sous la forme de bombardements aériens », fait remarquer Merhavy.

À 86 ans, le guide suprême Ali Khamenei devrait être remplacé dans un avenir proche – mais la majorité de ses successeurs potentiels sont des loyalistes idéologiques. Parmi les candidats pressentis figurent son fils Mojtaba Khamenei, les hauts responsables du régime Sadeq Larijani et Mohsen Araki, ainsi que Hassan Khomeini, le petit-fils du fondateur de la république islamique, l’ayatollah Rouhollah Khomeini.

Selon Merhavy, si que ces candidats sont susceptibles de maintenir le cap idéologique du régime, ils pourraient aussi adopter une approche plus prudente.

Il estime que les successeurs de Khamenei pourraient bien suivre les traces du guide suprême « mais en ayant tiré une leçon de l’ayatollah Khamenei : celle que que l’Iran peut payer un prix très élevé pour l’utilisation d’une certaine rhétorique ».

Sabti n’exclut pas toutefois un effondrement à la soviétique.

« Cela peut arriver de manière surprenante. Peut-être que dans deux heures, il y aura des soulèvements, ou peut-être que ce sera le cas dans deux mois. Nous ne pouvons pas connaître la nature d’un potentiel élément déclencheur, mais la colère et l’agitation sont là, et ce depuis de nombreuses années ».

Sabti dit qu’une transition réussie nécessiterait un coup d’État interne soutenu par l’armée.

« Une telle perspective ne peut venir que d’en haut », indique-t-il. « Certains généraux – du Corps des gardiens de la révolution ou de l’armée – peuvent prendre le contrôle et rendre ce régime plus modéré… Si cela vient du peuple, les choses risquent de devenir très violentes ».

L’importance du bâton

Alors que les pourparlers sur le nucléaire devaient reprendre à Oslo entre l’envoyé spécial américain Steve Witkoff et le ministre iranien des Affaires étrangères Abbas Araghchi, cette semaine, le président américain Donald Trump a rejeté toute idée de relance des négociations.

« Je n’offre RIEN à l’Iran », a-t-il écrit sur son réseau Truth Social, lundi dernier. « Je ne leur parle même pas puisque nous avons totalement ANEANTI leurs installations nucléaires ».

Malgré ce positionnement, nombreux sont ceux qui estiment que la diplomatie et le contrôle depuis l’extérieur sont les seules solutions viables à long terme.

« Un accord forcé ne suffit pas », s’exclame Merhavy. « Il faut un bon organe de contrôle pour le superviser. Les Iraniens voudront parvenir à un accord parce qu’ils n’auront pas d’autre choix ».

Sabti souligne néanmoins que la diplomatie seule ne suffit pas.

« Après cette guerre, nous ne pourrons pas compter uniquement sur la diplomatie », dit Sabti. « La guerre n’est peut-être qu’une autre forme de diplomatie, un autre moyen d’atteindre ses objectifs ».

Mais pour apporter un changement durable en Iran, le peuple iranien doit avoir le sentiment d’être soutenu par la communauté internationale.

« Le véritable changement ne peut venir que du président américain – qu’il parle au peuple et pas seulement au régime », note-t-il.

Sabti souligne l’influence déterminante du leadership américain sur l’opinion publique iranienne et sur ses sentiments, affirmant que les communications directes de la Maison Blanche ont une résonance bien plus profonde que les déclarations susceptibles d’être faites par Jérusalem.

Alors que le Premier ministre Benjamin Netanyahu a diffusé, le 13 juin, une vidéo qui s’adressait au peuple iranien – disant que les actions militaires d’Israël étaient destinées à « ouvrir la voie à votre liberté » et qualifiant la république islamique de « régime diabolique et oppressif » – l’administration Trump ne s’est pas encore adressée directement à la population de la république islamique.

« Je suis très surpris de constater que [Trump] ne parle pas au peuple iranien. Le peuple et le régime comptent sur la parole du président américain », indique Sabti. « Israël est petit à leurs yeux ».

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