Le totalitarisme de la civilisation occidentale

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Un intellectuel de gauche, dans un entretien publié par Libération, affirme qu’il ne peut pas y avoir de « choc des civilisations » (B. Lewis, S. Huntington) puisqu’il n’y a désormais qu’une seule civilisation. C’est ce qui s’appelle une solution radicale aux problèmes posés par le monde contemporain ! Il n’y a que nous, les autres n’existent pas. Les Grecs d’Alexandre n’allaient pas si loin : pour eux les Perses étaient des barbares mais ils existaient bel et bien, au point qu’Alexandre lui-même s’est « persisé » dès qu’il eut conquis leur capitale.
Raphaël Liogier nous explique donc qu’il n’y a désormais plus qu’une « civilisation globale », et cela depuis plusieurs siècles. En voilà au moins un qui, bien que de gauche, ne doit pas être très anticolonialiste ! Ce discours sur « la » civilisation unique était celui de la 3ème République.
Raphaël Liogier utilise pour son argumentation des soi-disant « concepts » : « Le voyage dans les espaces déterritorialisés » (le fantôme de Deleuze ?), « l’infinité d’internet » (nouvelle incarnation de l’infini divin ?). On ne sait pas très bien d’ailleurs si l’auteur exalte ou déplore cette réalité : « L’Europe devenue fondamentaliste, c. à d. en quête de son origine et de son hégémonie perdue » (nous sommes les fondamentalistes, n’est-ce pas ?). « Il faut dire que « le monde arabe a été le premier à être écrasé par le rouleau compresseur de l’occidentalisation ».
« La perméabilité des frontières a fait disparaître la figure de l’autre radical, l’étranger, le barbare (…). Il n’y a plus d’étranger radical, aucun autre n’est complètement autre ».
La disparition de l’altérité, c’est très précisément ce qu’on appelle le totalitarisme.
Puis un éloge attendu et convenu du relativisme : « Selon le Relativisme, les cultures ne sont que des variations autour du même genre humain ».

1. Mais le « genre humain », qu’est-ce que c’est ? Personne n’est plus capable, dans la postmodernité, ne serait-ce que de poser cette question. Darwin est passé par là !
2. Mais le relativisme est une valeur occidentale et non universelle – et cependant tout le monde devrait l’accepter !
On aurait tort de penser qu’il s’agit là d’une opinion individuelle sans importance. Le point de vue exprimé par Raphaël Liogier est celui de la grande majorité des élites cultivées occidentales.

Ecoutons les discours des hommes politiques, des religieux et des intellectuels, face au terrorisme djihadiste : c’est la guerre de LA civilisation contre LA barbarie. Le concept de « civilisation » étant supposé absolument consensuel, cette guerre permet donc de faire l’économie de toute analyse du réel : « Pas besoin de réfléchir, c’est évident ! ».
Pour aller vite, rappelons que la dénégation de l’altérité au nom de l’universalisme occidental commence avec le christianisme, la chrétienté romaine et européenne, et se poursuit avec les Lumières démocratiques et avec le marxisme internationaliste. Ce ne sont pas ces systèmes intellectuels que défend Raphaël Liogier et ceux dont il exprime la pensée : il s’agit pour eux du nouvel universalisme postmoderne, né sur les décombres de 1945, nourri au progressisme, à l’humanisme, au relativisme, et à l’exaltation du libéralisme marchand hédoniste. TOUT ce qui ne se soumet pas à ce cadre est « arriéré », « obscurantiste » et « fanatique ».

Que l’on m’entende bien : je ne prends pas ici la défense des djihadistes, qu’il faudrait créditer d’une résistance radicale à la mondialisation occidentale. Je dis seulement que le tort des ennemis ne fait pas la raison des amis, et que si l’Occident persiste dans son totalitarisme normatif, il a de fortes chances de s’engager dans une impasse.

Par Yéshayahou Baboulin 

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