L’ambassade de France à Bagdad dans une propriété spoliée
L’ambassade de France en Irak, située à Bagdad, fait actuellement l’objet d’une controverse discrète mais sensible. Elle serait établie dans un bâtiment autrefois propriété d’une famille juive irakienne, expropriée dans les années 1950 sans compensation. Le sujet, qui ressurgit périodiquement dans les débats publics et sur les réseaux sociaux, soulève à la fois des interrogations historiques, juridiques et morales.
Le bâtiment en question est une demeure de style patricien érigée dans les années 1930. À l’époque, il appartenait à une famille juive influente de Bagdad. La présence juive en Irak remonte à l’Antiquité, bien avant l’islam, mais cette communauté florissante fut peu à peu poussée à l’exil. Après la création de l’État d’Israël en 1948, les tensions intercommunautaires ont explosé dans plusieurs pays arabes, et l’Irak n’a pas fait exception. De nombreux Juifs irakiens ont été victimes d’agressions, de discriminations et de lois spoliatrices.
La révolution irakienne de 1958 a accéléré ce mouvement. Le nouveau pouvoir a nationalisé les biens appartenant à des familles juives ayant fui le pays, les accusant d’intelligence avec l’ennemi sioniste. C’est dans ce contexte que le bâtiment aujourd’hui occupé par la représentation diplomatique française aurait été confisqué par l’État irakien.
Une installation diplomatique post-spoliation
La France aurait installé sa mission diplomatique dans cette résidence dans les années 1960. Selon plusieurs sources, elle aurait cessé de payer un loyer pour cette propriété dès 1965, possiblement à la suite d’un arrangement avec le gouvernement irakien de l’époque. Aucune trace d’un transfert officiel ou d’un dédommagement envers les anciens propriétaires n’est disponible dans les archives publiques.
Il est probable que la France ait obtenu l’usage de ce bien par voie administrative, via les autorités irakiennes, sans contact direct avec la famille initialement propriétaire. Ce type de situation n’était pas rare dans les pays de la région où les biens abandonnés par les Juifs exilés ont souvent été réattribués à des institutions publiques, locales ou étrangères.
Une question épineuse de droit et de mémoire
L’affaire soulève des questions qui dépassent largement le cas irakien. La spoliation des biens juifs, que ce soit au Moyen-Orient ou en Europe, constitue un pan douloureux de l’histoire contemporaine. En France, des mécanismes ont été mis en place pour traiter les demandes de restitution liées à la Seconde Guerre mondiale. Mais à l’international, et notamment en ce qui concerne les biens situés en dehors du continent européen, il n’existe aucun cadre juridique contraignant pour forcer la restitution ou l’indemnisation des victimes ou de leurs descendants.
Dans le cas présent, aucune démarche officielle n’a été entreprise par les autorités françaises pour clarifier la situation du bâtiment à Bagdad. Aucun communiqué récent du ministère des Affaires étrangères ne mentionne ce dossier, malgré les interpellations publiques et médiatiques.
Un patrimoine disputé, un passé à reconnaître ?
Aujourd’hui, l’ambassade est toujours active dans ce bâtiment, fortement protégé pour des raisons de sécurité. La France possède également une autre résidence diplomatique à Bagdad, inutilisée depuis qu’elle a été pillée en 2003.
Si la question de l’occupation du bâtiment revient dans l’actualité, c’est en partie parce qu’elle touche à une mémoire longtemps ignorée : celle des Juifs d’Irak, presque totalement disparus du pays aujourd’hui. En 1948, ils étaient environ 150 000 ; à peine quelques dizaines y vivent encore. Le silence autour de leur histoire, et de leurs biens disparus, reste un sujet sensible.
Un dossier toujours en attente
Malgré les éléments disponibles, aucune confirmation officielle ne vient clore ce dossier. Le silence des autorités françaises laisse la porte ouverte aux interrogations : faut-il enquêter sur l’origine des biens immobiliers utilisés à des fins diplomatiques ? Doit-on envisager des gestes symboliques, voire des compensations, lorsqu’un bien est clairement identifié comme spolié ?
Ce cas illustre les problèmes de la restitution des biens saisis lors de périodes troubles de l’histoire. Il rappelle aussi que les mémoires oubliées finissent toujours par ressurgir, parfois là où on les attend le moins — derrière les murs d’une ambassade.
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