Détenus radicalisés: entretien sur i24NEWS avec un artisan de la « déradicalisation »

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Selon un intervenant, l’antisémitisme a une place importante dans le discours des détenus radicalisés.

Alors que le gouvernement a mis fin à l’état d’urgence il y a une semaine, le sort des détenus condamnés pour faits de terrorisme reste l’une des principales préoccupations pour la France.

Le nombre d’individus radicalisés incarcérés a explosé, accroissant l’inquiétante surpopulation des prisons du pays.

Selon le secrétaire général du syndicat pénitentiaire UFAP-UNSA, Jean-François Forget, on compte aujourd’hui en France environ 500 détenus condamnés pour des faits liés au terrorisme islamique, dont 130 qui ont été arrêtés après avoir regagné l’hexagone depuis les zones de combats djihadistes de Syrie et d’Irak, et 2.000 autres prisonniers de droit commun radicalisés.

Face à ce phénomène, l’administration pénitentiaire a mis en place différents plans visant à empêcher le prosélytisme dans ses établissements, éviter les débordements violents, et surtout engager un processus dit de « déradicalisation ».

Dans le cadre de l’action menée par le Service pénitentiaire d’insertion et de probation (Spip), Loïc (le nom a été changé, ndlr), formateur, intervient plusieurs fois par mois auprès de détenus condamnés pour terrorisme, dans différentes prisons de la région parisienne.

Spécialiste des questions de racisme, de discrimination et des théories du complot sur internet, Loïc a été très sollicité après les attentats de 2015, au moment où la question du vivre-ensemble s’est trouvée ébranlée et que le dialogue inter-religieux et la laïcité semblaient pour beaucoup être les réponses à apporter face à la radicalisation.

FRANCOIS NASCIMBENI (AFP/Archives)Près de 12.000 signalements pour radicalisation ont été effectués par le biais d’un numéro vert et des états-majors de sécurité
FRANCOIS NASCIMBENI (AFP/Archives)

Théories du complot

« A mes yeux, il était important d’aborder tous les sujets. Beaucoup ne voulaient pas parler de religion ou de politique par peur de vexer ou de stigmatiser, ou par peur d’aborder des sujets difficiles et de ne pas arriver à gérer ce qui allait en ressortir », se souvient-il.

« Il était d’autant plus important d’aborder ces questions avec les premiers concernés, à savoir les personnes radicalisées condamnées, car le besoin était chez eux encore plus important », ajoute-t-il.

En concertation avec les autorités pénitentiaires, Loïc a commencé il y a plus de deux ans à proposer aux détenus qui le souhaitent des activités ayant pour but de les rendre plus autonomes dans leur façon de penser.

« On parle beaucoup d’esprit critique. Je préfère parler de libre-arbitre, parce que dans tout ce qui est endoctrinement et théorie du complot, on parle justement d’esprit critique à l’excès: ‘il ne faut rien croire, il ne faut pas croire les médias' », explique-t-il.

Dans ses ateliers, le formateur aborde avec les détenus les questions de la posture victimaire ou encore les théories du complot sur internet et les réseaux sociaux, véritable terreau de l’endoctrinement djihadiste.

« Je les fais réfléchir sur la question de la source de ces théories auxquels ils adhèrent. Récemment, j’ai montré à un groupe une vidéo très utilisée par Daesh qu’ils avaient tous déjà vue et connaissaient très bien. Quand je leur ai démontré que cette vidéo provenait en réalité d’un mouvement évangéliste d’extrême-droite américain, ils ont été vraiment bousculés », témoigne-t-il.

HO (AFP/File)The atrocities of Islamic State members in Raqa are documented in the film « City of Ghosts »; image from IS’ official Al-Raqqa site via YouTube
HO (AFP/File)

Antisémitisme latent

Loïc aborde également la question des préjugés, en travaillant notamment sur des images détournées à des fins racistes, circulant sur internet, qui ciblent les musulmans ou les jeunes de cités. Il analyse les images avec les détenus, et les questionne sur les raisons qui poussent ceux qui les regardent à adhérer à l’idéologie qu’elles véhiculent.

« Il s’agit de comprendre ce qu’on veut faire dire à ces images, et de démontrer que celui visionne des vidéos racistes n’est pas nécessairement raciste, mais pétri de peurs et d’idées préconçues. Il est plus facile de partir des préjugés dont ils sont victimes pour arriver ensuite aux préjugés dont ils peuvent eux-mêmes être porteurs, parce que ce sont les mêmes mécanismes », souligne-t-il.

Loïc explique par ailleurs que la question de l’antisémitisme est centrale dans le discours des détenus radicalisés, beaucoup reprenant à leur compte les arguments de Dieudonné, selon qui les Juifs domineraient le monde.

« L’antisémitisme ressort vraiment énormément et de façon violente. Je sais que je les ai mis en confiance quand ils commencent à déballer leur haine antisémite », explique-t-il.

« Il existe cependant une vraie différences entre les gens de plus de 30 ans qui ont grandi avec des Juifs et ceux de moins de 30 ans n’en ont jamais vu. Les gens de plus de 30 ans peuvent être antisémites, mais ils vont être beaucoup plus nuancés dans leur discours en disant ‘les Juifs et les sionistes, ce n’est pas pareil, nous on a grandi avec les Juifs’, alors que les jeunes fantasment totalement sur la ‘figure du Juif' ».

 

Malgré les propos extrêmes et violents qui peuvent être tenus par les détenus, Loïc poursuit le dialogue afin d’aller au bout de sa démarche éducative.

Celle-ci passe, selon lui, par le travail en petit groupe qui permet aux détenus de se livrer plus librement. Mais c’est surtout le fait de les suivre sur plusieurs séances qui permet au formateur de gagner leur confiance et de bâtir un dialogue constructif.

ERIC FEFERBERG (AFP/Archives)Un dispositif spécial, d’une centaine de places au total, sera mis en place pour les femmes radicalisées, avec une évaluation organisée à Fleury-Mérogis
ERIC FEFERBERG (AFP/Archives)

Influence des co-détenus

Au fil de ses rencontres, Loïc découvre une population qui s’avère finalement très hétéroclite, et dont la composition est parfois assez éloignée des idées que les Français se font généralement des radicalisés.

« Aujourd’hui on a une définition du terrorisme qui s’est tellement élargie. Dans un même groupe, il y a des gens qui reviennent de Syrie, des gens qui ont simplement consulté des sites djihadistes ou des fichés S qui étaient au mauvais endroit au mauvais moment. Ces définitions très larges font qu’aujourd’hui cohabitent des gens qui ont des profils extrêmement différents », observe-t-il.

« Plus j’avance, plus je m’aperçois, heureusement ou malheureusement, que la plupart d’entre eux ne sont ni des monstres, ni des fous, et c’est assez perturbant. Je vois beaucoup de parcours de vie très cabossés, des gens qui ont fait des mauvaises rencontres ou qui sont très influençables, des gens qui n’ont aucun avenir, qui étaient dans la délinquance et qui ont basculé dans la radicalité », explique-t-il.

Cependant, la concentration des détenus terroristes dans les prisons demeure un sérieux obstacle pour ceux qui tentent de s’émanciper de l’idéologie djihadiste. Sitôt sortis de ces ateliers, les participants se retrouvent de nouveau soumis à la pression et à l’influence d’autres codétenus radicalisés, qui les ramène parfois en arrière.

Ainsi, pour de nombreux experts et professionnels du milieu carcéral, l’effort de sensibilisation reste très insuffisant et la France est en train de fabriquer une génération de djihadistes en puissance dans ses prisons, ce dont Loïc peut témoigner.

« Certains me disent : ‘je m’ennuie, je reste seul avec mon Coran toute la journée, et ce, pendant encore des années’. Si en plus, on ne les laisse évoluer qu’avec d’autres détenus condamnés pour terrorisme, c’est inquiétant pour la suite. Les premières vagues de sortie de prison de ces détenus sont prévues pour 2019. Et quand ils sortiront, certains seront au moins pareil, si ce n’est pire que lorsqu’ils sont entrés », s’alarme-t-il.

Le formateur s’efforce cependant de ne pas noircir totalement le tableau, et trouve des motifs d’espoir dans ses échanges avec les participants.

« Aujourd’hui une détenue m’a dit ‘la prison est une renaissance pour moi, parce que ça me permet de me couper des gens qui ont eu une mauvaise influence sur moi. Il fallait que je sois coupée d’eux pour réfléchir sur moi-même' », raconte Loïc.

Selon lui, la plupart d’entre eux reconnaissent volontiers qu’ils doivent payer pour ce qu’ils ont fait, et le profond désir de certains de réfléchir à leurs actes et de se remettre en question, permet malgré tout de faire preuve d’un certain optimisme.

« Mais il faut rester lucide. Ce n’est pas parce qu’ils reconnaissent leur tort qu’ils ont changé leur vision politique, religieuse ou complotiste du monde », tempère-t-il cependant.

Beaucoup considèrent que les prisons françaises sont une bombe à retardement, et qu’au lieu de faire reculer l’islamisme radical, elles sont devenues un terrain fertile qui ne fait que le renforcer.

Si la répression de ce phénomène reste indispensable, la prévention et le travail éducatif auprès des détenus radicalisés sont aujourd’hui, plus que jamais, en première ligne du combat que la République mène contre l’idéologie djihadiste.

Quelques chiffres:

– Au milieu de l’année 2016, le ministère de l’Intérieur indiquait qu’environ 1.910 Français étaient acquis à la cause du djihad en Irak et en Syrie, dont 600 à 700 d’entre eux avaient fait le déplacement dans les zones concernées. Beaucoup d’entre eux ont été tués dans les combats opposant Daesh aux forces de la coalition.

– 18.500 personnes sont inscrites en France sur le fichier des signalements pour la prévention de la radicalisation à caractère terroriste.

– 68.859 personnes étaient incarcérées au 1er avril, selon les chiffres publiés jeudi 17 avril par la direction de l’administration pénitentiaire.

– Les syndicats de l‘administration pénitentiaire dénoncent un manque chronique de moyens, avec un surveillant pour 150 détenus en moyenne.

Jérémie Elfassy est journaliste pour le site internet en français d’i24NEWS

Source www.i24news.tv

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