La « nouvelle génération » des éthroguim

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La nouvelle génération des éthroguim

Le cédrat (éthrog) est le seul fruit utilisé dans le cadre de la mitsva du loulav.
C’est un fruit délicat, difficile à élever. De plus, il doit être d’une beauté et d’une pureté aussi parfaites que possible ! Or il y a des solutions pour garantir la qualité du éthrog et l’aider à grandir plus facilement : greffer des branches d’un autre arbre, ou au moins lui injecter de la matière en provenance de tels arbres. Bien entendu, si le résultat sur le plan agronomique est intéressant, et donc sur le plan financier également, une telle conduite représente un défaut, et il est important : le résultat obtenu n’est pas un éthrog, mais un fruit hybride. Or la Tora nous demande expressément d’utiliser un éthrog, un vrai !
Bien sûr, dans le passé, le peuple juif utilisait des éthroguim originaires de certains pays, et leur accordait une totale confiance.
Jusqu’à ce que les arboriculteurs locaux comprennent l’intérêt qu’ils avaient de rendre les arbres qu’ils cultivaient plus solides et plus forts, et les renforçaient…

Prenons pour exemple les éthroguim de Calabre, en Italie (« Yanover »), si chers à ‘Habad. Le ‘Hatham Sofer, en son temps (fin du 18e s.), vantait déjà leurs qualités. On leur accordait une telle confiance qu’on voulait même dire que c’est de là que Moché rabbénou lui-même, à son époque, avait pris son éthrog… Toutefois, dans les années 50 du siècle dernier, les fruits de cette origine ont commencé à être trop beaux pour être vrais ! Certains s’en sont inquiétés, et ont questionné le rabbi de ‘Habad à ce sujet. Une enquête a été effectuée sur place, en Italie. Il en est ressorti qu’en effet, les paysans locaux avaient commencé à effectuer des greffes sur ces arbres, et que donc toute la confiance qui leur était accordée, en particulier parce qu’ils poussaient de manière sauvage, s’est effondrée. Il ne restait plus que la possibilité de se servir d’arbres anciens, dont on était à peu près sûr de la filiation…
Par la suite, des pousses, prises d’arbres vérifiés en Calabre, ont été replantées à Kfar ‘Habad, en Erets Israël.
Autre exemple d’un soudain changement de qualité : voici quelques décennies, une des sortes d’éthroguim d’Erets Israël, nommées « Kivilévitch », a d’un coup changé d’apparence. A la place de l’éthrog rabougri et plein de nervures qui caractérisaient cette production, ces fruits ont soudainement commencé à avoir bonne mine et à avoir un aspect tout à fait plaisant. Que s’était-il passé ? Le principal fournisseur de ces fruits a alors reconnu avoir ajouté un produit chimique quelconque pour renforcer sa production – mais les rabbanim, rav Israël Ya’aqov Fischer zatsal en particulier, ont considéré que ces éthroguim avaient perdu leur garantie de sérieux, et qu’il valait mieux se servir de fruits d’autres pedigree.
Ou encore : l’un des genres les plus sérieux en Erets Israël est celui originaire du Yémen. Nous allions nous-mêmes sur le terrain, dans l’une des agglomérations agricoles fondées par des Juifs originaires du Yémen, pour cueillir un éthrog. Une fois, nous avons demandé au paysan de nous indiquer les arbres les plus sûrs, vous savez, ceux sans problèmes. Et cette personne de nous indiquer deux arbres, rabougris, au bout du terrain : « Prenez de ceux-là ! » L’aveu était flagrant, et nous avons abandonné cette piste… (bien que, quand ils sont d’origine sûre, les yéménites ont plus de présomption de cacherouth que d’autres).
Ce genre d’histoires est récurrent, et pour cause : dès que les arboriculteurs tirent un intérêt à renforcer les arbres, ils le font, nous mettant ainsi dans l’embarras.

Les sources de nos jours

Avant la Shoah, les principales sources de éthroguim étaient le Maroc, l’Italie, l’île de Corfou et la Grèce. De nos jours, seule la production provenant du Maroc est encore utilisée. A ce que nous savons, les arbres poussent dans une région excentrée du Maroc, à l’état sauvage.

Il est toutefois difficile d’en importer en Erets Israël, car le ministère de l’Agriculture l’interdit : ces fruits ne sont pas surveillés sur le plan des maladies, et de plus, l’exportation de éthroguim d’Erets Israël étant d’une très grande importance, elle est garantie par l’interdiction d’importer des fruits de cette sorte d’ailleurs.
D’où proviennent les éthroguim locaux, en Terre sainte ? Dans le temps, avec le développement du Yichouv, diverses personnes ont cherché à savoir s’il restait des éthroguim d’antan sur place, et en ont trouvé chez les arabes, en particulier à Oum el Fa’hem, ainsi qu’en a témoigné le rav Yoël Moché Salomon en 1878. D’autres ont été retrouvés dans la région de Tsfat, ou encore vers Jéricho, à Wadi Kelt. A partir d’eux, diverses plantations ont été fondées, non sans recevoir l’approbation du ‘Hazon Ich pour la première source, et celle du Maharil Diskin, de Jérusalem, pour ceux de Wadi Kelt (« Kivilévitch »).
D’autres enfin ont importé quelques plants de l’étranger, de Grèce semble-t-il, mais leur bonne qualité, par rapport à ceux trouvés en Terre sainte, leur a valu des critiques : ils étaient trop beaux pour être vrais, alors que les fruits locaux étaient d’une piètre qualité sur le plan esthétique…
Avec le temps, le marché local a pris énormément d’ampleur, suite à l’accroissement de la population. De plus, le marché mondial s’est tourné vers Erets Israël, tant pour renforcer l’agriculture locale, qu’en raison de la validité des pousses locales, garantie par des grands rabbanim. Et comme dit, il ne reste plus tellement d’autres sources pour trouver de tels fruits de par le monde, si ce n’est au Maroc.
Mais cette croissance a incité de nombreux producteurs à s’intéresser à ces fruits, dont le prix est toujours très élevé par rapport au prix du kilogramme de citrons ! De là également, un certain risque quant à la qualité hilkhatique des fruits.

La nouveauté

Ceci nous amène au point dont nous voulons nous faire l’écho ici : la « nouvelle génération » des éthroguim !
Une nouvelle génération de producteurs d’éthroguim est née. Citons ici le rav Ya’aqov Zachs, dirigeant une Yechiva, et le rav Aharon Holès, roch Kollel, ainsi que le rav Weingarten, entre autres. Ces rabbanim ont décidé de reprendre la question à la source, et de ne faire pousser que des fruits d’origine sûre. Or comme ils sont eux-mêmes des personnes orthodoxes, saisissant parfaitement l’enjeu de la question, et tenant pour eux-mêmes à ce que leurs fruits soient d’une totale garantie, le public bien informé a rapidement compris l’intérêt de se servir chez eux en premier lieu, et non plus chez les anciens producteurs. Précisons que le rav Zachs a cessé d’oeuvrer dans ce domaine, et que c’est Weingarten qui a pris le relais, outre ses propres plans.

Toutefois, ce n’est pas totalement une nouvelle voie : déjà dans le temps, les connaisseurs cherchaient les bonnes adresses, dignes de confiance. Citons ici le « ‘Hakham David », rav David Yehoudayof de mémoire bénie, qui était un gendre de Baba Salé (on lui doit, du reste, un livre sur son beau-père) ! Il avait acquis, nous avait-il assuré, un éthrog d’un Juif yéménite qui l’avait lui-même apporté du Yémen, et planté. Toutefois, après sa disparition, les enfants ne sont pas parvenus à entretenir ses arbres, et ils ont séché.

D’autres prenaient leurs éthroguim directement des arbres plantés dans la proximité du ‘Hazon Ich, à Bené Braq. C’est le cas en particulier de l’arbre du rav Mikhal Yehouda Lefkovitch zatsal, l’un des grands rabbanim de notre génération, ou de celui des Tourtchin – mais combien de fruits pouvaient-ils fournir ?

Ces nouveaux producteurs ont approfondi la question, se mettant à la recherche de plants sûrs. Leur production marocaine provient directement de là-bas, et ils sont parvenus à faire ce que nul autre n’avait réussi : replanter ici ces éthroguim, pourtant adaptés au climat de l’Atlas dans le Sud marocain. Il en sera de même pour les éthroguim yéménites, et pour les autres sortes.

Un autre domaine dans lequel ces groupes ont pris de l’avance, en tout cas chez le rav Weingarten : les points noirs. Explication : l’un des soucis que posent les éthroguim est la présence de points noirs, qui les rendent dans certains cas inutilisables pour la fête. On peut éviter cela à l’aide de produits qui écartent les insectes, et qui permettent d’éviter ces défauts. Pour arriver à un résultat, il faut faire énormément d’essais, et c’est qui a été effectué chez ce producteur qui propose des fruits de qualité grâce à cela.
Mais, si secret il y a, et dans cette branche ils sont légion, la réussite dans ce domaine repose sur l’emploi d’un ingénieur agronome de haut niveau – non religieux du reste, qui assure le bon développement de ce verger.

Cependant, ces producteurs ne dépassent pas les quelques dizaines de milliers de fruits par saison, pour un terrain fort d’entre 8-10 dounam, ou peu plus. A l’image du travail de boutique dans le domaine du vin. Là aussi, chaque unité coûte assez cher, eu égard à sa qualité. Il faut donc savoir qu’il s’agit d’une production réservée à des gens qui comprennent la valeur de la mitsva, et qui savent apprécier la qualité du produit qui leur est proposé.
Exporter à l’étranger ? Nul n’en est encore là, mais tout dépend évidemment de la demande…
Exception : le rav Zachs a planté un verger aux Etats-Unis et dessert directement le public à partir de ces arbres.

La production du rav Weingarten est surveillée par un organisme de cacherouth qui garantit le prélèvement des dîmes (ce que les autres font d’eux-mêmes, bien entendu). Mais c’est dans le domaine de la ‘orla qu’une telle surveillance est importante, parce qu’il arrive souvent que le éthrog lance des branches souterraines, qui, quand elles éclosent du sol, peuvent dans certains cas être considérées comme des pousses nouvelles et risquent, à ce titre, d’être interdites.
Durant l’année de Chemita ? A son début, les producteurs font tout pour cueillir les fruits avant Roch haChana. Après, le éthrog forme une exception en son genre : alors que les fruits dépendent de la date du tiers de leur pousse, le éthrog dépend aussi de la date de sa cueillette. Soyons clairs : normalement, un fruit qui est déjà arrivé au tiers de sa pousse au moins à l’entrée de la Chemita (car a priori la date de départ de l’année de Chemita est Roch haChana, et non point Tou biChevat, même pour les arbres), n’est pas concerné par les lois de l’année de Chemita. Le éthrog est différent, et en conséquence, à partir du moment où on cueille le fruit après Roch haChana, il est concerné par les lois de la Chemita, ce qui complique son utilisation pour la fête. Les producteurs évitent donc d’en laisser sur les arbres en ce début de Chemita.
Quant aux fruits de l’an prochain, qui auront poussé durant l’année de Chemita, ils ne seront pas de bonne qualité : pour arriver à un résultat intéressant, il faut investir beaucoup de travail et de surveillance, ce qui ne sera pas fait durant l’année de Chemita puisque le verger doit être ouvert à tous. Par conséquent, il est à prévoir dès maintenant qu’il faudra se contenter de produits de moindre qualité alors, ou songer à en faire venir de l’étranger.

Nous voulions montrer ici une nouvelle tendance dans ce domaine, venant après de longues années où la production était déposée entre les mains de producteurs peu intéressés à produire des fruits de filiation bien établie. Cette information peut intéresser le consommateur averti, ou au moins montrer au public que même dans le domaine d’une mitswa déjà donnée au mont Sinaï, et respectée de génération en génération, des améliorations sont encore possibles, et sont entreprises encore de nos jours.

 

Par Yaaqov Manela

Kountrass numéro 179

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