Le courrier des Palestiniens a-t-il vraiment été bloqué par la faute d’Israël ?

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Israël a-t-il brimé les Palestiniens en les privant de leur courrier ? C’est ce qu’un reportage de l’Agence France-Presse (AFP) laisse entendre. Une recherche sur le contexte entourant les relations postales entre Israël et l’Autorité palestinienne suggère cependant des causes bien différentes à ce blocage.

L’article de l’AFP explique que « les colis, envoyés entre 2010 et 2018, étaient retenus par les autorités israéliennes, qui ont empêché leur entrée en Cisjordanie occupée depuis la Jordanie voisine. Mais un accord a finalement été trouvé et le courrier a été remis aux Palestiniens ».

Raison invoquée ? L’AFP cite le responsable d’un centre de tri de la poste palestinienne, Ramadan Ghazawi, qui avance que « les colis auraient été retenus pour des raisons de sécurité, ou plus prosaïquement à cause de questions administratives. »

En bref, Israël aurait sans raison évidente causé des tracas que l’on imagine volontaires aux Palestiniens. Pour illustrer la fourberie supposée de l’Etat juif, l’AFP choisit d’insister par deux fois dans l’article sur un fauteuil roulant qui aurait ainsi été empêché pendant plusieurs années par Israël d’atteindre son destinataire. L’agence en fait même l’une des principales photos d’illustration, bien que l’objet soit visiblement atypique parmi des milliers d’autres paquets plus conventionnels.

Il faut dire que Hossam Ezzedine, l’auteur de l’article, n’en est pas à son premier travail biaisé pour l’AFP. Il affiche d’ailleurs toujours sur son profil Twitter un parti-pris cadrant peu avec l’impartialité attendue d’un journaliste travaillant pour une grande agence de presse : « Journaliste vivant à Ramallah – PALESTINE. aime le football, indépendance ».

Première omission : Oslo

Un observateur israélien avisé, Tomer Ilan, a effectué une petite recherche pour savoir ce qu’il en était vraiment de cette histoire. Il en ressort que le récit de l’AFP déforme sérieusement la réalité en évitant de se pencher sur les causes de l’affaire.

Tout d’abord, l’AFP incrimine toujours Israël pour l’occupation de la Cisjordanie, dépeinte comme illégale : « Israël contrôle toutes les entrées et sorties vers la Cisjordanie, un territoire qu’il occupe depuis plus de 50 ans. Les autorités israéliennes peuvent empêcher le passage de tout type de marchandises et selon des responsables palestiniens, cette situation handicape leur économie et entrave la liberté de mouvement ».

Ce que l’AFP se garde systématiquement de rappeler, c’est que les rapports entre Israéliens et Palestiniens sont régis par les accords d’Oslo, signés par les deux parties. Des accords qui font que la région n’est pas occupée (comme elle le fut entre 1949 et 1967 par la Jordanie qui l’avait conquise), mais divisée en trois zones dont l’administration est répartie entre Israël et l’Autorité palestinienne d’un commun accord entre les deux parties. Cette situation voulue comme une étape perdure tant qu’un accord définitif n’est pas conclu.

Au sujet des services postaux, l’accord intérimaire de 1995, toujours en vigueur, stipule que « les modalités et arrangements pour envoyer et recevoir des éléments postaux, y compris les colis, entre le côté palestinien et des pays étrangers, seront arrangés par un accord commercial entre l’OLP, pour le bénéfice du côté palestinien, et les Autorités postales de Jordanie et d’Egypte, ainsi qu’un accord commercial entre le côté palestinien et l’Autorité postale israélienne ».

Deuxième omission : le boycott arabe d’Israël

L’Autorité postale israélienne est donc impliquée dans la circulation du courrier à destination des Palestiniens en vertu de ces accords signés par les Palestiniens eux-mêmes.

Le Monde indique que le courrier international devait jusqu’à présent être adressé dans des enveloppes indiquant « Cisjordanie via Israël », afin d’être transmis par Israël aux Palestiniens.

Le journal israélien Haaretz a confirmé cet état de faits en rapportant que « Hussein Sawafta, directeur des services postaux palestiniens, a dit qu’Israël retenait le courrier parce qu’il n’avait pas été correctement adressé aux services postaux israéliens ».

Dans une vidéo diffusée par Le Figaro, le responsable du centre de tri postal palestinien interviewé par l’AFP concède également que le problème tourne autour de l’adressage du courrier à Israël : « (…) Le courrier n’est pas arrivé malgré les ententes et les décisions entre nous et la partie israélienne et menées par l’Union postale universelle. La vraie raison était qu’Israël souhaitait que le courrier arrive sous le nom d’Israël pour bénéficier des frais de distribution ».

Non seulement aucune source ne permet de corroborer cette accusation de cupidité proférée envers Israël par Ramadan Ghazawi, mais celui-ci se contredit puisque c’est ce même responsable qui affirmait dans l’article de l’AFP que « les colis auraient été retenus pour des raisons de sécurité (NDLR explication peu crédible : le porte-parole de la poste israélienne expliquait en 2016 que le courrier à destination de Gaza était soumis à des contrôles de sécurité, mais pas celui destiné à la Judée Samarie / Cisjordanie dont il est question ici), ou plus prosaïquement à cause de questions administratives »… Il faudrait savoir !

Les propos de Ramadan Ghazawi confirment néanmoins que c’est bien le refus des expéditeurs arabes à mentionner Israël sur les enveloppes qui a causé le blocage. Ce que le responsable palestinien ne dit pas, c’est que certains pays arabes appliquent une politique discriminatoire en refusant toute relation avec l’Etat d’Israël dont ils ne veulent pas reconnaître la légitimité. Au point que le courrier en provenance de ces pays a donc été livré à la Jordanie, plutôt qu’à la poste israélienne qui l’aurait ensuite transmis aux services postaux palestiniens…

Pour débloquer la situation, les discussions qu’évoque Ramadan Ghazawi entre Israël et l’Autorité palestinienne ont bien eu lieu. La presse en s’en est faite l’écho en 2009, puis en 2016 lorsqu’un protocole d’accord a été signé pour permettre au courrier de parvenir aux territoires gérés par l’Autorité palestinienne directement via la Jordanie.

SIGNATURE DU PROTOCOLE D’ACCORD ENTRE LES REPRÉSENTANTS ISRAÉLIEN ET PALESTINIEN (PHOTO DU COGAT DANS LE JERUSALEM POST)

Mais comme l’expliquait l’article de Haaretz, citant le COGAT (l’autorité israélienne qui supervise notamment la circulation des biens entre Israël et les territoires sous administration palestinienne) un accord définitif a mis du temps à prendre forme et aucun transfert de courrier n’avait encore été effectué ; d’où ce geste de transfert de plusieurs tonnes de courrier jusqu’alors bloqué à cause de libellés incorrects, qui se veut être une marque de bonne volonté de la part du COGAT.

Le traitement de l’information suscite la vindicte contre Israël

On le voit, il n’est nullement question de fourberie gratuite, ni même de raisons de sécurité. Quant aux tracas administratifs, ils semblent bien être largement dus à la volonté de boycott d’Israël par des pays du monde arabe.

Le sujet lancé par l’AFP a été repris sous le même angle par de nombreux médias francophones (France InfoLe MondeLe Matin en Suisse), mais aussi ailleurs dans le monde : New York TimesBBC (lire l’analyse de BBC Watch), The Guardian (lire l’analyse de UK Media Watch)…

Sur les réseaux sociaux, le sujet a suscité des commentaires acerbes contre Israël. Sur Facebook, le commentaire le plus liké de la vidéo réalisé par France Info était « cet Apartheid est infecte. Boycottons tous les produits provenant d’Israel. Ça suffit ! ». Certains allaient même plus loin, sans que la modération de France Info n’y trouve à redire, en n’hésitant pas à nazifier Israël (« Israël reproduit le ghetto de Varsovie aux palestiniens »).

Ces dérives ont dû trouver un terreau fertile dans le ton accusatoire de l’AFP reprochant à Israël le blocage du courrier, sans se soucier du contexte légal, des causes pouvant provenir de l’attitude du monde arabe face à Israël, et des efforts entrepris par Israël pour résoudre la crise. Un cumul d’omissions qui n’est pas indicateur d’un journalisme équilibré.

Source infoequitable.org

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