Pacte du sang druze et Etat-nation: une équation complexe

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La communauté druze israélienne et ses 135 000 citoyens, concentrés majoritairement dans quatre villages du Nord du pays, font rarement la une des journaux. Quand c’est le cas, c’est qu’un soldat druze a été tué au combat. Statistiquement, cela semble logique.

En effet, environ 83% des jeunes Druzes servent dans les rangs de Tsahal. Il s’agit là du taux d’engagement le plus élevé en Israël, toutes communautés et tous secteurs confondus, y compris les Juifs. Ce pourcentage a toujours été source de fierté, aussi bien pour l’ordre social israélien que pour la communauté druze.

 Pour l’Etat hébreu, cette statistique mirobolante constitue la meilleure réponse aux accusations de racisme dont il est victime. Les Druzes (du moins la plupart d’entre eux), sont toujours très fiers de montrer leur héroïsme et leur fidélité à Israël.

Mais aujourd’hui, cette communauté fait la une des journaux pour tout autre chose : ce sont en effet les Druzes qui mènent le combat contre la nouvelle loi controversée sur l’Etat-nation. Les Druzes, frères d’armes des Israéliens, sont exclus de la définition de la loi qui définit la nature de l’Etat.

Les Druzes se sentent mis à part. D’autres communautés arabes et des cercles juifs libéraux ont rejoint le mouvement protestataire mais ce sont les Druzes qui sont véritablement le porte-étendard de ce combat.

Kobi Gideon (GPO)Netanyahu meeting with leaders of Druze community, July 29, 2018
Kobi Gideon (GPO)

Alors que d’autres minorités en Israël peuvent seulement parler en termes de démocratie et d’égalité (deux termes qui n’ont pas vraiment le vent en poupe de nos jours), les Druzes ont le droit de parler au nom d’un « pacte de sang » qui met très mal à l’aise la classe politique israélienne.

Il n’a fallu que quelques jours après le passage de la loi pour que les ministres du gouvernement israélien se rendent compte de l’erreur qu’ils venaient de commettre. Le ministre des Finances, Moshe Kahlon, du parti « Koulanou », a proposé d’amender la loi qui définit Israël comme un Etat-nation juif. Le Premier ministre Benjamin Netanyahou a à plusieurs reprises affirmé qu’aucune lettre ne sera changée à cette loi mais il ne reste pas les bras ballants pour autant. Il a déjà rencontré à plusieurs reprises des représentants de la communauté druze depuis que la loi a été adoptée et leur a proposé un plan d’investissement dans leur secteur. Pour le moment, ces derniers ont refusé.

« Personne ne peut nous acheter », revendique Rafik Halabi, maire de la municipalité de Daliat el Carmel et ancien rédacteur en chef de la chaîne de télévision d’informations dirigée par l’Etat d’Israël.

« Ce n’est pas un combat politique », se défend Halabi, qui faisait partie de la délégation qui a rencontré Netanyahou. « Nous nous battons contre une loi arrogante et pour notre place dans cette société ».

Comme si les choses n’étaient pas déjà assez compliquées, Netanyahou a ouvertement déclaré que la gauche israélienne avait oublié ce qu’était le sionisme et que c’était à elle qu’étaient dûs les mouvements contre cette loi.

Pour la communauté druze, ces propos revêtent la signification suivante : « Non seulement ils ne font pas partie de notre pays, mais en plus, ils ne sont pas assez intelligents pour prendre leurs propres décisions sans consulter la gauche ».

GPOThe spiritual leader of the Druze Community in Israel has reportedly welcomed what he called a “historic and very important proposal” from Prime Minister Benjamin Netanyahu on August 1, 2018, as a compromise to the contentious nation state bill declaring 
GPO

Le vote de la communauté druze aux élections de 2015, qui a conforté la place de Netanyahou, reflète cependant une réalité plus complexe. Environ 40% des Druzes avaient voté pour la Liste Arabe car elle présentait un candidat druze.

Mais en comparaison, les partis sionistes de droite ont récolté plus de voix druzes que les partis de gauche. En effet, de nombreuses personnes issues de la communauté partagent le point de vue du candidat du Likoud.

Atta Farhat, à la tête du Conseil druze sioniste pour Israël, accuse ouvertement les partis politiques de gauche d’instrumentaliser les Druzes et est d’accord sur le fait que seuls les Juifs méritent d’avoir des droits nationaux. Si l’on en croit Farhat, de nombreux autres membres de la communauté druze sont du même avis mais sont contraints au silence.

Ce samedi, la communauté druze jouera un rôle de premier ordre lors d’une manifestation à Tel Aviv, une ville assez inhabituelle pour les militants druzes. En parallèle, des officiers druzes de Tsahal ont déjà quitté l’armée, incitant les leurs à faire de même.

Une jeune femme druze a annoncé qu’elle ne laisserait pas ses fils servir dans Tsahal : « Nous ne sommes plus les pigeons de ce pays », a-t-elle déclaré avec amertume.

La réponse de l’armée ne s’est pas fait attendre. Le chef d’Etat-major Gadi Eizenkot et le brigadier-chef à la retraite Amal As’ad, un militaire druze, ont appelé la classe politique à rester en dehors des affaires militaires.

Depuis 1956, date où la loi de circonscription israélienne a commencé à s’appliquer aux Druzes, le service militaire fait partie intégrante de l’identité druze. Cet élément constitue une différence sensible entre les communautés druze et arabe.

AFP/ Jalaa/MareyDes membres de la communauté druze d’Israël arrivent pour assister à une célébration sur la tombe sacrée de Nebi Shu’eib dans le nord d’Israël le 25 avril 2018.
AFP/ Jalaa/Marey

Mais le débat « Druzes ou Arabes » est toujours d’actualité. Tous les Druzes et les chercheurs ne sont pas d’accord sur la différence entre les deux communautés. Même si Druzes et Arabes parlent la même langue, les Druzes pratiquent une religion issue de l’Islam chiite et ont obtenu une reconnaissance officielle en tant que communauté pratiquant une religion différente après des siècles de persécution à travers tout le Proche-Orient.

« Je suis druze, arabe et israélien », revendique Salman Masalha, un célèbre poète et essayiste qui écrit aussi bien en arabe qu’en hébreu. L’un de ses ouvrages a d’ailleurs reçu le Prix du président israélien de littérature. Le titre de ce livre est « In place » mais n’explique pas de quel endroit il s’agit.

« La loi sur l’Etat-nation fait partie d’un concept colonial qui considère les Druzes comme originaires du pays », a-t-il déclaré à i24NEWS. « Ils sont vus comme une tribu originaire d’ici et l’on espère qu’un jour ils oublieront que cette terre est la leur ».

Le compromis que propose Netanyahou pourrait en réalité creuser encore davantage le fossé qui existe entre les Druzes et les autres communautés arabes, notamment les Musulmans.

Les avantages offerts aux minorités qui servent dans l’armée israélienne mais qui ne seront pas accordés aux autres, pourraient envenimer la situation. Cela créera également une différence plus importante entre les anciennes et jeunes générations de la communauté druze.

Les jeunes Druzes s’identifient de manière ostentatoire aux Arabes ou aux Palestiniens. Dans le même temps, le nombre de Druzes fermement opposés au service militaire augmente lui aussi. Et même si ces chiffres n’ont pas encore atteint un seuil que l’on pourrait qualifier d’alarmant, c’est un phénomène relativement nouveau. Les spécialistes qui se sont penchés sur ce phénomène affirment que ce n’est pas une question d’idéologie mais qu’il s’agit plus volontiers d’une rancune grandissante envers le pays et d’un sentiment de discrimination.

Cela rend le terrain encore plus fertile pour que la loi sur l’Etat-nation prospère. Le fait que les Druzes soient omis de la définition n’est pas une coïncidence.

En réalité, les Druzes combattent l’esprit de cette loi depuis longtemps, alors même que l’idée venait à peine de voir le jour. Cela fait déjà longtemps que forums et réseaux druzes débattent ouvertement de ce projet. A présent, il s’agit de savoir si la protestation de la communauté constitue un simple épisode ou marque un réel tournant dans les relations singulières entre l’Etat hébreu et la communauté druze.

Lily Galili est journaliste, analyste de la société israélienne et experte en immigration de l’ex-Union soviétique. Elle est co-auteur de « Le million qui a changé le Moyen-Orient ».

Source www.i24news.tv

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