« Poutine ne considère plus l’Union européenne comme une priorité »

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Hommes d’affaires franco-russe, Edouard Moradpour analyse l’environnement économique de ce pays-continent qui vient de réélire Vladimir Poutine à plus de 75% des voix. Après les années de vaches maigres de la décennie 1990, si la Russie a retrouvé une partie de sa puissance, elle peine à reconstruire un modèle économique solide et se tourne de plus en plus vers l’Est. Entretien.


Daoud Boughezala. Vous avez fait des affaires dans la Russie postsoviétique, aussi bien au lendemain de la chute de l’URSS que pendant les années Poutine. L’environnement juridique, fiscal et sécuritaire russe est-il aujourd’hui favorable aux investissements étrangers et à l’activité économique ? 

Edouard Moradpour1. L’environnement juridique, fiscal et sécuritaire est beaucoup plus favorable, mais reste toujours handicapé par une bureaucratie pesante et parfois par une corruption banalisée. En revanche, depuis la crise ukrainienne de 2014, les sanctions occidentales ont créé une barrière quasi infranchissable pour les investissement étrangers en dollars et en euros

La Russie en a-t-elle vraiment fini avec les expropriations sauvages des années 1990, l’irrespect des contrats et la contagion mafieuse ?

La période eltsinienne des années 1990 a été marquée par la « privatisation » et non pas des « expropriations ». La réalité de la privatisation a été « le partage du gâteau » par les oligarques. La plupart des oligarques des années 1990 ont cédé la place à une nouvelle garde rapprochée de Poutine qui contrôle aujourd’hui l’économie russe. Une nouvelle génération qui constitue en quelque sorte le « système prétorien » du pouvoir en place. Ces « élites » proches du Kremlin sont évaluées à environ 50 personnes pour un premier cercle et 500 personnes pour un deuxième cercle.

Depuis la fin du rattrapage russe puis les sanctions internationales, le taux de croissance a périclité. En dehors des hydrocarbures, Poutine est-il parvenu à construire un modèle économique viable ?

La Russie ne s’est pas « effondrée » à la suite des sanctions, malgré l’espoir des Occidentaux. La croissance du PIB a même été de 1,5% en 2017. Cependant l’économie russe reste toujours très dépendante de l’énergie (gaz et pétrole), des matières premières et de l’armement. Poutine n’a pas réussi à transformer la structure de l’économie russe dans ses fondements. La structure de l’économie russe a peu évolué dans les vingt-cinq dernières années. Au cours de sa campagne en vue de l’élection présidentielle du 18 mars 2018, Poutine n’a pas proposé de programme économique. Au cours des dernières semaines il a cependant insisté sur les nouvelles technologies, le high-tech, futur défi de l’économie russe.

La politique étrangère russe en Ukraine et en Syrie coûte des millions d’euros. A l’instar de son homologue américain, le complexe militaro-industriel pèse-t-il lourd dans les choix géopolitiques et diplomatiques de Poutine ? 

Toute la stratégie de pouvoir de Poutine est axée sur le secteur militaire, tant au niveau intérieur que vis-à-vis de l’occident. Dans son discours du 1er mars 2018 à la Douma (Parlement ), il a très nettement mis en avant le nouvel arsenal nucléaire sophistiqué du pays. Les choix géopolitiques et diplomatiques sont essentiellement basés sur la force militaire (Crimée, Ukraine, Syrie). Cependant, le budget militaire de la Russie ne représente que 10% du budget américain. Le slogan de la campagne de Poutine est très clair : « Une Russie forte ». Poutine joue sur la souveraineté et le patriotisme.

A mesure que la Russie s’éloigne des Occidentaux, Poutine et les élites économiques russes construisent-elles des ponts économiques avec l’Asie, le Caucase ou le Moyen-Orient ? 

En effet, après son isolation par les occidentaux après 2014, la Russie ne considère plus l’Union Européenne comme une priorité. Poutine a décidé de se tourner vers la Chine et certaines républiques d’Asie pour développer un nouveau pôle économique et une sphère d’influence appelée l’Eurasie. Pour Poutine, l’avenir semble plutôt se dessiner à l’Est. Sans prendre parti pour ou contre Poutine, je pense qu’il conservera son pouvoir « vertical », d’une manière ou d’une autre, bien au-delà de 2024. Dans mon livre, je suis même allé jusqu’à titrer mon épilogue : « Poutine à jamais ? »

Source www.causeur.fr

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