Face à la menace balistique iranienne, la doctrine de défense d’Israël ne bouge pas

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Source : Ami Rojkes, Israel Defense

Les nouvelles publications concernant les capacités balistiques de l’Iran et des modifications géostratégiques induites par la crise du covid soulèvent de nouveaux questionnements, quant à la perception de la menace iranienne par Israël.

Des fuites, parues dans les médias ces dernières semaines, montrent que les responsables israéliens de la défense, malgré leurs promesses de revoir la stratégie, font preuve d’une paralysie conceptuelle coupable. Le discours des dirigeants qualifie le danger iranien de « presque existentiel ». À ma connaissance, aucune mesure pour faire face à cette menace n’est mise en œuvre.

Salves de barrage de missiles, depuis des lanceurs enterrés

Il y a quelque temps déjà, a paru dans des médias spécialisés, une information faisant état de possibilité, de la part des Iraniens, de tirs multiples et simultanés de missiles, depuis des rampes souterraines. En d’autres termes, les Iraniens ont conçu un « chargeur de missiles » qui leur permet de lancer des salves de missiles en quelques minutes et « d’arroser » réellement, une ou plusieurs cibles en Israël. Combien de missiles pourrait intercepter une batterie anti-missiles et de façon simultanée ? La question reste ouverte.

En pratique, l’Iran pourrait lancer des salves de missiles à tête nucléaire sur des cibles au centre du pays, le centre de Tel-Aviv, par exemple. Un tel missile a un CEP (circular error probability) de quelques mètres. De plus, les spécialistes iraniens ont la capacité de corriger les trajectoires en vol, et améliorer, par là-même, l’efficacité des missiles. Suivant les estimations, une seule bombe nucléaire, explosant au centre de Tel-Aviv, pourrait entraîner des ravages susceptibles d’entraîner la paralysie totale du pays.

Pour augmenter l’incertitude opérationnelle, l’Iran pourrait lancer des salves de missiles combinés. À savoir, certains à tête classique, et d’autres à tête nucléaire. Aujourd’hui, on ne connaît aucun moyen de reconnaissance préalable du type de tête. Par conséquent, du point de vue israélien, toute salve de missiles provenant d’Iran, est définie comme une salve de missiles nucléaires.

Herméticité du parapluie anti-missiles israélien

Le commandement balistique israélien est-il capable d’assurer l’herméticité optimale du parapluie israélien ? Évidemment, non. C’est pourquoi Israël construit un parapluie multi couches. La capacité d’Iran, de tirer des missiles à partir de bases souterraines, donne l’avantage de la surprise à Iran, car la collecte de renseignements pour des installations enterrées est infiniment plus difficile.

Du fait de la surprise, donc la méconnaissance de « quand et d’où », que pourrait-il être entrepris pour donner à Israël un relatif avantage tactique ? Évidemment améliorer le renseignement par facteur humain et électronique, grâce à l’inventivité et l’excellence des services israéliens. Israël explore une piste supplémentaire. En effet, on suppose qu’une confrontation entre l’Iran et Israël, ne conduira pas immédiatement à l’emploi d’armes nucléaires iraniennes, mais elle commencera par une guerre conventionnelle. Donc, dans ce laps de temps entre classique et nucléaire, Israël devra projeter vers l’intérieur du territoire iranien, une force d’attaque rapide sous forme de commandos, spécialisés et entraînés à la destruction des équipements enterrés.

Cependant, il faut mettre un bémol à cette tactique. Le régime iranien construit son système balistique, non pour la défense du territoire, mais pour assurer sa survie propre.

Autrement dit, si les caciques du régime sentent qu’Israël ou les États-Unis essaient de nuire de quelque manière que ce soit, à la survie du régime, ils pourraient sauter l’étape conventionnelle et passer directement à la guerre nucléaire.

Israël ou les États-Unis connaissent-ils l’état actuel du programme nucléaire iranien ? Probablement pas. L’hypothèse officielle en Israël est que l’Iran ne possède pas encore d’ogives nucléaires, adaptables sur un missile. Donc, compte tenu du niveau des renseignements quant à l’atome iranien, Israël doit maintenir la thèse de son « ambiguïté nucléaire », ensuite préparer l’armée à une action foudroyante en profondeur du territoire iranien et organiser ses forces aériennes à des raids inventifs et surprenants.

L’armée de l’air à l’ère des missiles iraniens

Dans une récente conférence virtuelle, Dr Uzi Rubin, (l’ancien directeur de la direction de R&D au sein du ministère de la Défense), a fait valoir que dans la configuration de tirs multiples et simultanés, l’armée de l’air, telle qu’organisée aujourd’hui, aurait de réelles difficultés à remplir ses missions de défense et d’attaques. Le Dr. Rubin compare une base de l’armée de l’air à un porte-avions au sol. Quel que soit le dispositif d’interception déployé pour défendre la base, il serait impossible d’assurer à cette base un parapluie efficace, ce qui aurait pour résultat sa mise hors d’état de fonctionnement, durant la phase critique de l’attaque des missiles.

Si la quantité de missiles est telle, que bon nombre de bases aériennes soient touchées, l’Iran serait en mesure de clouer au sol la majorité des avions de l’armée de l’air, dès la première heure du conflit. Dans un tel cas, la réponse israélienne rencontrera un problème. Par ailleurs, un tel cas créerait une insuffisance d’avions aussi bien pour répliquer à l’attaque, que pour assurer la défense du territoire, devant d’éventuels, mais peu probables, raids de l’aviation iranienne, qui considérerait, à tort ou à raison que le ciel israélien se trouve sans défense.

Un missile tiré depuis l’Iran atteint Israël en quelques minutes. Cela suppose qu’une partie importante des aéronefs doit se tenir à un niveau d’alerte opérationnelle maximum et ce 24/7, 365 jours de l’année. Ces avions doivent pouvoir décoller, avant que les missiles iraniens n’atteignent leurs bases aériennes, les rendant inutilisables. L’armée de l’air israélienne est-elle dans cette configuration opérationnelle ? Visiblement, non.

Même si les avions réussissaient à décoller pour une réplique en Iran, trouveraient-ils, à leur retour, des pistes pour atterrir ? Devront-ils atterrir sur des bases américaines au Moyen-Orient ou dans le Golfe ? Existe-t-il de telles procédures de coordination avec les Américains ? Et si de tels arrangements existent, seront-ils fiables en temps de guerre ? La réponse à ces questions reste ouverte….

De plus, le Dr. Rubin a également inclus dans la menace toutes sortes d’aéronefs sans pilote, drones, et engins volants suicidaires. L’attaque iranienne contre des installations pétrolières en Arabie saoudite l’année dernière, a impulsé une réévaluation de la menace iranienne en Israël. Comment l’Iran, avec une armée de l’air vieillissante, dont les avions assurent difficilement la défense du territoire, a su et pu réaliser une attaque complexe, contre un pays disposant d’une force aérienne moderne ? Tout simplement en utilisant une trentaine de drones suicide, d’une précision redoutable.

Le Dr. Rubin a également mentionné l’attaque, cette fois, par des missiles iraniens de précision, contre un quartier général kurde en Irak. Le Dr. Rubin a averti qu’un pays sans force aérienne moderne pourrait, en utilisant une masse de drones de précision « bon marché », rendre inopérante une force aérienne moderne. Or, en Israël, la doctrine militaire d’attaque s’appuie essentiellement sur l’armée de l’air. En réponse à cette menace, Iran met sur pied une armée d’aéronefs suicides sans pilote et une force balistique de précision. Une attaque surprise massive, opérée par toutes ces armes, pourrait neutraliser bon nombre de bases aériennes du pays. Simultanément à cette première attaque, Iran pourrait lancer des missiles de précision depuis son territoire et ordonner à ses « proxys » de procéder de même depuis l’Irak, la Syrie ou le Liban. Dans ce cas, toute ou presque, population civile se retrouverait en première ligne du front.

Cette nouvelle doctrine stratégique iranienne, à savoir la création d’une infrastructure balistique enterrée, rend sa destruction par l’armée de l’air israélienne pratiquement impossible. Cela permettra à l’Iran, outre les cibles militaires, de lancer des salves continues de missiles de précision, sur des infrastructures stratégiques en Israël, telles que centrales électriques, hôpitaux et routes, essentielles pour mobiliser les réservistes et la logistique.

Lapins dans un chapeau

Le premier de ces « lapins » est la force nucléaire. Il faudrait changer la doctrine actuelle qui est le maintien d’un flou quant à son existence et statut, parmi les autres armes israéliennes. Il faudrait déclarer cette force opérationnelle et qu’Israël considère l’arme nucléaire comme utilisable dans un scénario de guerre balistique généralisée. Cette attitude restaurerait officiellement, la dissuasion face à la théocratie des mollahs.

Le second « lapin » serait la création d’une véritable armée balistique d’attaque, indépendante des armées de terre et de l’air. Israël, selon les publications étrangères, possède bien des missiles de croisière de 1600 à 2000 km de portée, mais leur quantité est nettement insuffisante pour constituer une dissuasion qui inquiéterait le régime iranien. Effectivement, dans le cas où Iran réussirait à neutraliser une bonne partie des bases aériennes, rendant par là-même l’aviation israélienne inopérante, cette « nouvelle » armée balistique resterait l’unique réponse, avant l’emploi cataclysmique de l’atome. Il faudrait aussi que cette armée balistique possède des moyens technologiques lui permettant de lancer des salves multiples et simultanées de missiles, à l’instar de l’Iran.

Aujourd’hui en Israël, le concept opérationnel d’attaque est basé sur l’Air force. La prévalence de ce concept, n’a pas laissé de place aux autres stratégies alternatives d’attaque. Par conséquent, Tsahal, n’a pas développé sa force de missiles offensifs à longue portée, comme l’ont fait les Iraniens, car justement, leur force aérienne est pratiquement obsolète. Malheureusement, Israël ne s’était pas donné des moyens budgétaires, ni pour développer sa force balistique propre, ni pour acquérir une quantité de missiles suffisante, auprès des Américains ou autres fournisseurs étrangers.

De plus, l’instabilité politique israélienne, outre l’empêchement d’une décision politique, ne permet pas, en ce moment, l’attribution de moyens budgétaires au développement d’une arme balistique d’attaque, à moyenne et longue portée. Rajoutons à cela une certaine rigidité conceptuelle des « élites militaires », qui ne comprennent pas que les missiles d’attaque n’ont pas besoin de pistes, ni d’avions ravitailleurs, ni de pilotes. De plus, si Israël modifie sa stratégie, en mettant sur pied une réelle force balistique, cela mettrait en échec la stratégie des gardiens de la révolution iraniens, qui misent sur leurs armes balistiques pour effectuer une frappe préventive et « effacer Israël de la carte du monde ».

Toutefois, il y a eu par le passé, de la part d’Israël, des tentatives d’inclure dans l’assistance militaire américaine, des missiles de croisière, mais ces demandes se sont soldées, curieusement, par un refus.

Hélas, l’arrivée au pouvoir des démocrates, ne facilitera pas les rapports d’Israël avec la présidence de Biden[1].

Le troisième lapin serait un réexamen drastique du système de défense antimissile israélien. La configuration de cette défense servirait, entre autres, deux buts :

  • Premièrement – empêcher la neutralisation des bases aériennes ;
  • Deuxièmement – détruire, loin du territoire israélien les missiles iraniens à tête nucléaires.

Sachant qu’il n’existe pas un parapluie parfaitement hermétique, il faut dès maintenant, étudier quels systèmes créeraient une couverture antimissile optimum.

Est-ce que les systèmes de défense antimissile installés près des bases de l’armée de l’air ou des centrales électriques, sont capables de remplir leur mission, dans le cas d’une attaque surprise de missiles de précision, par salves multiples et simultanées ? Il faut mentionner que seuls les missiles américano israéliens Arrow-3 (contre les missiles balistiques) et Arrow-2 (contre les missiles en atmosphère) sont capables d’intercepter les missiles iraniens. Aujourd’hui, Israël ne possède pas de lanceurs en nombre suffisant, ni l’infrastructure capable d’assurer leur déploiement massif, contre la menace iranienne actuelle. Est-ce que la direction de R&D au sein du ministère de la Défense fait tout ce qu’il faut pour commencer à résoudre la problématique posée par les dernières réussites balistiques des iraniens ?

Deuxième frappe

Revenons un instant au contexte nucléaire. Un réseau iranien de dépôts de missiles souterrains, dans des bases secrètes, avec la capacité de lancements simultanés multiples, pose une question difficile aux décideurs en Israël. Par ailleurs, en cas d’attaque israélienne préventive, les sous-marins iraniens porte-missiles sont capables d’infliger une « seconde frappe », indépendante des centres de décisions du régime iranien. Mais également, les bases enterrées inconnues d’Israël, sont à même de mener une seconde frappe, indépendamment des résultats de l’attaque préventive israélienne.

La possibilité que l’Iran soit capable d’infliger une « deuxième frappe » depuis deux sources distinctes et indépendantes, fait monter les enchères, c’est-à-dire, avantages et inconvenants, d’une attaque préventive israélienne. Puisque l’Iran est considéré comme un pays « au seuil nucléaire » (les estimations officielles parlent d’une année, à partir de fin 2020, avant la première bombe opérationnelle), cela signifie que la fenêtre de tir, d’une attaque préventive se referme doucement. Au fil du temps, l’Iran améliore son réseau de missiles offensifs, construit ou acquiert des systèmes de défense aérienne, d’autant plus facilement que l’embargo sur les armes à destination de ce pays, a pris fin en octobre de cette année.

À cela, il faut ajouter les changements à la Maison Blanche. Avec Joe Biden, la ligne belliciste envers l’Iran est susceptible de changer. Au travers de sanctions économiques, Trump a essayé de rendre les choses plus difficiles à Iran. Par ailleurs, en armant les pays autour de l’Iran, Trump espérait limiter les velléités impérialistes de Téhéran dans la région. Le changement à la Maison Blanche entraînera un changement géostratégique en défaveur d’Israël. Il est douteux que l’administration Biden soutienne l’idée d’une attaque préventive israélienne contre l’Iran. Israël peut-il à lui seul contrecarrer le programme nucléaire militaire iranien ?

Pour contrecarrer le programme nucléaire militaire de l’Iran, il faut, premièrement, cartographier tout le territoire et identifier, par quelque moyen que ce soit, les sites à attaquer. Convenons qu’il s’agit d’un défi opérationnel très complexe. Deuxièmement, il faut disposer d’une capacité pratique pour détruire ces sites depuis les airs. Si Iran a disséminé les composants des missiles, les ogives et les sites de production dans différentes infrastructures souterraines, la mission de les frapper devient pratiquement infaisable. Parallèlement à cela, il faut garder à l’esprit, que toute attaque contre l’Iran provoquera une réponse iranienne, dont le niveau dépendra de l’ampleur d’inquiétude de Téhéran quant à la survie du régime. En d’autres termes, plus une attaque israélienne est réussie, plus grande est la probabilité d’une réponse nucléaire iranienne.

En conclusion, le concept israélien de s’appuyer sur un système de défense à plusieurs couches contre les missiles, plus une attaque de l’armée de l’air, est en passe d’être contrecarré par la nouvelle stratégie balistique de l’Iran. Il est clair, que les Iraniens ont bien compris le concept opérationnel israélien, et agissent dans le but de le saper. Par ailleurs, Israël, malgré ses capacités l’industrielles, rencontre de grandes difficultés à mettre en œuvre une réponse balistique face à la menace iranienne. Outre la problématique militaire, Israël pourrait, le cas échéant, se retrouver dans une grande difficulté, pour défendre sa population et les infrastructures (électricité, eau, transports, hôpitaux, télécommunications, etc.), afin d’éviter la désorganisation de la société civile israélienne

Si les concepts de stratégie balistique israélienne restent en état et n’évoluent pas en vue de donner une réponse adéquate aux menaces actuelles iraniennes, Israël risque dans la prochaine décennie, de se retrouver dans une position stratégique inférieure vis-à-vis du pays des mollahs.

Édouard GrisMABATIM.INFO
Traduction et adaptation

[1] Note du traducteur

1 Commentaire

  1. Si à l’avenir les Mollahs restent ce qu’ils sont, alors, à la lecture de cet article passablement radioactif il semblerait qu’un dénouement de l’histoire n’est plus qu’une question d’un temps qui semble véritablement compté.

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