Le cosaque sauveteur

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Zekharia se conduisait avec droiture. Il tirait sa subsistance de terrains que le propriétaire du village lui louait, et œuvrait de ses propres mains pour les travailler : labourer, ensemencer et effectuer la collecte des produits agricoles.

 

Il s’occupait également des bêtes : il donnait à manger aux poulets et aux veaux, subvenant à tous leurs besoins. Il vendait également du lait, des œufs et de la viande, ainsi que la laine, qu’il avait en quantité. Une fois par an, il apportait au propriétaire son dû, en ajoutant des produits de sa terre en grande quantité.

Le foyer de Zekharia était ouvert à tous, et nombreux étaient les indigents juifs accueillis à sa table. Son cœur large l’amenait également à leur donner de l’argent. Des gens de passage savaient également profiter de son hospitalité. Ils connaissaient son adresse pour s’arrêter chez lui et se reposer, avant de poursuivre leur chemin. Zekharia ne limitait pas les dépenses occasionnées par tout cela, certain que l’Eternel lui accorderait de quoi vivre et aider autrui.

La tombe de rabbi Menahem Mendel de KossovCertaines années étaient bonnes, d’autres non. Une fois, alors que le bilan n’était pas propice, il fut fort triste à l’approche de la date de paiement de sa location. Comment allait-il s’acquitter de sa dette, avec un propriétaire si mauvais et violent, qui risquait de l’envoyer en prison, avec les membres de sa famille, en cas de retard de paiement ? Il prépara sa calèche, et se rendit chez le rabbi de Kossov, rav Mena’hem Mendel. Ce dernier entendit les paroles et le problème de Zekharia, ouvrit son tiroir, en sortit de l’argent en quantité, le compta et lui donna la somme dont il avait besoin. Il ajouta : « Je te prête cette somme jusqu’à ce que l’Eternel te permette de me la rendre ». L’homme quitta le rabbi, heureux et rassuré.

 

C’est dans cet état d’esprit qu’il reprit sa calèche et fit la route de retour vers chez lui, louant le Seigneur de lui avoir octroyé un maître compréhensif. Comme seul le rabbi et lui étaient au courant de ce prêt, nul ne viendrait le presser, et il le rendrait quand l’Eternel lui donnerait les moyens de rembourser une si grande somme.

La présente situation se répéta un certain nombre de fois quand la poche de Zekharia était vide avant la date du paiement, et le rabbi ne l’avait jamais renvoyé sans l’aider. Cependant, la vie de rabbi Mena’hem Mendel toucha à sa fin. La génération le perdit. Ses ‘hassidim s’en attristèrent beaucoup, et notre Zekharia encore plus.

Ce fut rabbi ‘Hayim qui succéda à son père, et les ‘hassidim vinrent en grand nombre pour lui demander des bénédictions et des conseils. Zekharia, toutefois, ne pouvait pas se consoler de la disparition du rabbi précédent, et il ne savait quoi faire. Précisément, cette année-là, celle du décès du rabbi, sa situation n’était pas bonne. La date du paiement approchait, et la caisse demeurait vide. Qui l’aiderait-il ? Qui lui prêterait de l’argent ?

Sa famille, devant son état d’esprit déprimé, lui préconisa de se rendre à Kossov comme auparavant, mais Zekharia ne voulut pas suivre leur conseil. Ils insistèrent : « Qu’as-tu à perdre ? Peut-être son fils viendra-t-il aussi à ton aide ? »

La pression et les supplications des membres de sa famille eurent raison de ses hésitations, et Zekharia se résolut à partir pour Kossov. Il quitta sa maison le cœur lourd, et arriva chez rabbi ‘Hayim. Il éclata en pleurs et éprouva des difficultés à lui parler de son problème, ajoutant en conclusion : « Le rabbi me prêtait de l’argent pour me permettre de payer la location, sans témoin et sans contrat. Il attendait avec patience que je puisse rembourser ».

Rabbi ‘Hayim lui répondit avec douleur : « Mon père, le tsadiq, avait juste à ouvrir son tiroir et, tout de suite, l’argent venait à sa rencontre, et se pressait dans sa main. Or, moi, d’où ai-je une telle somme à te prêter ? »

Sur ces mots, il ouvrit le tiroir et montra à Zekharia qu’il était totalement vide. L’homme ne put se retenir, et il éclata en sanglots, sans qu’aucune des personnes présentes ne parvienne à le calmer. Le rabbi eut pitié de lui et lui dit : « Moi, je ne suis pas en mesure de te prêter de l’argent, mais le « cosaque » pourra le faire. » Sur ce, il lui tendit sa main, et le renvoya. Zekharia se retrouva de l’autre côté de la porte, et prit le chemin du retour, le cœur brisé et les pieds tremblants. Les années précédentes, il était parti joyeux de cet endroit, alors qu’à présent, il rentrait chez lui bredouille.

« Vous m’avez fait faire tout ce chemin en vain, déclara-t-il à sa famille. Je reviens les mains vides.

– Est-ce possible que le rabbi ne t’ait donné une bénédiction, ou un conseil ? demandèrent-ils.

– Exact, acquiesça Zekharia. Il m’a dit quelques mots bizarres que je n’ai pas compris. Il m’a affirmé que le cosaque m’assurerait ce qui me manque. »

Les membres de la famille s’avouèrent eux aussi surpris des propos du rabbi, et ne purent comprendre le fond de sa pensée.

Zekharia, fatigué du chemin, partit se coucher. Au milieu de la nuit, des coups se firent entendre à la porte de la maison. La mitswa d’accueillir des gens de passage étant très chère à ses yeux, il se pressa de se lever et ouvrit. A la grande stupéfaction du maître de maison et des membres de la famille réveillés par ce bruit au milieu de la nuit, un cosaque, grand et inquiétant, se tenait là, de nombreuses décorations ornant son habit, et un cheval immense à ses côtés. Tous anxieux à la vue ce personnage, ils se reprirent toutefois, et firent entrer cet invité exceptionnel. Ce cosaque, aux allures  à l’apparence menaçante devint plus amical, et, ayant vu les figures des gens présents, il demanda à parler avec le maître de maison en privé. Alors, il raconta : « Ecoute, Juif. Je pars là pour un chemin long et dur. Je ne sais pas quand je vais revenir. Comme j’ai sous la main une grande somme d’argent, je voudrais la déposer chez toi. J’ai entendu chez le seigneur d’ici que tu es un homme droit et honnête. Je me suis dit que si lui, si mauvais et antisémite qu’il est, sait témoigner de ta droiture et de ton honnêteté, c’est que c’est vrai… En conséquence, je veux laisser cet argent chez toi. Signe-moi juste une reconnaissance de dette. »

 

Zekharia lui garantit de garder la somme, et lui donna le document requis. Le cosaque lui promit une belle récompense en temps voulu, monta son cheval et disparut dans la forêt.

Sur le moment, Zekharia ne pensa pas à ce que le rabbi lui avait dit, mais à l’approche de la date de paiement de son loyer, il pensa emprunter de cet argent déposé chez lui pour régler sa dette. Toutefois, son intégrité l’en empêcha. Une idée le saisit soudain : peut-être était-ce le cosaque évoqué par le rabbi ? Il n’hésita pas et, avec sa calèche, prit la direction de Kossov. A son arrivée, le rabbi semblait l’attendre, et lui dit : « Jamais tu ne reverras plus ce cosaque ».

Et, en effet, jamais il ne le revit. Zekharia fut dorénavant un homme riche. Il vécut dans la facilité, et laissa en héritage une grande fortune, qui servit sa famille sur plusieurs générations encore.

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