France Culture et Israël (I): un discours antisioniste dans «Répliques»

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Premier article d’une série analysant la manière dont Israël est décrit par la radio publique française, qui se présente comme une « chaîne généraliste dédiée à tous les savoirs, des arts aux sciences » et a pour devise « l’esprit d’ouverture ». Notre enquête en plusieurs volets examine notamment à qui France Culture donne la parole à propos d’Israël, quels sont les messages véhiculés concernant des événements récents, les racines du conflit ou la question de Jérusalem, et comment la radio de service public présente une vision orientée, et parfois radicale, du conflit israélo-palestinien.

« Israël Palestine, la tragédie »

Trois Juifs débattent à la radio sur Israël : un Juif antisioniste, un Juif non sioniste et un Israélien de gauche. Cela ressemble à une blague juive, mais ce n’en est pas une. Il s’agit de l’émission « Répliques » de France Culture, consacrée à la guerre entre Israël et le Hamas et diffusée le 12 juin dernier, durant laquelle Alain Finkielkraut a invité le politologue israélien Denis Charbit pour débattre avec l’ancien journaliste du Monde diplomatique Alain Gresh (notre photo).

Ce dernier est, de son propre aveu, un militant tout autant qu’un journaliste. Il a publié un livre d’entretiens avec Tariq Ramadan, se présente lui-même comme « islamo-gauchiste » et a reconnu avoir été « mandaté par le PCF pour créer une association de soutien à la cause palestinienne » (1).

Alain Gresh et Tariq Ramadan, devant une affiche prônant le boycott d’Israël (Source : site Charleroi pour la Palestine)

 

Le plus étonnant dans ce débat est le fait que les protagonistes semblent partager plus de points d’accord que de désaccord. Ainsi, quand Alain Gresh fait porter la responsabilité du conflit à la sempiternelle « occupation » par Israël de « territoires palestiniens », il n’est pas démenti par Denis Charbit (qui déclare que « l’occupation est un terreau »). C’est Alain Finkielkraut lui-même qui apporte un semblant de contradiction à son invité, en lui faisant remarquer que Gaza n’est plus un territoire occupé depuis 2005. Imperturbable, Alain Gresh rétorque que « selon les Nations unies » – dont il ne met pas en doute l’impartialité envers Israël – « Gaza est toujours un territoire occupé ». Et Alain Gresh renchérit en accusant Israël d’utiliser des « balles interdites par les conventions internationales » contre de « pacifiques manifestants » de Gaza, accusation qui n’est pas contredite.

Face au narratif de « l’occupation » source du conflit, non seulement Alain Gresh n’est pas démenti, mais Denis Charbit abonde dans son sens, en affirmant que le gouvernement israélien est le principal coupable de l’impasse des négociations avec l’Autorité palestinienne, qui ont conduit le Hamas à choisir l’option militaire. Ce point essentiel réapparaît à plusieurs reprises au cours de l’émission, notamment quand Denis Charbit affirme que Benyamin Nétanyahou n’a jamais mené de négociation avec Mahmoud Abbas depuis 2015 et que cela constitue « l’élément central de son héritage politique ».

Cette affirmation est cruciale pour l’auditoire de France Culture, qu’elle conforte dans l’idée que l’absence de paix et la poursuite du conflit sont bien la conséquence du « refus israélien » et non celle du refus palestinien. Sur ce point essentiel, les deux invités et leur hôte partagent-ils le même point de vue ? Denis Charbit dit partager avec Alain Gresh l’idée que la base d’un règlement doit être le retour aux frontières de 1967, mais il ajoute que le refus arabe est antérieur à 1967 et précise que le conflit a également pour cause le refus palestinien de l’existence même d’Israël.

Israël, État d’apartheid ?

Sur un autre élément essentiel du discours antisioniste, l’accusation d’apartheid lancée contre Israël (et récemment reprise à son compte par le ministre français des Affaires étrangères), l’émission ne permet pas de trancher (2). Quand Alain Gresh reprend à son compte cette accusation, Denis Charbit élude la question d’Alain Finkielkraut et se contente de préciser qu’il est favorable à un État palestinien à côté d’Israël, et non à un État binational. C’est de nouveau Alain Finkielkraut qui se montre le plus affirmatif, en précisant avec une certaine retenue que le terme d’apartheid ne lui paraît pas « convenir tout à fait »… Lorsqu’Alain Gresh revient à la charge, c’est une nouvelle fois Alain Finkielkraut qui lui donne la réplique, cette fois avec plus de conviction, en rejetant la pertinence du terme d’apartheid et en affirmant qu’il attise la haine d’Israël et l’antisémitisme.

L’émission se termine sur une note quelque peu étonnante, quand Alain Finkielkraut mentionne les dernières publications de ses deux invités. Denis Charbit a publié Israël et ses paradoxes aux éditions Le Cavalier bleu. Quant à Alain Gresh, il a préfacé le livre La révolution palestinienne et les Juifs, opuscule publié par le Fatah en 1970 et réédité dernièrement par une petite maison d’édition de l’ultra-gauche française, Libertalia. Selon son éditeur, ce livre « marque un tournant dans la pensée politique de la résistance palestinienne. Le mouvement propose un objectif révolutionnaire, la création d’une Palestine démocratique non confessionnelle, un État unique dans lequel coexisteraient musulmans, juifs et chrétiens ».

L’animateur de « Répliques » ne juge pas utile d’assortir de la moindre réserve la présentation enthousiaste par Alain Gresh de cet opuscule palestinien, prônant un « Etat unique et non confessionnel », « laïc et démocratique » selon la rhétorique ancienne de l’OLP c’est-à-dire, en clair, la fin de l’État d’Israël et son remplacement par une grande « Palestine », dans laquelle les Juifs reviendraient au statut de dhimmis qu’ils occupaient dans le monde arabo-musulman d’avant 1948. Ce point d’orgue résume très clairement le fil conducteur de l’émission, et aussi, comme nous le verrons dans la suite de cette enquête, la manière dont France Culture décrit la réalité d’Israël et du conflit israélo-arabe. Par la voix d’Alain Gresh, c’est en effet le narratif antisioniste du Hamas et de l’OLP qui a largement occupé l’antenne de la radio publique française, pour défendre une vision du Proche-Orient et du monde dans laquelle Israël, État juif et démocratique, n’a pas sa place.

(1) Voir Marc Hecker, « Un demi-siècle de militantisme pro-palestinien en France : évolution, bilan et perspectives »

(2) A noter qu’un récent article sur le site de France Culture est intitulé « Apartheid : quand le mot fait tache d’huile pour pointer Israël ». Sous couvert de présenter l’évolution sémantique sur ce sujet, il justifie en grande mesure l’utilisation du concept à propos d’Israël, concluant que « c’est désormais le ministre des Affaires étrangères français qui envisage l’apartheid en train se faire – et qui le dit ».

Auteur : InfoEquitable

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