L’Autriche a-t-elle tiré les leçons de son passé nazi ?

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A protester stands with stickers depicting crossed out incoming vice-chancellor of the far-right Freedom Party (FPOe) Christian Strache and incoming Austrian Chancellor of the conservative People's Party (OeVP) Sebastian Kurz during a protest near the presidential palace during the inauguration of the new Austrian government in Vienna, Austria, on December 18, 2017. Austria's far-right Freedom Party is set to round off a triumphant year for Europe's nationalists by being sworn in as part of the Alpine country's new government. / AFP PHOTO / JOE KLAMAR

VIENNE (JTA) — S’agissant de l’Holocauste, l’Autriche a fait de grand progrès dans la reconnaissance de ses responsabilités.

Depuis les années 1990, les responsables autrichiens ont systématiquement reconnu le soutien apporté par le pays à Adolf Hitler, né en Autriche, et à sa guerre d’extermination contre les Juifs.

Et pourtant, malgré cette sensibilité accrue, un nationalisme aux racines nazies est en train de faire son retour en Autriche : le parti d’extrême droite de la Liberté – ou FPO – qui a été fondé l’année dernière par un ancien officier SS est devenu la semaine dernière le seul partenaire de coalition du parti populaire du chancelier élu Sebastian Kurz.

Kurz a ignoré les appels lancés par les Juifs locaux d’abandonner le FPO.

Dans un contexte d’ascension du populisme d’extrême-droite dans toute l’Europe, son renouveau en Autriche est considéré comme particulièrement alarmant dans la mesure où il traduit l’échec par la société de tirer les leçons de son histoire récente.

Après tout, si un pays qui fait presque tout « correctement » lorsqu’il s’agit de l’Holocauste ne parvient pas à s’immuniser face à cette haine qui rend les génocides possibles, quel espoir reste-t-il pour les autres pays de la région, comme la Hongrie et la Pologne, qui font face à un nationalisme croissant tout en vivant une relation compliquée avec leur propre héritage de la Shoah ?

Au début des années 2000, le gouvernement a cessé de clamer que le pays aurait été majoritairement une victime du nazisme allemand – citant « la responsabilité spéciale imposée à l’Autriche dans son histoire récente ». Et l’enseignement de l’Holocauste est devenu obligatoire, avec des visites dans les anciens camps de la mort et des formations d’enseignants en Israël.

Le nouveau vice-chancelier autrichien du parti d’extrême-droite de la Liberté (FPO) Christian Strache, à gauche, et le président autrichien Alexander Van der Bellen signent la lettre de nomination durant la cérémonie d’investiture du nouveau gouvernement autrichien au Hofburg, à Vienne, en Autriche, le 18 décembre 2017 (Crédit : AFP PHOTO / VLADIMIR SIMICEK)

Le gouvernement a payé presque un milliard de dollars depuis 2005 en compensation aux victimes de l’Holocauste et, depuis 2012, les projets de sites de commémoration de la Shoah se sont multipliés à un taux sans précédent. Ils ont compris notamment l’ouverture d’un centre d’enseignement au sein de l’ancien camp de la mort de Mauthausen, un monument à la mémoire des Juifs déportés de Vienne et une exposition internationale, commanditée par la compagnie nationale des chemins de fer, consacrée à son propre rôle dans l’assassinat d’environ 65 000 Juifs autrichiens.

Malgré ces tendances, le FPO a raflé 26 % des votes lors des élections générales du mois d’octobre, avec une plate-forme qui dénonçait « le multiculturalisme forcé, la mondialisation et l’immigration massive ».

L’accord de coalition place le FPO, qui affirme ne pas pardonner l’antisémitisme, mais qui attise le ressentiment populaire anti-musulman, à la tête de deux ministères régaliens, celui de l’Intérieur et des Affaires étrangères.

C’est la seconde fois que le FPO participe à un gouvernement : il faisait partie d’une coalition en l’an 2000. L’Autriche sera le seul pays européen occidental présentant un parti d’extrême-droite dans son gouvernement.

Le Congrès juif européen a exprimé sa « grande inquiétude » sur cette inclusion, citant ce qu’il a qualifié de « longue histoire d’antisémitisme et de xénophobie » dans la formation politique.

Le chancelier autrichien issu du parti populaire conservateur Sebastian Kurz, à gauche, et le vice-chancelier du parti d’extrême-droite de la Liberté Christian Strache lors de la cérémonie de prestation de serment du nouveau gouvernement à Vienne, le 18 décembre 2017 (Crédit : AFP PHOTO / VLADIMIR SIMICEK)

Les experts sur l’Autriche affirment que la recrudescence de son extrême-droite xénophobe est liée aux craintes associées à l’immigration musulmane, ainsi qu’à la nécessité perçue de protéger la souveraineté de la nation d’une Union européenne de plus en plus interventionniste. Mais elle a aussi à voir avec le gouvernement autrichien, qui a détourné sa culpabilité pendant des décennies et s’est révélé incapable de déloger les partisans des nazis qui occupaient des positions influentes.

Contrairement à l’Allemagne voisine, l’Autriche n’a pas connu d’initiative judiciaire et n’a pas organisé de processus de dénazification après la Seconde Guerre mondiale – en fait, personne n’a été condamné pour crimes de guerre nazis en Autriche depuis plus de 35 ans.

« En Allemagne et dans un bon nombre de pays qui se trouvaient sous occupation nazie, un grand nombre de personnes impliquées dans le nazisme ont été condamnées ou, au moins, se sont vues retirer le droit d’être fonctionnaires, enseignants, policiers, etc… » explique Tina Walzer, une historienne de Vienne. « Mais cela n’a jamais été le cas en Autriche et nous voyons aujourd’hui les résultats de cette différence cruciale ».

Un élément qui aura ancré des idées populistes qui semblent résister à un travail de sensibilisation toujours plus grand à l’Holocauste.

« Quand vous regardez la population dans sa globalité, vous n’avez pas le sentiment qu’il y a eu véritablement de changement », dit Milli Segal, fondatrice du musée Pour l’enfant qui vient de s’ouvrir à Vienne en mémoire aux jeunes réfugiés de l’Holocauste qui avaient fui en Angleterre lors d’une opération connue sous le nom de Kindertransporte.

« Eh bien, il y a des changements, mais ils se font à tout, tout petits pas », ajoute-t-elle après une pause. « Cela vous donne envie de rester muet ».

Des manifestants brandissent des bannières et des panneaux durant une manifestation contre la coalition passée entre le parti populaire autrichien (OVP) et le parti de la Liberté de droite (FPO) le 14 décembre 2017 aux abords du parlement de Vienne. (Crédit : AFP PHOTO / APA / HERBERT NEUBAUER)

Segal note également comment, en l’an 2000, des milliers de manifestants s’étaient réunis à Vienne pour manifester contre l’entrée au gouvernement du FPO. Il y a eu de nouvelles manifestations au sein de la capitale contre le parti, le mois dernier, « mais il n’y avait que quelques centaines de personne », dit-elle.

Philip Carmel, ancien conseiller politique pour le Congrès juif européen, remarque également la différence entre l’époque d’alors et aujourd’hui. La dernière fois que « le FPO fasciste a rejoint le gouvernement de l’Autriche », a-t-il écrit sur Facebook, « l’UE a adopté des sanctions contre l’Autriche et le monde juif avait largement boycotté le pays. Aujourd’hui, c’est le silence ».

Un grand nombre de personnes, en Autriche, partagent le sentiment d’impuissance exprimé par Segal face à la réussite du parti de la Liberté. Sa démonstration de force au mois d’octobre a suivi un succès électoral encore plus important lors du scrutin présidentiel de l’année dernière, lors duquel le représentant du parti, Norbert Hofer, avait remporté 49,7 % des voix lors du premier tour. Il s’était incliné au second tour devant Alexander Van der Bellen, une personnalité de gauche, qui avait réuni 53 % des voix contre 46 %.

La récente élection indique que le populisme d’extrême-droite est une « bombe politique à retardement », avertit Barbara Wesel, correspondante pour l’Europe de la chaîne allemande Deutsche Welle.

Le parti de la Liberté, pour sa part, dément jouer sur les sympathies nazies et racistes. Le leader de la formation, Heinz-Christian Strache, s’est engagé à exclure les membres reconnus coupables de rhétoriques racistes et a mis sa promesse à exécution en limogeant un ancien député qui, sur Internet, avait soutenu l’affirmation que « l’argent sioniste et les Juifs du monde entier sont le problème ».

La communauté juive de Vienne considère que le parti de la Liberté est une entité raciste, selon Oskar Deutsch, son chef, qui avait appelé le chancelier élu à empêcher le parti de la Liberté d’arriver au pouvoir.

« C’est une façade », a indiqué Deutsch au JTA en évoquant les dénonciations de l’antisémitisme et du racisme de Strache. « Malgré ces propos, le parti se positionne de son plein gré comme étant l’endroit où ceux qui ont des sympathies nazies pourront se rassembler ».

Deutsch a ajouté que sa communauté ne boycotterait pas les ministères dirigés par le FPO.

« La communauté juive a besoin de travailler avec ceux qui se trouvent au gouvernement, quels qu’ils soient », a-t-il expliqué.

Des manifestants brandissent des bannières dénonçant le futur chancelier Sebastian Kurz et le prochain vice-chancelier du parti d’extrême-droite de la Liberté (FPO) Christian Strache durant une manifestation contre le nouveau gouvernement autrichien aux abords du palais présidentiel durant l’investiture du nouveau gouvernement autrichien à Vienne, en Autriche, le 18 décembre 2017 (Crédit : AFP PHOTO / JOE KLAMAR)

Un exemple : Le 9 novembre, lorsque le chancelier sortant, Christian Kern, a pris la parole devant le Parlement pour commémorer le 79e anniversaire de la nuit de Cristal – une série de pogroms meurtriers menés par les nazis en Allemagne et en Autriche – les députés du parti de la liberté ont été les seuls à ne pas applaudir – une abstention remarquée.

« C’est avec ces signes subtils qu’ils se signalent et qu’ils excitent leurs partisans », explique Segal. « Si le parti de la Liberté entre au gouvernement, cela deviendra difficile de commémorer la Shoah avec la même dignité que nous le faisons actuellement en Autriche ».

Le 19 octobre, par exemple, un responsable de la ville de Vienne a inauguré une installation en commémoration de l’Holocauste aux abords de la station de métro Herminengasse, à proximité d’une allée où les Nazis avaient emprisonné des centaines de Juifs pendant la guerre. De là, ils avaient été déportés alors que les locaux non-juifs regardaient les événements depuis leurs balcons. Cette cérémonie d’inauguration a eu lieu durant la saison électorale à proximité d’un poster géant d’un Strache tout sourire, portant le slogan « Equité ».

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