«Arabes israéliens» ou «Palestiniens d’Israël»? Un choix idéologique lourd de conséquences

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A Palestinian protester launches flares amid clashes with Israeli soldiers in the city center of Hebron in the occupied West Bank, following a rally for Fateh movement supporters denouncing the Israeli Gaza attacks and supporting Palestinians of Jerusalem, on May 14, 2021. (Photo by HAZEM BADER / AFP)

Par Infoequitable

L’enjeu : rien moins que la légitimité de l’Etat d’Israël à l’intérieur même de la « ligne verte ».

Les récents événements en Israël – et notamment les violences sans précédent commises par des citoyens arabes israéliens contre des biens et personnes juives (notre photo), que le Président israélien est allé jusqu’à qualifier de véritables pogromes – ont replacé sur le devant de l’actualité le statut de la minorité arabe en Israël.

Traditionnellement, les membres de celle-ci sont désignés par l’expression d’« Arabes israéliens », qui désigne à la fois leur identité arabe et leur citoyenneté israélienne. Toutefois, cette expression est récemment délaissée par certains médias français, au profit de celle de « Palestiniens d’Israël » ou de « Palestiniens citoyens », évolution sémantique qui dénote un choix idéologique lourd de conséquence.

Exemples d’utilisation de l’expression « Arabes israéliens » :

Un article signé par Amnon Kapéliouk dans le Monde diplomatique de 1981 évoquait la « difficile condition des Arabes israéliens ». L’expression, traditionnelle, ne semblait à l’époque soulever aucune polémique.

Trente ans plus tard, en février 2009, l’envoyée spéciale de Libération en Israël expliquait dans un reportage : « Ils sont 20% de la population et se considèrent comme des citoyens de seconde zone. L’intervention à Gaza a encore élargi le fossé qui les sépare de la majorité juive ». Son article était titré, de manière éloquente, « Arabes israéliens ou Palestiniens d’Israël? ».

Jusqu’à tout récemment, l’expression de « Palestiniens d’Israël » avait une connotation militante et dénotait un choix idéologique. Elle était ainsi utilisée par le député Ahmad Tibi, dans une tribune publiée en octobre 2019 par Le Monde, sous le titre « Nous, Arabes israéliens, voulons jouer un rôle dans le jeu politique de notre pays ».

Présenté comme « député arabe à la Knesset », Tibi expliquait que « les Palestiniens constituent une partie significative de l’électorat israélien, les grands partis sionistes mettent tout en œuvre pour nous priver de nos droits, y compris en incitant à la violence raciste ». D’autres exemples de recours à cette expression idéologiquement marquée sont dus à des activistes ou des militants, comme Suha Sibani, qui explique dans la revue Hérodote comment elle est passée de l’identité arabe israélienne à l’identité palestinienne.

L’apparition de cette expression sous la plume de journalistes, qui la reprennent entièrement à leur compte, est relativement récente. On la trouve par exemple dans un article du Monde de 2018 sur la Loi fondamentale « Israël – Etat-nation du peuple Juif ». Plus récemment, le journal La Croix titre « Qui sont les Palestiniens d’Israël » en expliquant : « Citoyens israéliens, les Palestiniens d’Israël constituent 20 % de la population de l’État hébreu mais font l’objet de discriminations ».

Une évolution sémantique qui dénote un choix idéologique

Cette évolution sémantique marque un choix idéologique, qui est parfois assumé de manière explicite, comme dans l’article de Libération déjà mentionné, qui parle des citoyens Arabes israéliens de Jaffa : « Ils sont aujourd’hui 20 000 «Arabes israéliens» dans ce qui est maintenant un quartier de la métropole de Tel-Aviv. «Ne dites plus “Arabes israéliens” ! – Alors “Israéliens arabes “? – Non, nous sommes des Palestiniens vivant en Israël.» Ils sont Israéliens par leur passeport et leur citoyenneté, tout en ne l’étant pas, puisqu’ils ne font pas le sacro-saint service militaire. »

Autre exemple : sur France 24, le choix de l’expression « Palestiniens d’Israël » est justifié par l’interview d’une chercheuse à la Fondation pour la recherche stratégique, Agnès Levallois : « Le terme d’”Arabes israéliens” est devenu commun, mais il est avant tout utilisé par Israël”, estime Agnès Levallois. La chercheuse préfère parler de “Palestiniens d’Israël” pour désigner les Arabes détenteurs de la citoyenneté israélienne vivant en Israël ».

Selon cette chercheuse, l’expression « Arabes israéliens », considérée jusque-là comme purement factuelle, dénoterait un parti-pris idéologique, car, explique-t-elle : « Parler d’Arabes israéliens, c’est une façon de les noyer dans l’appartenance à une prétendue Nation arabe et de les couper des Palestiniens vivants dans la bande de Gaza et en Cisjordanie. Même si certains d’entre eux se dissocient aussi des Palestiniens, préférant vivre en Israël où ils jouissent de plus de liberté et de possibilités ».

La nouveauté consiste donc pour certains grands médias (Le Monde, La Croix) à adopter l’expression – jusque-là réservée à un usage militant ou idéologique – sans aucune réserve ou explication. Ainsi, le correspondant du Monde Louis Imbert écrit dans un article récent que « Pour la première fois depuis les années 1990, les Palestiniens des deux côtés de la « ligne verte » ont observé, mardi 18 mai, une grève générale en réaction aux événements touchant Gaza et Jérusalem ». Ce faisant, le correspondant « efface » toute séparation géographique et juridique, en qualifiant les grévistes arabes israéliens de « Palestiniens ». Son article, au titre éloquent « De Jaffa à Ramallah, jour de colère et d’unité palestinienne », reprend ainsi à son compte le narratif palestinien, selon lequel l’identité arabe israélienne ne serait qu’une fiction juridique.

Des « Palestiniens d’Israël » aux « villes palestiniennes d’Israël »

Cette évolution sémantique est lourde de présupposés et de conséquences. Dans un autre article de son correspondant en Israël Louis Imbert, Le Monde pousse encore plus loin l’adoption du narratif palestinien le plus radical, en titrant son article « La colère embrase les villes palestiniennes d’Israël ».

De quelles villes s’agit-il ? Des villes mixtes d’Israël, Lod, Ramla (situées à l’intérieur de la « ligne verte ») et Jérusalem. En clair, cela signifie que Lod et Ramla ne sont plus des villes israéliennes à population mixte juive et arabe, selon leur description traditionnelle dans les médias. Elles sont devenues, sous la plume du correspondant du Monde, des « villes palestiniennes » d’Israël.

Cette évolution sémantique notoire est à rapprocher du qualificatif de « colons » employé par Louis Imbert pour parler d’Israéliens à Lod et Ramla (voir notre analyse, « Glissement sémantique, Le Monde fait franchir la Ligne verte aux colons »).

La conséquence de ce choix sémantique lourd de présupposés est claire : s’il n’y a plus d’Arabes israéliens mais des « Palestiniens citoyens d’Israël » et que les villes israéliennes sont devenues, sous la plume du correspondant du Monde, des « villes palestiniennes », c’est que la légitimité de l’Etat d’Israël est remise en question à l’intérieur même de la « ligne verte ».

Il semble ainsi que nous assistions à une évolution idéologique marquée par l’adoption grandissante du narratif palestinien le plus radical dans une partie des médias en France.

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