Iran-Israël : guerre inévitable ?

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Par le professeur Efraïm Inbar (notre photo), JISS
Institut d’études stratégiques et sécuritaires de Jérusalem

Introduction

Deux dynamiques régionales créent les conditions du déclenchement d’une confrontation militaire directe entre l’Iran et Israël. Le premier est le besoin iranien de parvenir à la suprématie politique au Moyen-Orient. La deuxième est la campagne de l’Iran pour obtenir une bombe nucléaire. Les deux processus bouleversent l’équilibre stratégique régional et alimentent une très forte perception de la menace iranienne en Israël et ailleurs.

 

De plus, dans la théologie de la République islamique d’Iran, il n’y a pas de place pour un État juif dans la région. La vision iranienne suppose l’effondrement d’Israël sous la pression militaire voire, dans un moment de vulnérabilité, un anéantissement total. Une telle position belligérante renforce la perception d’Israël que l’Iran représente, pour Israël, une menace existentielle.

La montée de l’importance géostratégique de l’Iran dans la région

Tout au long de l’histoire, l’Iran (ou la Perse) a été un acteur important au Moyen-Orient. C’est un pays de plus de 80 millions d’habitants et riche de ressources énergétiques. Avec un passé impérial et le présent islamique révolutionnaire (depuis la révolution iranienne de 1979), l’Iran rayonne de puissance dans la région et cultive les aspirations à contrôler le Moyen-Orient et au-delà.

L’emprise régionale révolutionnaire iranienne a bénéficié des politiques des présidents Bush, Obama et Trump au Moyen-Orient. L’intervention militaire américaine en 2003 a détruit le régime de Saddam Hussein en Irak, qui était un puissant rival de l’Iran. De plus, les États-Unis n’ont pas réussi à établir un gouvernement stable en Irak, qui aurait été capable d’instaurer l’unité et la puissance du pays. Cela a bouleversé l’équilibre géostratégique du golfe Persique. La décision du président Donald Trump de retirer les forces américaines du nord-est de la Syrie au printemps 2019, a signalé l’intention des États-Unis de quitter le Moyen-Orient et a permis à l’Iran de créer un « corridor chiite », de l’Iran à travers l’Irak et la Syrie jusqu’à la Méditerranée.

En outre, une grande partie du monde arabe sunnite est en proie à une profonde crise sociopolitique depuis l’avènement du « printemps arabe » (une appellation manifestement erronée), qui a créé des dissensions et un vide politique au sein de ces États. Plusieurs États arabes ont depuis perdu leur monopole de l’usage de la force et ont sombré dans des guerres civiles. La Syrie, la Libye et le Yémen en sont les exemples les plus représentatifs. L’autorité centrale en Somalie, au Liban, l’Autorité palestinienne (AP) et plus récemment en Irak sont également en proie à des combats entre de différentes milices. L’élite révolutionnaire religieuse de l’Iran a capitalisé sur les faiblesses des États arabes en finançant et en formant des mandataires ou « proxy » au Liban, en Syrie, en Irak, à Gaza et au Yémen.

Les États arabes sunnites sont terrifiés par les progrès du programme nucléaire iranien et les succès des milices pro-iraniennes dans la région. L’Arabie saoudite n’a pas réussi à freiner l’influence iranienne en Syrie et en Irak et n’a pas réussi à changer, non plus, les tendances pro-iraniennes du petit Qatar ou à gagner la guerre contre les Houthis au Yémen. L’Égypte, qui est une puissance sunnite importante, a survécu à la tempête interne provoquée par le « printemps arabe », mais fait toujours face à un soulèvement islamique dans la péninsule du Sinaï. Elle se concentre sur les moyens de fournir la nourriture à sa vaste population, ce qui est vital pour maintenir la stabilité intérieure. Il lui reste donc très peu de pouvoir pour freiner le défi iranien.

La Turquie, un puissant État sunnite non arabe, a préféré agir sur ses intérêts communs avec l’Iran, en freinant l’influence saoudienne et sur la question kurde, renonçant jusqu’à présent à son potentiel de contrecarrer l’Iran. Sous Erdogan, la Turquie a également profité de la faiblesse arabe pour se tailler des sphères d’influence dans les anciens territoires ottomans, comme l’Irak, la Libye et la Syrie, tout en se distançant progressivement de l’Occident.

La montée de l’Iran a produit une entente entre les États sunnites du Golfe et Israël. En l’absence d’un parapluie sécuritaire américain crédible, les sunnites comprennent qu’Israël est la principale barrière à l’hégémonie iranienne. Par conséquent, Israël est devenu pour l’Iran un anathème religieux et stratégique.

L’Iran a mené une guerre par procuration contre Israël pour épuiser la population civile israélienne. Depuis les années 1980, le Corps des gardiens de la révolution islamique (CGRI) a formé et armé le Hezbollah, une milice chiite au Liban, transformant le pays en une chasse gardée iranienne. Le Hezbollah a acquis plus de 130 000 missiles de différentes portées, dont l’Iran s’emploie à améliorer la précision et couvrant la majeure partie d’Israël. L’objectif déclaré du Hezbollah est de « libérer Jérusalem de la domination sioniste ». De même, après que le Hamas a pris le contrôle de Gaza en 2007, il est devenu le bénéficiaire d’une importante aide militaire de l’Iran, qui était destinée à renforcer sa capacité à saigner Israël. Lorsque le Hamas sunnite n’a pas soutenu la position iranienne en Syrie, Téhéran a canalisé l’aide financière et militaire vers le Jihad islamique palestinien à Gaza – une organisation inféodée à l’Iran. En prenant pied dans la bande de Gaza, l’Iran a établi un front supplémentaire contre le sud d’Israël.

L’Iran est également intervenu dans la guerre civile syrienne pour aider Bashar Assad, dans l’espoir de transformer la Syrie en un État satellite similaire au Liban. L’Iran souhaite achever le corridor terrestre qui s’étend de l’Iran, à travers l’Irak jusqu’à la Méditerranée (Liban et Syrie). Téhéran a donc exigé un port près de Lattaquié.

L’Iran a déployé des missiles sol-sol, des batteries anti-aériennes, des drones, du matériel de renseignement et des bases pour des dizaines de milliers de miliciens chiites en Syrie. L’Iran a investi d’énormes ressources en Syrie, estimées entre 15 et 30 milliards de dollars. L’effort iranien actuel en Syrie vise également à créer un troisième front dans le nord-est, le long de la frontière israélienne sur le plateau du Golan.

Les milices chiites en Irak et en Syrie, qui sont sous le contrôle des gardiens de la révolution islamique, menacent également le royaume hachémite. Le roi Abdallah soutient donc la politique étrangère anti-iranienne de l’Arabie saoudite. La chute de la Jordanie compléterait la tentative de l’Iran d’entourer Israël de « proxies » iraniens et mettrait également en danger l’Arabie saoudite, qui est le plus grand rival de l’Iran dans le Golfe.

Neutraliser la puissance militaire d’Israël en l’encerclant avec des milices pro-iraniennes ainsi qu’en disposant un grand nombre de missiles visant des installations stratégiques et des centres de population en Israël, est un objectif important de l’Iran, dans le cadre de sa campagne pour atteindre la suprématie politique au Moyen-Orient.

L’ascension de l’Iran au Moyen-Orient est le résultat de la capacité de ce pays à tirer profit des changements politiques dans la région et de l’apathie internationale à l’égard d’actions de l’Iran dans la région. De plus, l’Iran a fait preuve d’une grande habileté dans la construction et l’utilisation de forces de substitution (« proxy »), pour atteindre ses objectifs. Sans surprise, l’Iran est considéré comme une pieuvre envahissant toute la région.

Sous Trump, les États-Unis ont adopté une position anti-iranienne, en particulier sur la question nucléaire. Pourtant, l’administration Trump a fait preuve de réticence à affronter les projets régionaux de l’Iran, et a plutôt « passé outre » sur les provocations iraniennes dans le Golfe, à l’instar des attaques contre les navires pétroliers dans le golfe Persique et le golfe d’Oman ou l’interception en juin 2019 d’un drone de surveillance américain au-dessus du détroit d’Ormuz, sans que l’Iran n’en assume la responsabilité.

De même, l’attaque iranienne de septembre 2019 contre le champ pétrolifère de Khurais et les usines de traitement du pétrole d’Abqaiq avec des drones et des missiles de croisière, les mettant temporairement hors service (la production pétrolière de l’Arabie saoudite a été réduite de plus de 50 %), n’a suscité aucune réaction militaire américaine. L’élimination de Qassem Soleimani (janvier 2020) a été un puissant exemple de recours limité à la force, mais la retenue affichée après les contre-attaques de missiles iraniens sur les bases américaines en Irak, envoie toujours le message que les États-Unis sont réticents à stopper les avancées iraniennes. Depuis janvier 2020, les milices iraniennes continuent à harceler la présence militaire américaine dans ce pays.

En l’absence d’une volonté américaine claire, de faire face aux velléités expansionnistes iraniennes, Israël serait le seul à pouvoir l’arrêter. Israël a même décidé de mener une guerre limitée et discrète – la « bataille entre les guerres » dans le langage stratégique israélien – afin de bloquer les tentatives de l’Iran de transformer la Syrie et l’Irak en bases de lancement de missiles contre Israël. Les efforts militaires d’Israël ont jusqu’à présent donné des résultats mitigés. Bien que les « proxies » iraniens rencontrent des difficultés dans la mise en œuvre de leurs plans de déploiement en Syrie et en Irak, Téhéran semble déterminé à poursuivre sa politique, quel qu’en soit le prix. L’Iran a même lancé des missiles et des planeurs armés sur Israël. Selon le Premier ministre Benjamin Netanyahu, l’Iran a également réussi à armer les Houthis au Yémen avec des missiles de longue portée, visant Israël.

Le projet nucléaire iranien

Certains ayatollahs considèrent qu’un Iran doté de l’arme nucléaire est un instrument entre les mains d’Allah, pour imposer l’Islam au monde entier, et qu’ils ont été choisis par Allah pour accomplir cette mission. L’Islam a une tendance impérialiste, et encourage ses croyants à apporter la « vraie religion » dans tous les coins du monde, même par l’épée. Au-delà de la motivation théologique, un arsenal nucléaire a une logique stratégique. Il est utile pour intimider les voisins et pour projeter la puissance. De plus, il brise le monopole nucléaire d’Israël dans la région, donnant ainsi à l’Iran une meilleure chance de réaliser son programme hégémonique.

Si la bombe atomique est considérée comme un outil utile pour atteindre des objectifs impériaux et révolutionnaires de grande envergure, ses fonctions les plus importantes sont défensives. La classe dirigeante iranienne a véritablement peur des tentatives occidentales, si de telles tentatives existent, de changement de régime ou même d’invasion pure et simple.

Après tout, les États-Unis ont bien envahi les voisins de l’Iran – l’Afghanistan et l’Irak, en 2001 et 2003, respectivement.

La bombe pourrait servir de dissuasion contre l’agression occidentale et donc assurer la survie du régime. Déstabiliser le régime d’un État nucléaire, qui peut conduire à une instabilité intérieure chronique, puis à une guerre civile ou à la désintégration, est une entreprise plus risquée que de saper un régime non nucléaire. La Corée du Nord a franchi tous les seuils nucléaires et son régime est toujours au pouvoir. La Libye n’a été attaquée qu’après avoir renoncé à son option nucléaire.

La réalisation de cet objectif (la bombe) est rendue possible grâce à la réticence de l’Occident à utiliser la force et à sa préférence pour se concentrer sur les sanctions économiques. La croyance que de sévères sanctions économiques pourraient amener Téhéran à renoncer à ses ambitions nucléaires ou provoquer un changement de régime est extrêmement répandue. Mais l’histoire des sanctions économiques internationales ne permet pas d’être optimiste quant à cette ligne de conduite. Par exemple, l’imposition de sanctions contre Fidel Castro et Saddam Hussein au fil des ans n’a donné aucun résultat. Les régimes dictatoriaux ne sont pas assez sensibles à la détresse économique de leurs peuples.

Le pari de l’élite dirigeante en Iran, dans sa décision de continuer à mener à bien le programme nucléaire iranien, est étroitement lié à sa survie politique et même physique. L’achèvement réussi des efforts de nucléarisation peut être la meilleure garantie pour l’avenir du régime. Les progrès de Téhéran vers la question nucléaire ont attiré l’attention du public au début du 21ᵉ siècle – en particulier après 2003, lorsque l’Occident a commencé à exprimer des préoccupations croissantes, concernant le potentiel de l’Iran à produire des matières fissiles à des fins militaires.

Bien que l’Iran se soit officiellement conformé aux exigences de la Convention sur la non-prolifération des armes nucléaires, il a manqué à ses obligations en ce qui concerne la déclaration des matières nucléaires, le traitement et l’utilisation ultérieurs de ces matières et la déclaration des installations, où les matières sont stockées et traitées. En mars 2015, le président de l’Agence internationale de l’énergie atomique (AIEA) Amano a signalé que l’Iran n’avait pas fourni suffisamment d’informations concernant des éventuels aspects militaires de son programme nucléaire. Les archives nucléaires, qui ont été partiellement saisies et publiées par le Mossad israélien, confirment que l’Iran a fait un effort secret et continu pour développer des armes nucléaires, dont la pleine étendue a été découverte depuis peu. Il y a aussi des signes de recherches et d’expériences menées dans le domaine de la planification de la construction de la bombe atomique. Il y a également des indications quant aux recherches et d’expériences sur la conception d’armes et d’essais souterrains.

Le comportement de l’Iran a conduit à des résolutions du Conseil de sécurité de l’ONU, visant à mettre un terme à l’enrichissement, ainsi qu’à des sanctions économiques internationales. Le président Barack Obama a imposé des sanctions économiques plus sévères à l’Iran afin de l’amener à se conformer au régime de contrôle de l’AIEA et d’empêcher l’Iran d’accélérer son programme pour atteindre la bombe. Les menaces réelles d’Israël d’utiliser la force pour mettre fin au programme nucléaire iranien ont stimulé la communauté internationale à placer de plus grands obstacles, sur le chemin de l’Iran vers à la bombe. Finalement, après de nombreux retards, l’Iran a décidé de s’asseoir à la table des négociations et a finalement conclu un accord avec les six puissances. L’accord sur le programme nucléaire iranien, mieux connu sous le nom d’« accord nucléaire avec l’Iran » (JCPOA), a été signé à Vienne en juillet 2015.

Malgré les graves lacunes de l’accord JCPOA, la communauté internationale – sauf le gouvernement israélien – a cru, un temps, que cet accord serait susceptible de retarder considérablement le projet nucléaire iranien. Malgré cela, le président Donald Trump, fidèle à ses promesses électorales, a annoncé le 8 mai 2018 le retrait des États-Unis de l’Accord, dans l’espoir d’en conclure un « meilleur », qui pourrait empêcher l’Iran d’acquérir un arsenal nucléaire. Les États-Unis ont progressivement imposé des sanctions plus sévères, amorçant une période de tension dans les relations américano-iraniennes.

Depuis que les États-Unis se sont retirés de l’accord nucléaire et ont imposé de sévères sanctions économiques, l’Iran a progressivement réduit ses engagements. En novembre 2019, l’Iran a relancé l’enrichissement de l’uranium à l’usine d’enrichissement de Fordo et a installé de nouvelles centrifugeuses, pour augmenter la capacité d’enrichissement. Après l’assassinat du général Suleimani par les États-Unis (le 3 janvier 2020), l’Iran s’est affranchi de toutes les restrictions sur l’enrichissement de l’uranium. En janvier 2020, la France, la Grande-Bretagne et l’Allemagne ont déclenché le mécanisme de règlement des différends du JCPOA, pour faire face aux violations commises par l’Iran. À leur initiative, et à la suite des rapports sur le manque de coopération de l’Iran avec l’Agence AIEA, le Conseil des gouverneurs de l’AIEA a adopté le 19 juin 2020 une résolution appelant l’Iran à mettre en œuvre son accord de garanties TNP (traité de non-prolifération) et son protocole additionnel et à satisfaire sans plus tarder aux demandes de l’AIEA.

En janvier 2020, les services de renseignement israéliens ont publié une estimation selon laquelle l’Iran aurait suffisamment de matière fissile pour construire une bombe nucléaire dans l’année en cours. De plus, l’Iran aurait la capacité de construire des missiles à tête nucléaire d’ici deux ans. Compte tenu de la fraude iranienne sur la question nucléaire, le laps de temps pour atteindre la pleine capacité nucléaire se réduit. Selon les Israéliens, ces activités se poursuivent secrètement, donc évidemment, peu susceptibles être détectées.

Les implications stratégiques des ambitions de l’Iran

L’Iran révolutionnaire se caractérise par des objectifs de grande envergure dans sa politique étrangère, une propension aux politiques à haut risque, un engagement intensif et une détermination à mettre en œuvre ces politiques, et un style diplomatique non conventionnel. Si l’Iran devient nucléaire, ces caractéristiques de politique étrangère seront probablement encore plus prononcées.

Le programme nucléaire iranien, associé à des vecteurs à longue portée, menace la stabilité régionale au Moyen-Orient. L’Iran produit une variété de missiles à longue portée, dont le Shehab-3 (portée de 1 300 kilomètres) et le Sejjil (portée de 2 000 kilomètres). Il développe également un missile de croisière d’une portée supérieure à 2 000 kilomètres. Israël, la Turquie, l’Arabie saoudite et les États du Golfe sont à portée, ainsi que plusieurs bases américaines importantes. De nouvelles améliorations des missiles iraniens pourraient mettre la plupart des capitales européennes, et à terme, le continent nord-américain, à portée d’une attaque potentielle. L’Iran a un ambitieux programme de lancement de satellites qui repose sur l’utilisation de lanceurs à propergol solide à plusieurs étages, avec des propriétés de missiles balistiques intercontinentaux pour permettre le lancement d’un satellite de 300 kilogrammes. La réalisation de cet objectif fera courir, à un plus grand nombre d’États, le risque d’une future attaque nucléaire.

L’Iran nucléaire augmentera également l’hégémonie iranienne sur le marché mondial de l’énergie, car il s’étend des rives du golfe Persique au bassin pétrolier de la mer Caspienne. Ces deux zones adjacentes constituent « l’ellipse énergétique », qui contient environ 70 % du pétrole mondial et environ 40 % des réserves de gaz naturel. Une meilleure capacité iranienne à intimider les gouvernements qui contrôlent des parties de ce vaste pool énergétique, renforcera davantage la position de l’Iran dans la région et dans les affaires internationales. Même un pays comme l’Arabie saoudite peut, dans certaines circonstances, décider un rapprochement avec l’Iran, devenu un acteur régional incontournable.

Un Iran nucléaire entraînera, pour l’Occident, la perte de l’influence sur des États d’Asie centrale. Car depuis l’effondrement de l’Union soviétique, ces anciennes républiques soviétiques ont adopté une orientation de politique étrangère pro-occidentale. Suite à l’émergence d’un Iran nucléaire, elles vont vouloir, soit se rapprocher de l’Iran, soit essayer d’obtenir une garantie de sécurité nucléaire de la part de la Russie, voire de la Chine, qui sont des pays plus proches du Moyen-Orient, que les États-Unis.

En outre, Téhéran encourage les éléments chiites radicaux en Irak de forcer le retrait américain. Il fomente également des troubles via les communautés chiites des États du Golfe. L’Iran est, en outre, l’allié de la Syrie, un État radical avec une prédisposition anti-américaine. Par ailleurs, Téhéran apporte, ouvertement, un soutien à des organisations terroristes telles que le Hezbollah, le Hamas et le Djihad islamique. Selon le Département d’État américain, l’Iran est le pays qui soutient le plus activement le terrorisme. Les succès iraniens ont enhardi les radicaux islamiques partout dans le monde.

Un Iran nucléaire pourrait tenter de déstabiliser la Turquie – un pays au poids stratégique. La Turquie laïque a été un anathème pour l’Iran révolutionnaire. Téhéran a déjà essayé dans les années 1990 de se mêler des affaires turques et de renforcer les forces islamistes extrêmes. Aujourd’hui, l’Iran révolutionnaire pourrait capitaliser sur la crise d’identité actuelle en Turquie, afin d’accroître le pouvoir des islamistes radicaux. La perte de la Turquie au profit de l’Occident serait un coup stratégique majeur.

Un Iran nucléaire pourrait éroder davantage le régime de l’Agence internationale de l’énergie atomique (AIEA) et saper les tentatives américaines de freiner la prolifération nucléaire. L’Iran nucléaire créera une réaction en chaîne qui conduira à la prolifération des armes nucléaires dans le Moyen-Orient. Il est peu probable que ses dirigeants, qui affichent tous une forte perception de la menace, regardent indifféremment une situation où l’Iran devient nucléaire. Des pays comme la Turquie, l’Égypte, l’Arabie saoudite et bien sûr l’Irak ne seront pas facilement convaincus par la promesse de Washington de fournir un parapluie nucléaire contre le chantage nucléaire iranien. La dissuasion américaine étendue, surtout de nos jours, n’est pas une idée crédible au Moyen-Orient. Ainsi, ces pays ne résisteront pas à la tentation de répondre à l’influence iranienne en adoptant une stratégie de nucléarisation.

Un Moyen-Orient nucléaire multipolaire serait la recette du désastre. Cette évaluation est le produit de deux facteurs principaux : a) la faiblesse de la défense contre les armes nucléaires, b) les difficultés entourant la mise en place d’une dissuasion nucléaire stable dans la région. Croire aux effets stabilisateurs de la prolifération nucléaire est tout simplement irresponsable.

Malheureusement, la diplomatie et les sanctions économiques n’ont eu jusqu’à présent qu’un effet limité sur le projet nucléaire iranien. L’Iran ne se laisse pas décourager, ce qui soulève l’option militaire. Alors qu’il incombe aux États-Unis, puissance mondiale, de s’occuper du problème, Washington semble éviter un affrontement militaire. Le nouveau président américain, Joe Biden, fait part de sa préférence pour une voie diplomatique menant à une version améliorée du JCPOA. Ce n’est guère ce qui répond aux espoirs de Jérusalem. Si elle était laissée seule, Jérusalem envisagerait sérieusement de prendre des mesures préventives.

Une confrontation plus large est-elle inévitable ?

Israël a eu des confrontations militaires avec les mandataires de l’Iran, le Hezbollah, le Jihad islamique palestinien et le Hamas. Jérusalem est déterminée à ne pas permettre l’émergence d’une situation libanaise en Syrie, où des missiles menacent l’État juif. C’est pourquoi, dès 2013, Israël a commencé à attaquer des cibles liées à l’Iran en Syrie pour empêcher celui-ci et ses milices mandataires de s’y implanter. Ces attaques servent également à détruire des missiles de fabrication iranienne expédiés au Hezbollah au Liban, ainsi que des composants visant à améliorer leur précision.

Dans la plupart des cas, l’armée israélienne fait profil bas et a choisi de ne pas publier ses opérations. En janvier 2019, des milliers de cibles avaient été attaquées, selon le chef d’état-major de l’époque, Gadi Eisenkot. Israël a réussi à éliminer partiellement les milices soutenues par l’Iran de la zone frontalière avec la Syrie. Toutefois, l’Iran continue d’y déployer ses forces et augmente son stock d’armes, ainsi qu’aux points de passage de la frontière irako-syrienne. De temps en temps, il effectue également des actions de représailles, même si elles sont peu nombreuses, juste pour transmettre un message. Malgré les attaques israéliennes implacables, l’Iran a démontré sa détermination à poursuivre son entreprise, même s’il fait face à des problèmes intérieurs en raison des sanctions américaines, de la baisse des revenus pétroliers, des manifestations de rue et des dures réalités économiques.

Pourtant, l’Iran est déterminé à créer son corridor chiite, à affaiblir l’Arabie saoudite et à expulser les États-Unis du Moyen-Orient. Alors que l’Iran espérait initialement survivre au président Trump, lorsqu’il a ressenti l’impact douloureux des sanctions économiques, Téhéran a décidé de passer à la vitesse supérieure en utilisant son pouvoir de nuisance. Les attaques contre les navires pétroliers dans le golfe persique et le sultanat d’Oman ont eu lieu sans que l’Iran n’en assume la responsabilité. De même, l’Iran a attaqué le champ pétrolier de Khurais et les usines de traitement du pétrole d’Abqaiq avec des drones et des missiles de croisière, les mettant temporairement hors service (la production pétrolière de l’Arabie Saoudite a, consécutivement, été réduite de plus de 50 %). En juin 2019 Iran a abattu un drone de surveillance américain au-dessus du détroit d’Ormuz et à partir de janvier 2020, Téhéran a lancé des missiles sur des cibles américaines en Irak. Ses milices continuent de harceler les militaires américains dans ce pays.

Malgré le changement de politique de Washington envers l’Iran, M. Trump a préféré la voie diplomatique. Les États-Unis ont compté sur une pression économique maximale pour obtenir « un meilleur accord », mais jusqu’à présent, l’Iran ne semble pas découragé et continue sa politique de la corde raide. Les États-Unis sont également distraits par leurs efforts pour relever le défi du Covid-19. M. Biden, en revanche, est déterminé à essayer de restaurer un JCPOA amélioré.

Une telle lecture de ces développements suscite une inquiétude croissante à Jérusalem. Alors que l’Iran acquiert une influence croissante au Moyen-Orient et remet en question le monopole d’Israël sur les armes nucléaires dans la région, et que la nouvelle administration américaine semble simultanément peu susceptible de prendre des mesures coercitives contre le programme nucléaire iranien, une conflagration plus importante entre Téhéran et Jérusalem semble plus probable.

De façon incontestable, la perception de la menace iranienne en Israël est très élevée. Israël prend très au sérieux les déclarations publiques venant des ayatollahs, d’anéantissement de l’État juif – une nation avec une longue histoire de persécutions, de pogroms et d’Holocauste, n’ignorera pas les menaces, « urbi et orbi », d’extermination. Israël considère les ambitions nucléaires de l’Iran comme une menace existentielle, qui donne une légitimité nationale à une action militaire contre l’Iran.

Le Premier ministre Netanyahu répète constamment et avec insistance, qu’Israël ne permettra pas à l’Iran de devenir une puissance nucléaire. Le discours résolu du chef d’état-major israélien, le lieutenant général Aviv Kochavi, prononcé le 25 décembre 2019, témoigne de l’état d’esprit israélien. Il a désigné l’Iran et ses mandataires comme la principale menace contre Israël et a clairement indiqué qu’un affrontement armé entre Israël et l’Iran est presque inévitable. Il a ajouté que les militaires se préparent à un tel scénario. Kochavi a également fait allusion à l’inaction des États du Golfe et des États-Unis face aux frappes iraniennes sur les installations pétrolières et les navires. « Il serait préférable que nous ne soyons pas seuls », a-t-il fait remarquer. Kochavi a également créé une nouvelle structure, dirigée par un général de division, pour faire face à la menace iranienne. Elle a été baptisée « Commandement de la stratégie et du troisième cercle ». L’armée place la menace iranienne en priorité absolue pour les années à venir.

Au cours de la dernière décennie, Israël s’est préparé pour attaquer l’infrastructure nucléaire iranienne. Cela montre que malgré de nombreux obstacles auxquels est confrontée la réussite de la mission, il semble que l’armée pense être capable de la mener à bien. Bien que l’accord JCPOA ait sapé la légitimité internationale accordée à l’action israélienne, aujourd’hui il est devenu lettre morte.

La politique d’Israël en matière de prolifération nucléaire au Moyen-Orient a jusqu’à présent été cohérente. Des stratagèmes d’obstruction et de retardement ont été utilisés pour faire face aux nouvelles menaces nucléaires. L’explosion de juin 2020 à Natanz et l’assassinat en novembre 2020 du plus éminent scientifique nucléaire iranien, Mohsen Fakhrizadeh, semblent être des exemples récents de ce type d’obstruction. Lorsque ces outils ne sont plus efficaces, des frappes aériennes chirurgicales sont utilisées pour détruire les installations nucléaires des pays voisins. En 1981, le réacteur irakien Osiraq a été démoli en raison de sa capacité à produire du plutonium. Un sort similaire attendait le réacteur syrien en 2007. La prévention d’une menace émergente fait partie du menu des choix politiques dans la pensée stratégique israélienne.

La justification de la destruction de la capacité nucléaire potentielle est simple. Israël ne croit pas pouvoir parvenir à une dissuasion stable contre un pays hostile du Moyen-Orient, disposant d’armes nucléaires. Jérusalem ne croit pas qu’au Moyen-Orient la dissuasion mutuelle soviéto-américaine, qui a eu lieu pendant la guerre froide, puisse être imitée. Israël, en tant que pays avec un petit territoire et à courte distance de ses ennemis, se sent très vulnérable à une attaque nucléaire. Les accidents, les lancements non autorisés, les erreurs de calcul ou l’effondrement du régime dans les pays du Moyen-Orient sont beaucoup plus probables, que dans d’autres parties du monde. La période précédant la construction d’une capacité fiable de « deuxième frappe » semblable à celle entre les mains des superpuissances, des États-Unis et de l’Union soviétique est particulièrement dangereuse. Il convient de noter que la construction d’une « deuxième frappe » est un processus continu et incertain. De plus, la dissuasion dépend de la sensibilité au prix du nombre de victimes. Le fanatisme religieux, courant au Moyen-Orient, réduit la sensibilité au prix du nombre de victimes. Les dirigeants iraniens se sont même déclarés prêts à faire des millions de victimes, pourvu que l’État juif soit effacé de la carte du monde.

Il est de plus en plus urgent de détruire la capacité nucléaire de l’Iran, en raison des progrès constants de l’Iran dans ses projets connexes à la construction de la bombe, à savoir des progrès balistiques. Israël veut absolument empêcher une nucléarisation comme un fait accompli.

En conséquence, Israël peut mener une frappe préventive avant de retourner à la table des négociations. Sous une pression supplémentaire, l’Iran pourrait revenir à une stratégie de « parler et construire » afin de gagner du temps. Tant que les pourparlers politiques se poursuivent, l’Iran pourra poursuivre secrètement son programme nucléaire. Une telle stratégie exploite la réticence européenne et américaine à l’escalade. La décision selon laquelle les négociations n’aboutiront à aucun avantage nécessite une action alternative, et ce n’est pas une option intéressante pour de nombreux gouvernements. Les pourparlers qui n’aboutissent à aucun résultat perpétuent en fait le statu quo, une impasse tendue dans laquelle l’Iran peut avancer sans entrave avec son programme nucléaire. En effet, les négociations, dans lesquelles les Iraniens excellent, et les concessions temporaires retardent les pressions diplomatiques et économiques et, surtout, les frappes militaires préventives.

Israël pourrait frapper préventivement, afin d’empêcher toute amélioration supplémentaire des mesures défensives de l’Iran, autour de ses installations nucléaires. L’embargo imposé par le Conseil de sécurité des Nations unies sur la vente d’armes à l’Iran a expiré en octobre 2020. En conséquence, l’Iran peut désormais acheter les systèmes d’armes qu’il cherchait à obtenir sans succès par le passé. L’Iran achètera probablement des armes principalement à la Russie, qui est son fournisseur attitré depuis les années 1990, et sa liste d’achats comprendra probablement, l’avion Sukhoi S-30 et les systèmes avancés de défense aérienne S-400.

Après l’élimination de Soleimani, Tsahal a vu une chance d’intensifier les attaques contre l’Iran et ses alliés pour limiter davantage la présence iranienne en Syrie. Cette escalade en Syrie pourrait être mise à profit, pour frapper le projet nucléaire iranien. Des actions préventives en Irak (1981) et en Syrie (2007) ont mis fin aux projets nucléaires dans ces États.

Israël pourrait également intensifier ses réponses militaires pour éviter un effet de « saut dans le train iranien gagnant » des États du Golfe et de l’Arabie saoudite. Aujourd’hui, ces États sont alignés sur Israël, en particulier depuis la signature des accords d’Abraham. Mais, comme l’Iran affirme de plus en plus, son emprise sur la région et le parapluie de sécurité américain devenant moins fiable, la réorientation de la politique des états sunnites vers Téhéran, pourrait devenir plus attrayante. Leurs appréhensions concernant la politique iranienne de la nouvelle administration Biden, pourraient être un facteur contribuant à un tel rapprochement des États sunnites avec l’Iran. Un changement aussi radical de la politique étrangère des États du Golfe et de l’Arabie saoudite pourrait alors affecter la Jordanie et l’Égypte (qui ont tous deux des traités de paix avec Israël), isolant encore davantage Israël dans la région. Une démonstration de force israélienne permettrait donc, de maintenir les États sunnites dans l’alignement avec Israël.

L’histoire nous apprend que lorsqu’une puissance montante met en cause l’équilibre des forces, la guerre s’ensuit dans la plupart des cas. Ce phénomène a été appelé « guerre hégémonique » Les guerres hégémoniques sont causées par la croissance différentielle du pouvoir entre les États dominants et les États aspirants. Une guerre hégémonique ne peut pas survenir pendant une période de stabilité relative ; au contraire, la croissance et le déclin inégaux de la puissance est un facteur nécessaire, qui conduit finalement à la bipolarisation du système international, créant une crise inévitable sous la forme d’une guerre hégémonique. Une telle compétition dans le système des cités grecques s’est terminée par les guerres du Péloponnèse. La quête de la Prusse pour l’unification des principautés allemandes sous sa direction, a provoqué plusieurs guerres en Europe.

Au Moyen-Orient, nous voyons un Iran ascendant qui n’est plus équilibré par les États arabes en déclin, et leur fournisseur de sécurité, les États-Unis, semble quitter la région. Bien que ce ne soit pas prédéterminé, Israël pourrait entrer en guerre pour empêcher un Moyen-Orient dominé par un Iran islamiste nucléaire. En fait, il mène déjà, en Syrie et Irak, une action militaire pour empêcher son encerclement par un cercle de feu d’inspiration iranienne.

Conclusion

Les armes nucléaires sont le meilleur certificat d’assurance de l’Iran pour la survie de son régime et la réalisation de l’hégémonie régionale. Par conséquent, il n’y a aucune chance que les dirigeants fanatiques de l’Iran, renoncent à leur ambition de réaliser une bombe atomique.

Aujourd’hui, les ambitions impériales et nucléaires de l’Iran progressent sans entrave. Aucun effort réel n’a jamais été fait pour provoquer un « changement de régime » en Iran, de plus, le potentiel de succès de tels efforts est plus qu’incertain. Il est peu probable que la diplomatie et / ou les sanctions économiques, découragent le programme nucléaire iranien. La communauté internationale, y compris les États-Unis, n’a aucune velléité à affronter l’Iran militairement.

Israël ne peut tolérer un Iran nucléaire. Les relations Iran-Israël sont essentiellement un jeu à somme nulle. Par conséquent, Israël n’a d’autre option que mener une action, qui évitera son extermination. Par conséquent, une escalade dans l’utilisation de la force pour renverser l’ascendance iranienne dans la politique du Moyen-Orient, empêcherait sa nucléarisation.

En fait Israël mène déjà, une guerre contre l’Iran, afin d’éviter son encerclement, par des mandataires iraniens, en Syrie et Irak. En supposant qu’Israël ait la capacité de détruire les éléments clés du programme iranien, une telle option est éminemment sensée sur le plan stratégique. EG♦

Édouard GrisMABATIM.INFO
Traduction et adaptation

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