Le Mossad est l’alibi en Iran pour régler les conflits intérieurs

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Par Jacques BENILLOUCHE – Temps et Contretemps

Photo : Ali Shamkhani et Ali Larijani

Que ce soit pour combattre les manifestations contre le régime ou pour régler les dissensions intérieures au sein de la classe politique iranienne, l’accusation d’espionnage au profit d’Israël devient une norme en Iran. Par le plus grand des hasards, six équipes prétendument du Mossad ont été arrêtées au milieu des manifestations. C’est un évènement rassurant pour le régime car 23 membres ont été identifiés dans les provinces de Téhéran, Ispahan, Yazd, Azerbaïdjan occidental et Golestan et 13 personnes qui se trouvaient dans le pays ont été arrêtées. L’alibi du Mossad est grossier mais il permet au ministère iranien des Renseignements de trouver une échappatoire à ses lacunes.

Cependant, le regard doit se porter ailleurs. S’il n’existe pas d’opposition structurée en Iran ni d’ailleurs d’un leader incontesté s’opposant aux Mollahs, il est difficile pour le régime de camoufler les divisions internes, surtout depuis la répression terrible qui s’abat sur les jeunes manifestants. Les pendaisons sont les seules réponses au malaise de la population. Israël reste le meilleur fondement pour une accusation tout terrain dans le but d’éliminer les gêneurs politiques.

Dans le secret total des tribunaux d’exception, un ancien haut fonctionnaire, qualifié par les juges de «maitre espion» des services de renseignements étrangers, voire israéliens, a été reconnu coupable d’espionnage. Pour l’instant son nom est gardé secret mais, selon des informations concordantes, il a occupé des postes importants au sein du régime des mollahs. Si la réalité des accusations était avérée, on ne comprend pas les raisons du secret imposé sauf si c’est pour masquer les raisons des manifestations contre le régime et l’impossibilité pour le régime iranien de relancer l’accord nucléaire de 2015. Il serait tombé en disgrâce pour raison politique ce qui explique le secret qui entoure l’identité du prisonnier.

En fait, ces pseudos procès tentent de masquer les luttes intestines entre conservateurs et modérés pour un changement de leadership. L’ancien responsable détenu, ancien fonctionnaire du ministère de la Défense, n’aurait rien à voir avec une quelconque mission d’espionnage mais serait victime de la lutte pour le pouvoir. Son seul crime, avoir été très impliqué dans les négociations sur le programme nucléaire iranien.

Mais certaines sources de renseignement ont établi qu’il s’agit d’Alireza Akbari, ancien vice-ministre de la Défense, qui serait aux mains des services de renseignement. La raison essentielle est sa trop grande proximité avec Ali Shamkhani, secrétaire du SNSC (Conseil suprême de la sécurité nationale) chargé en Iran de rassembler des dirigeants civils et militaires pour prendre les décisions les plus importantes auxquelles seul le Guide Suprême Ali Khamenei, peut s’opposer. De plus Akbari est très proche de l’ancien président du Parlement, Ali Larijani, conservateur transformé en modéré, interdit de se présenter aux élections présidentielles de juin 2021 et de plus, circonstance aggravante aujourd’hui, il a travaillé avec les négociateurs nucléaires de 2005 à 2007.

Les relations étroites entre Akbari et Shamkhani sont à l’origine de la chute d’Akbari qui a été son adjoint alors que Shamkhani a été ministre de la Défense tout au long de la présidence du réformiste Mohammad Khatami, de 1997 à 2005.

En fait, toutes ces gesticulations s’expliquent par la lutte pour le remplacement de Khamenei, 83 ans, malade du cancer, chef suprême depuis 1989, et par la nécessaire élimination des concurrents politiques, Larijani et Shamkhani, qui ont cherché ces derniers mois à jouer le rôle de médiateurs avec les émeutiers, ont appelé à des réformes pour assurer la survie du régime. En particulier, ils prônent d’ignorer l’application du hijab obligatoire et la suppression de l’interdiction des antennes paraboliques.

Selon des informations confirmées, Qalibaf, le secrétaire du SNSC, Shamkhani et le conseiller économique du président Ebrahim Raïssi, Mohsen Rezaee, poursuivent sérieusement le sujet des réformes. Le trio conservateur serait soutenu par d’autres modérés influents, dont Larijani et Mohammad Reza Bahonar, membre du Conseil d’opportunité qui conseille le chef suprême. De plus, Shamkhani s’est également engagé séparément avec les principaux réformistes. En novembre, il a rencontré un groupe d’éminentes personnalités pro-réformistes dirigées par le politicien de haut niveau et ancien chef du parti Ali Shakuri Rad. En détenant Akbari, on cherche à atteindre Shamkhani.

Les élections présidentielles iraniennes de juin 2021 ont vu la disqualification de tous les candidats réformistes. Le Conseil des Gardiens avait interdit à des modérés éminents tels que Larijani de se présenter, offrant à Raïssi une victoire électorale facile dans un scrutin au taux de participation le plus bas jamais enregistré. Alors que le Front de l’Endurance s’est emparé de la quasi-totalité des postes importants au sein de la République islamique, le groupe intransigeant constitué par feu l’ecclésiastique Mohammad Taqi Mesbah Yazdi (1935-2021) est en pole position dans la course pour succéder à Khamenei. Mais cela ne se fera pas sans heurt dans un régime déséquilibré sur le plan politique et totalement éloigné de la population. Une situation inédite depuis 1979.

Si Larijani et Shamkhani sont bien les véritables cibles de l’affaire d’espionnage qui fait actuellement des vagues à Téhéran, l’objectif politique est d’éliminer les gêneurs jusqu’à ce que la direction suprême change de mains. Pour cela les acteurs du régime ont besoin de l’épouvantail du Mossad pour se hisser au sommet. La bonne nouvelle est la lutte sourde pour le pouvoir qui finira par laisser des traces.

 

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