La « loi du retour » ou le retour à la Loi ?

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Faut-il ou non faire sa alia ?

Cette question doit être immédiatement distinguée d’une autre, qui lui ressemble et qui, à tort, lui est souvent substituée : entrer en Israël signifie-t-il sortir de l’exil ?

Quand bien même entrer et s’installer en Israël serait le résultat d’une démarche de rupture avec la vie en diaspora, l’exil du peuple juif ne s’arrête pas, loin s’en faut, parce qu’on aurait miraculeusement franchi les frontières de l’Etat hébreu.

Cela ne fut pas le cas de la génération du désert, dont l’entrée en terre d’Israël s’apparente davantage à la sortie d’une situation privilégiée dont ils bénéficiaient sous les ailes protectrices de la Chkhina. Elle dut en effet créer son propre relais dans des institutions humaines de ce qui ne relevait jusqu’alors que de la direction divine. Il lui fallut encore conquérir son territoire, asseoir son roi, faire la guerre au peuple d’Amalek, avant d’accéder finalement à la construction du Temple et à son inauguration, plusieurs centaines d’années plus tard…

Et cela l’est encore moins aujourd’hui.

S’il fallait une preuve, rappelons seulement que dans le texte des 18 bénédictions rédigé par les hommes de la Grande Assemblée, nous continuons à réciter : « Fais retentir la grande trompette pour notre délivrance, et élève l’étendard pour rassembler nos exilés. Et rassemble-nous, tous ensemble, des quatre coins de la terre. Sois béni, Seigneur, Qui rassembles les dispersés de Son peuple Israël ».

Si cette phrase constitue encore le canon de la prière du peuple juif aujourd’hui, n’est-ce pas précisément parce que la présence de cette nation sur sa terre ne forme pas encore un acquis ?

 Une société sur le retour ?

tefilinPourtant, force nous est aussi de reconnaître la présence d’un Etat qui se greffe sur un mouvement pour le moins utopique, il y a un siècle encore. Désormais, il facilite plus que jamais l’existence du peuple juif sur sa terre. Mouvement que certains, jouant délibérément ou non sur la confusion des termes, sont même prêts à désigner par l’expression de « retour des exilés » – d’où le terme tout choisi par l’Etat israélien de « loi du retour ».

Force nous est de constater, donc, que ce « retour » jette les bases d’un type totalement nouveau de société et de rassemblement des Juifs dans le monde, et dont il convient d’analyser les implications.

Ce qui est en jeu en Israël, c’est l’identité juive elle-même

En effet, quelle que soit la situation du « ‘olé » dans son « exil », arriver en terre d’Israël signifie pour lui se confronter à de multiples problèmes auxquels il n’avait sûrement jamais pensé. Et c’est surtout faire face à une réalité juive nouvelle dans laquelle les signifiants identitaires sont noyés dans la plus grande confusion.

Car, si tout le monde sait ce que cela veut dire qu’être Juif dans un Etat de l’exil, dans une nation étrangère où l’on se « reconnaît » aisément Juif, par ses habitudes, ses fréquentations, ses activités communautaires, Yom Kippour, sa famille ou l’école, etc., en Israël les choses sont différentes.

De fait, précisément, ce qui est en jeu en Israël, c’est l’identité juive elle-même. Tel est le paradoxe sur lequel nous voudrions réfléchir.

Juifs dans l’exil et Israéliens en Israël

Le retour des Juifs vers leur terre d’origine, et leur fusion dans un seul et même corps social, comportent le danger au niveau individuel d’une perte progressive de la distinction entre ce qui est juif et ce qui ne l’est pas – distinction que paradoxalement, l’exil a justement eu la force, en dépit du risque de l’assimilation, de rendre éclatante.

Or, ce risque est justement rendu possible par la notion trouble de « citoyenneté israélienne » qui, jusqu’à aujourd’hui, n’a jamais voulu signifier identité juive.

Nous nous devons de conserver à l’esprit la part importante laissée aujourd’hui à l’exil et à ce qu’il est convenu d’appeler la diaspora : à savoir, le renforcement de l’identité juive proprement dite dans sa confrontation aux nations (on peut noter à cet égard que les volontés de ‘alia vers la Terre sainte n’ont jamais été aussi frappantes que lorsque la relative tranquillité des communautés juives de diaspora était remise en cause, comme c’est le cas aujourd’hui dans un pays comme la France, ou comme ce le fut aussi lors de l’évacuation forcée des Juifs d’Espagne au XVème siècle).

C’est pourquoi il est nécessaire de bien distinguer entre un Etat juif et une nation juive.

Etre israélien ne signifie pas acquérir une nationalité juive, et c’est encore moins un tour de passe-passe pour assurer son identité juive – au contraire ! La nationalité israélienne est obtenue à simple titre de résidence temporelle dans l’Etat d’Israël, tandis que l’appartenance au peuple juif constitue une valeur totalement indépendante de tout critère géographique et politique.

D’abord, parce que l’Etat moderne n’est pas une institution qui relève de la tradition juive et qu’il est un ersatz de l’exil romain.

 

Etre juif, c’est toujours conserver à l’esprit le sentiment d’appartenir à une communauté qui dépasse le simple cadre d’un Etat.

Etre juifDe plus, parce qu’être juif, c’est toujours conserver à l’esprit le sentiment d’appartenir à une communauté qui dépasse le cadre d’un Etat, d’une situation spatio-temporelle ; il s’agit d’une exclusivité censée rappeler à ses membres la mission qui incombe au peuple juif face à l’histoire.

Qu’on le veuille ou non, on a beau être membre de l’Etat d’Israël, on reste un Juif de l’exil.

 Le creuset laïc sur lequel repose l’Etat d’Israël passe par des institutions qui ne garantissent en rien le maintien d’une vie juive fidèle à la tradition.

 

L’idée même d’une nation juive n’appartient qu’aux prophètes et à la Tora ! C’est pourquoi, même si après une bataille difficile qui n’a toujours pas cessé, l’Etat d’Israël conserve aujourd’hui certaines institutions conformes à la tradition juive, comme c’est le cas encore du mariage et du divorce, il ne se donne pas pour mission de consolider l’identité juive de ses citoyens. Ainsi, le creuset laïc sur lequel il repose passe en particulier par des institutions nationales comme l’école et l’armée, et des institutions sociales, comme c’est le cas des lois du travail, qui ne garantissent en rien le maintien d’une vie juive fidèle à la tradition, et qui peuvent même aller à son encontre.

Le retour à la Loi

Dans la diaspora, le Juif fidèle à son héritage traditionnel n’a pas à « s’engager » en tant que tel vers telle ou telle politique ; il n’est pas obligé de choisir son camp. Son engagement ne concerne que lui, et il n’a pas le sentiment de devoir se battre contre ses propres frères pour défendre son identité juive.

Inversement, devenir israélien, c’est nécessairement vivre un clivage, et se retrouver confronté à ce que doit signifier une vie juive, ce qui obligera chacun à se situer clairement au beau milieu d’un débat réel et incontournable, ici, en Israël.

La naissance de l’Etat d’Israël a fait apparaître la possibilité monstrueuse offerte au Juif de croire qu’il est possible de se détacher de son origine pour se fondre dans une nouvelle forme d’identité « juive ».

C’est pourquoi, avant même de vouloir faire sa ‘alia il est au préalable nécessaire de définir clairement son projet juif en ancrant sa démarche dans une véritable perspective spirituelle.

A l’intérieur même de ce nouveau visage que l’exil lui a fait endosser – entendez : la citoyenneté israélienne –, il incombe à chacun de prendre part à ce phénomène historique unique, propre à notre génération : celui de voir émerger les véritables acquis de l’exil au sein d’une nouvelle identité commune. Ce serait même, peut-être, la seule pertinence à concéder à l’Etat d’Israël : le fait qu’il oblige chacun d’entre nous à ne pas renvoyer dos-à-dos la confrontation entre judaïsme et laïcité juive dont notre peuple a tant souffert ces deux derniers siècles, et s’engager à fond dans un véritable travail de retour à son identité juive.

C’est pourquoi on parlera davantage d’un « retour à la Loi » que d’une « loi du retour ». Puisque tel est bien le sens à donner à ce « retour » vers la terre qui, même si elle se voulait laïque, ne peut en définitive avoir de légitimité que s’il est d’abord un retour aux racines spirituelles d’Israël…

 

R. I. RUCK, à partir d’un enseignement de Rav Ya’akov Poultorak zatsal

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